1L’évolution du climat mondial a eu des répercussions sur les régimes pluviométriques caractérisés par l’avènement des phénomènes hydroclimatiques extrêmes (GIEC, 2014 ; Salack, 2016). Toutes les projections climatiques prévoient une intensification du réchauffement moyen, en plus de changement des précipitations et aussi une plus grande fréquence et une intensification des phénomènes extrêmes (GIEC, 2014). Il est observé au cours de ces dernières décennies une augmentation significative des risques météorologiques attribuables aux changements climatiques (GIEC, 2012 ; Dotsévi, 2018). Carry et Veyret (1996) et Fujiki (2017) ont montré que parmi les risques météorologiques naturels, les inondations font partie des risques les plus fréquents et touchent le plus grand nombre d’individus.
2Les impacts socio-économiques et environnementaux des inondations dans le monde en général, et l’Afrique de l’Ouest en particulier, sont souvent au cœur des préoccupations scientifiques. Le bassin versant de la rivière Oti, au Togo, n’échappe guère aux situations d’urgence liées aux risques d’inondation. Les inondations entraînent plusieurs dégâts matériels, économiques et humains (PANA, 2009 ; Tapé, 2019). Les écosystèmes sont impactés et les populations en subissent les conséquences, ce qui entraîne des migrations et freine l’atteinte des Objectifs du développement durable. Les effets sanitaires des inondations sont lourds (Badameli et al., 2013 ; Issaou, 2014). Après les inondations, il faut noter l’apparition des maladies épidémiques associées à la contamination de l'eau consommée par les populations ou à la prolifération de moustiques en raison de la présence d'eaux stagnantes, telles que le choléra, le paludisme, la fièvre typhoïde, et cetera (Sokemawu, 2017). Au niveau des cours d’eau et des basses terres, les conséquences sont plus graves en saison des pluies. Les fortes pluies répétitives menacent le milieu physique et humain. L’objectif de cette étude est ainsi d’analyser les impacts socio-économiques et environnementaux des inondations dans le bassin versant de l’Oti au Togo.
3Le bassin versant de la rivière Oti est situé dans le nord du Togo, dans le bassin du fleuve volta, et draine une partie des bassins versants des pays frontaliers avec le Togo, à savoir le Burkina Faso, le Bénin et le Ghana. La bassin versant de l'Oti possède une superficie de 58670 kilomètres carrés à l’exutoire de Sabari au Ghana. Ce bassin versant est le plus grand des trois bassins qui se partagent le territoire togolais. À l’exutoire de Mango, le bassin de l’Oti couvre une superficie de 35652 kilomètres carrés et est situé entre 11°22’ et 10°00’Nord et -0°3’ et 0°50’Est (figure 1).
Figure 1. La situation de la zone d’étude
4La topographie du bassin obéit à un relief dont la morphologie est composée de la pénéplaine du Gourma, les plateaux de Dapaong-Bombouaka et la plaine de l’Oti. Dans l’ensemble, les altitudes varient entre 106 et 506 mètres.
5Dans le bassin versant de l’Oti, le réseau hydrographique est relativement dense et commandé par la rivière Oti. L’Oti, principal collecteur d’eau (long de 167 kilomètres au Togo), prend sa source au nord du Bénin sur le versant est de la chaîne de l’Atacora sous le nom de Pendjari. Il épouse une orientation Sud-ouest-Nord-est, traverse la région de l'Atacora puis s’inverse, revenant vers le sud-ouest, arrive au Togo où il prend le nom de l’Oti (Mul et al., 2015). La rivière Oti constitue la frontière naturelle entre le Togo et le Bénin à partir de la confluence avec la rivière Koumongou, au sud de la forêt classée de Galangachi, et jusqu'au niveau de la commune ghanéenne de Sabari, au sud de laquelle l'Oti se jette dans le lac Volta. Ses affluents sont le Wabga, Namiélé et la Sansargou à sa rive droite. À sa rive gauche, il s’agit de la Koumongou, le Kéran et la Kara. Le lit de l’Oti est taillé dans les formations d’argilites et est bordé ça et là d’une galerie forestière. Le débordement de l’Oti en saison pluvieuse occasionne des inondations majeures occasionnant des répercussions importantes pour ses populations riveraines.
6Au plan hydrologique, il s’agit en moyenne d’un bassin à pente faible dominé dans sa partie nord et sud-ouest par une immense plaine. L’Oti a un régime tropical irrégulier. Il est commandé par le rythme moyen saisonnier. Pendant la période de hautes eaux (août-septembre-octobre), l’Oti sort de son lit et rejoint, selon Kankpenandja (2002), l’importante nappe d’eau stagnante dans les cuvettes de débordement entraînant ainsi des ruissellements latéraux qui inondent de vastes étendues de terre. Dans ses basses eaux (mars-avril-mai), pendant la saison sèche, l’Oti a un débit faible à cause de l’absence des précipitations. Aussi, faut-il noter que les moyennes eaux correspondent aux mois de juin-juillet (début de la saison humide) et novembre et décembre (début de la saison sèche). C’est la période intermédiaire entre les hautes eaux et les basses eaux de l’Oti. Cependant, la construction du barrage de Kompienga en amont de la rivières, au sud du Burkina Faso sur la rivière Wabga, un affluent de l'Oti, a perturbé le régime hydrologique de l’Oti. En saison des pluies, les inondations sont importantes à cause des lâchers d’eau du barrage. En saison sèche, le régime est plus régulier en moyennes eaux grâce au courant de fonctionnement des turbines du barrage.
7En 2010, le bassin versant de l'Oti regroupait une population de 828 224 personnes en 2010 (DGSCN, 2012), inégalement répartie sur l’ensemble du bassin avec une densité de 90 habitants au kilomètre carré. Plusieurs types d’activités sont pratiqués par ces populations. Il s’agit de l’agriculture, l’élevage, la pêche, la chasse, l’artisanat, le commerce, le tourisme, l’extraction du sable et du gravier et le transport. Cependant, l’agriculture apparaît comme la principale activité des populations du bassin versant.
8Les données hydroclimatiques utilisées pour cette étude sont les précipitations et les débits journaliers couvrant la période 1961-2017. Les relevés de pluie sont collectés sur sept stations météorologiques (Barkoissi, Borgou, Dapaong, Mandouri, Mango, Tankpamba, Toaga) de la Direction générale de la Météorologie nationale à Lomé. Les débits de la station hydrométrique de Mango et de Mandouri ont été obtenus à la Direction générale de Ressources en eau à Lomé (Togo). Les données épidémiologiques du district sanitaire de Mango ont été également utilisées de 2009 à 2017.
9Les statistiques agricoles sont obtenues à la Direction des Statistiques agricoles de l’Informatique et de la Documentation (DSID) et les données issues des enquêtes socio-économiques et de l’observation directe sur le terrain sont également utilisées.
10Dans cette étude les indices sont utilisés pour mesurer l’écart par rapport à la moyenne établie sur une longue période à l’échelle ponctuelle en se référant aux données des stations. L’indice standardisé de précipitation (SPI) (McKee et al., 1993) est utilisé dans cette étude. Le SPI présente des avantages en termes de cohérence statistique et a la capacité de décrire à la fois à court terme et à long terme les impacts des inondations à travers les différentes échelles de temps (McKee et al., 1993). Il faut noter que la nature probabiliste de l’indice SPI lui permet d’être comparable entre différents sites (Mirabbasi et al., 2013).C’est un indice centré réduit comme l’indique la formule suivante :
11Avec Xi : pluviométrie de l’année i ; M : pluviométrie moyenne interannuelle sur la période de référence et S : l’écart type de la pluviométrie interannuelle.
12En hydrologie, c’est l’indice de débit normalisé ou Standardized Flow Index (SFI) évoqué par Houessou (2016) et Totin et al. (2016) de même formule que SPI qui a été utilisé.
13Ainsi, ces indices sont utilisés pour définir les seuils des événements pluvieux et hydrologiques caractéristiques des inondations (normal, très humide et extrêmement humide) selon le classement des valeurs seuils d’intensité des inondations du tableau 1 de McKee et al. (1993).
Tableau 1. Classification des valeurs SPI et catégorie des inondations
Valeurs des seuils SPI
|
Catégorie des inondations
|
2,00 et plus
|
Extrêmement humide
|
1,5 à 1,99
|
Très humide
|
1 à 1,49
|
Modérément humide
|
0 à 0,99
|
Proche de la normale
|
Mckee et al.(1993)
SPI = Indice Standardisé de Précipitation. SPI = Standardised Precipitation Index
14Les enquêtes se sont déroulées dans le bassin versant de l’Oti à Mango dans la préfecture de l’Oti et le bassin versant de l’Oti à Mandouri dans la préfecture de Kpendjal. Le choix est porté sur ces deux préfectures du fait qu’elles sont régulièrement affectées par des inondations récurrentes. Le questionnaire administré portait sur la variabilité climatique, les inondations et les impacts socio-économiques et environnementaux des inondations dans le secteur d’étude. En vue de collecter les informations fiables, il s’est avéré nécessaire d’utiliser un échantillonnage par quotas avec un taux de sondage de 0,5 % appliqué à la population totale des localités choisies. Ce taux a été choisi parce qu’il est considéré comme représentatif, comme l’indique le tableau 2.
Tableau 2. Répartition géographique des personnes enquêtées dans le bassin de l’Oti dans la Région des Savanes
Bassin versant
|
Localités
|
Population totale
|
Nombre de personnes enquêtées
|
Proportion par rapport à la taille de l’échantillon (%)
|
Mandouri
|
Mandouri
|
5203
|
26
|
11
|
Tambigou
|
885
|
4
|
2
|
Borgou
|
2372
|
12
|
5
|
Pancéry
|
1236
|
6
|
3
|
Donga
|
947
|
5
|
2
|
Yiagou
|
873
|
4
|
2
|
Mango
|
Mango
|
24766
|
124
|
52
|
Sadori
|
1367
|
7
|
3
|
Mogou
|
2979
|
15
|
6
|
Koumongou
|
3171
|
16
|
7
|
Tchamonga
|
2084
|
10
|
4
|
Farè
|
1267
|
6
|
3
|
Total
|
47150
|
235
|
100
|
15Au total, 235 personnes constituent l’échantillon interrogé. Pour la présente étude, le questionnaire a été adressé prioritairement au chef de ménage ou à défaut à une personne du ménage âgée d’au moins dix-huit ans, car à cet âge l’individu est censé répondre aux questions liées aux inondations et peut exercer diverses activités dans le secteur d’étude. De même, pour ceux qui ne sont pas nés dans le milieu, même s’ils sont chefs de ménages, ils doivent avoir résidé au moins vingt ans dans la zone d’étude.
16Ces techniques ont été déjà utilisées par plusieurs chercheurs (Ogoualé, 2006 ; Kodja, 2018) et ont montré leur efficacité à obtenir des informations fiables.
17Pour caractériser le risque d’inondation, cette étude se focalise sur l’analyse des anomalies pluviométriques et hydrologiques. Ainsi, la pluie et les débits constituent les aléas du risque d’inondation dans le secteur d’étude.
18La figure 2 montre la variabilité interannuelle des pluies maximales journalières dans le bassin versant de l’Oti au Togo de 1961-2017.
Figure 2. Anomalies pluviométriques dans le bassin versant de l’Oti de 1961-2017
19L’étude de la variabilité interannuelle des précipitations à travers les indices pluviométriques et le lissage de ces indices, par les moyennes mobiles glissantes sur cinq ans dans le bassin de l’Oti (figure 2), permettent de dégager une longue période sèche allant de 1977 à 2011, traduisant le déficit. La période d’après 2011 est caractérisée par le retour d’une période très humide et extrêmement humide, marquée par un excédent pluviométrique, entraînant des inondations majeures.
20Il ressort également de l’analyse de la figure 2 que les anomalies positives varient de 0 à 2,92 dans le bassin versant. Ceci indique les années humides dans le bassin versant de l’Oti au Togo. Ainsi, les années 1962, 1964 et 2015 ont été des années extrêmement humides et celles de 1968, 1999, 2012 et 2013 sont des années très humides dans l’ensemble du bassin versant de l’Oti au Togo, en se basant sur les anomalies positives. Les années 1969 et 2016 sont modérément humides et le reste des années présentant des anomalies positives sont des années normales ou proches de la normale. Ce sont ces périodes humides et très humides qui justifient le risque d’inondation dans le bassin versant de l’Oti au Togo. Ces résultats corroborent ceux trouvés par Houessou (2016) et Totin et al. (2016) dans le bassin versant du Mono au Togo et au Bénin.
21La figure 3 montre l’évolution interannuelle des débits maximaux dans le bassin versant de l’Oti à Mango et à Mandouri.
Figure 3. Variabilité interannuelle des débits maximaux dans le bassin versant de l’Oti à Mango et à Mandouri
22L’examen de la figure 3 permet de dire que tout comme les précipitations, les indices hydrométriques connaissent une importante variation des débits maximaux annuels à partir des années 1960 dans les sous-bassins de l’Oti à Mango et à Mandouri. L’indice calculé affiche des anomalies positives plus au niveau de la station de Mango au sud, tandis que la station de Mandouri, au nord-est, l’indice affiche plus des anomalies négatives, traduisant ainsi un déficit d’écoulement. Cette situation se justifie par la position de la station de Mango en aval du bassin versant, qui constitue le principal collecteur d’eau des principaux affluents de l’Oti venant en amont. Ce qui veut dire que l’évolution dans la série des débits maximaux est en lien avec les pluies journalières extrêmes. Les anomalies positives sont constamment observées au cours de cette période. Les années ayant des anomalies positives (exemple de 2,92 en 1962 ; 2,18 en 1964 ; 2,40 en 1969 et 2,81 en 1970 à Mango et 1,87 en 1963 ; 1,86 en 1965 ; 1,77 en 1970 ; 1,96 en 1971 et 1,76 en 1988 à Mandouri) sont des années où le bassin versant a enregistré de grandes crues concomitamment à celles de la pluviométrie. Ce qui veut dire que la variabilité pluviométrique a eu des répercussions sur les écoulements dans le bassin versant de l’Oti au Togo, et surtout à Mango, permettant le retour d’une période plus arrosée et qui traduit les débits maximaux entraînant par conséquent le débordement et la fréquence des inondations. Les mêmes préoccupations ont été partagées par Koumassi (2014) dans le bassin de la Sota au Bénin et Houessou (2016) dans la basse vallée du Mono.
23La figure 4 présente en pourcentage la réponse des personnes interviewées sur les dégâts matériels occasionnés par les inondations dans le bassin versant de l’Oti.
Figure 4. Réponse des personnes interviewées sur les dégâts matériels occasionnés par les inondations dans le bassin versant de l’Oti
24L’analyse de la figure 4 montre que les maisons habitables sont plus touchées par les inondations selon 46 % des enquêtés. Les victimes qui sont touchées doivent être évacuées à partir de la montée des eaux jusqu'à la décrue. Ces habitations sont alors inhabitables, car les dégradations sont irrémédiables et il faut reconstruire intégralement les habitations. À titre illustratif les inondations exceptionnelles de 2007 ont fait 4500 sans-abris dans le bassin versant de l’Oti dont 3300 pour la préfecture de Kpendjal (Bureau régional des Affaires sociales des Savanes, 2007). Les sinistrés sont obligés de quitter leur maison habitable pour des relogements dans les secteurs exondés. Sur le terrain, 42 % de la population enquêté confirment avoir quitté leur maison en période d’inondation pour aller se loger dans les écoles et 35 % sont partis chez les parents ou amis et 23 % sont partis dans les zones aménagées (tentes) par la Croix-Rouge pour les sinistrés.
25Les infrastructures routières ne sont pas épargnées des récurrentes inondations dans le bassin versant. L’enquête de terrain révèle que les infrastructures routières sont impactées par les inondations, fréquentes ces dernières années. En effet, les routes sont momentanément coupées occasionnant un enclavement temporel de certaines localités, qui ne sont alors accessibles que grâce aux pirogues. C’est le cas des communes de Tchanmonga, Tampacti, Tambigou, Pancéry, Mabou, Mogou et Koumongou (photo 1). L’observation de ces deux photos montre que le déplacement n’est possible que par des pirogues, puisque certaines localités du bassin versant sont enclavées en période des crues.
Photo 1. Route coupée par les inondations et déplacement des populations par transport fluvial
Koungbanane, septembre 2018
26Quant aux infrastructures scolaires, plusieurs écoles sont touchées par les récurrentes inondations dans le bassin versant. Certaines écoles ont été envahies par l’eau, d’autres sont détruites. Selon PANA (2009), 46 écoles et collèges sont endommagés ou détruits, et trois dispensaires sont devenus infréquentables lors des inondations de 2007 dans le bassin versant de l’Oti. Les voies d’accès aux établissements scolaires sont impraticables rendant les écoles inaccessibles. Pour 93 % des enquêtés, les inondations obligent parfois le gouvernement à reporter la date de la rentrée scolaire. C’est l’exemple de la rentrée scolaire 2007-2008 prévue pour le 17 septembre 2007 et qui a été reportée au 17 octobre 2007. Selon le Bureau régional des Affaires sociales des Savanes (2007), près de 8000 élèves se trouvaient dans l’impossibilité d’effectuer leur rentrée scolaire le 17 septembre 2007 du fait des inondations majeures de 2007. Pour l’UNISDR (2007), les crues des cours d’eau ont empêché 25 500 élèves d’avoir accès à l’éducation scolaire pour une période de 2 à 3 mois, surtout dans les préfectures de Kpendjal et de l’Oti.
27La figure 5 montre l’évolution de la production agricole de la préfecture de l’Oti et de Kpendjal située dans la basse vallée de l’Oti.
Figure 5. Evolution de la production agricole des préfectures de l’Oti et Kpendjal de 2000 à 2016
28Il ressort de l’analyse de la figure 5, la baisse de la production agricole (mil, sorgho, maïs, niabé, riz et arachide) dans les deux préfectures au cours des années d’inondation. L’année 2007 a enregistré une production totale de 89767 tonnes dans la préfecture de l’Oti, soit une baisse de 2046 tonnes par rapport à l'année 2006 qui n’a pas connu d’inondation et au cours de laquelle la production agricole a atteint 91813 tonnes. Les années d’inondation sont celles où la production agricole enregistre beaucoup de pertes. L’année 2012 qui est une année très humide dans le bassin versant en est une parfaite illustration. Les résultats similaires des effets des risques d’inondation sur le secteur agricole ont été trouvés par Issaou (2014) et Sokemawu (2017) au Togo, Donou (2015) au Bénin et Tapé (2019) en Côte d’Ivoire. Selon l’estimation de la Direction préfectorale de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche de la préfecture de l’Oti (DPAEP), en 2017 il y a eu 1350 hectares de champs qui ont été noyés par les inondations. Cette situation a entraîné la perte de récoltes estimée à 3375 tonnes. Ces récurrentes inondations dans le bassin versant de l’Oti occasionnent ainsi la baisse de la production céréalière qui se traduit par le pourrissement des récoltes. En 2007, plus de 7500 hectares de champs appartenant à près de 7000 exploitants ont été dévastés par les inondations dans le secteur d’étude (UNISDR, 2007). Il en a suivi une inflation des prix des produits alimentaires, notamment dans les milieux les plus enclavés, accentuant le cercle vicieux de précarité des victimes. Toute cette situation plonge les populations dans un état de risque d’insécurité alimentaire, voire de malnutrition ou même de famine.
29Les pertes et la noyade de volailles et d’animaux sont enregistrées lors des inondations. Près de 83 % des enquêtés affirment avoir perdu plus d’animaux (moutons, chèvres, bœufs, et cetera) et de volailles (poules et pintades) pendant les inondations. Selon l’UNISDR (2007), 248 unités d’élevages ont été détruites par les inondations de 2007. La Direction préfectorale de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche de la préfecture de l’Oti (DPAEP) estime à 3750 volailles perdues lors des inondations de 2017. Ce qui équivaut à une perte de valeur monétaire de 937 5000 de Francs CFA selon l’estimation de la DPAEP. Il faut noter que 389 bovins et 2995 caprins ont été emportés ou perdus au cours des inondations de 2017 (DPAEP, Oti).
30Les inondations affectent l’élevage dans la mesure où elles réduisent les aires de pâturage du bétail entraînant un déficit en qualité et en quantité du fourrage naturel à paitre. Il faut noter que les couloirs de transhumance dans le secteur d’étude se sont retrouvés limités et envahis par l’eau. L’observation réelle du milieu a permis de constater que les bas-fonds qui sont utilisés comme pâturage pendant la saison sèche ne permettent plus de jouer ce rôle en période des inondations. Ce qui entraîne la diminution de l’espace pâturé. Les inondations ont occasionné le déficit fourrager dans le bassin versant selon 53 % de la population enquêté.
31Les inondations ont affecté les autres secteurs d’activité économique dans le bassin versant. En effet, le manque à gagner est à relever. Le commerce est lourdement touché par les récurrentes inondations. Les contrecoups des inondations se traduisent par l'absentéisme des employés, la baisse d'achalandage et la perte de revenus. Le commerce tourne au ralenti selon 80 % des enquêtés en période des inondations. De nombreuses activités exercées par les femmes sont touchées par les inondations. En effet, les revendeuses, qui pouvaient gagner jusqu’à 50 000 de Francs CFA et plus par mois en période sèche sont bien souvent contraintes d’abandonner le travail selon 63 % des enquêtés.
32De même, les activités génératrices de revenus sont affectées par le risque d’inondation dans le secteur d’étude. Sur le terrain, 69,9 % des enquêtés ont cité l’extraction du sable et du gravier et 30,1 % ont fait cas de la fabrication du charbon de bois comme activités génératrices de revenus touchées par les inondations. Ce qui corrobore les résultats des travaux de Koungbanane (2016) dans la préfecture togolaise de Kpendjal, également située dans le bassin versant de l’Oti.
33La figure 6 présente la variation interannuelle du nombre de cas de maladies diarrhéiques et du paludisme de 2009 à 2017 dans la préfecture de l’Oti. Le nombre de personnes infectées par les deux pathologies est enregistré au cours des années humides où le bassin versant a connu des inondations spectaculaires. C’est le cas de l’année 2011 avec 32 832 cas de paludisme et 1 856 cas de diarrhée enregistrés. De 2009 à 2017, le nombre de cas de paludisme est plus marqué que le cas des malades diarrhéiques dans le bassin versant de l’Oti. Le plus grand nombre de personnes paludiques est enregistré en 2011 avec 32 832 cas, alors que le nombre de cas diarrhéiques est observé en 2012 qui est une année très humide avec 29 963 cas de malades diarrhéiques.
Figure 6. Variation interannuelle de nombres de cas de maladies diarrhéique et du paludisme de 2009 à 2017 dans la préfecture de l’Oti
34Sur le plan mensuel, les mois humides (juillet, août, septembre et octobre), période pendant laquelle le bassin versant enregistre des crues et des inondations, sont caractérisés par le nombre élevé de cas de maladies de paludisme et de diarrhée (figure 7). L’année 2016 a été prise en compte pour illustrer le lien qui existe entre les mois humides et les maladies liées à l’eau.
Figure 7. Variation mensuelle de nombres de cas de maladies diarrhéiques et du paludisme en 2016 en lien avec la pluviométrie dans la préfecture de l’Oti (District sanitaire de Mango)
35Le nombre de cas paludiques et diarrhéiques est beaucoup plus remarqué dans le mois d’août, période des hautes eaux dans le bassin, de crue, de submersion totale des terres fermes, des lits mineurs et majeurs (figure 7). Le mois d’août 2016 a enregistré 4775 cas de paludisme et 245 cas de diarrhée. Il est constaté une très forte corrélation entre la pluviométrie et le nombre de cas de paludisme et de diarrhéique montrant ainsi un lien entre les inondations et les maladies citées. Cela se justifie par le nombre élevé du cas de paludisme et de diarrhée pendant les mois les plus humides, surtout août et septembre. Ces résultats confirment les études d'Adéwi et Dubreuil (2012), de Badameli et al. (2013) et d'Issaou (2014) sur le lien qui existe entre la pluviométrie et la récurrence du paludisme. Sur le terrain, 83 % de la population enquêté ont cité le paludisme, la diarrhée, le choléra, la dysenterie et la fièvre typhoïde comme maladies liées aux inondations dans le bassin versant. Il faut souligner que 67 % des enquêtés trouvent que le paludisme est particulièrement une maladie récurrente lors des inondations.
36Les inondations dans le bassin versant de l’Oti ont des répercutions psychologiques sur les populations victimes, dont les plus atteintes sur la plan matériel sont enregistrées. Certaines personnes gardent le souvenir amer des inondations du fait qu’elles ont été blessées ou parce qu’elles ont perdu leurs parents ou leurs proches. Cette amertume s’explique aussi par la perte des objets chers que les victimes ne peuvent plus retrouver. Sur le terrain, 12 % de la population enquêté ont affirmé avoir perdu des proches par noyade, 8 % par la chute des murs des chambres et 80 % par les décès liés directement ou indirectement à l’inondation, incluant les maladies citées plus haut. Les populations soulignent également la parte des documents importants et officiels tels que les diplômes, les actes de naissance, les attestations de nationalité, les documents d'identité, les actes de mariage, les livres des élèves, et cetera. Le cas des inondations exceptionnelles de 2007 et 2008 reste toujours gravé dans la mémoire des populations de par les dégâts engendrés. Ces résultats confirment ceux trouvés par Koungbanane (2016) dans la préfecture de Kpendjal au nord du Togo. Les populations (89 %) du bassin versant éprouvent de la tristesse, de l’amertume et de la désolation au regard des récurrentes inondations.
37Les inondations dans le bassin versant de l’Oti ont des répercussions négatives sur l’environnement physique. En effet, l'intensité des pluies de ces dernières années a contribué à l’érosion des sols, particulièrement des sols dénudés. Ce qui entraîne l’appauvrissement de ces sols par lessivage. Par ailleurs, les activités anthropiques telles que le déboisement des berges et l’exploitation des berges à des fins de cultures amplifient les processus de l’érosion.
Photo 2. Ensablement et érosion des berges de l’Oti à Mandouri
Koungbanane, novembre 2018
38Cette dégradation des sols à travers l’érosion (photo 2) est confirmée par 54 % des enquêtés. L’eau de ruissellement, lors de son drainage vers les bas-fonds, se charge de particules du sol. Ce phénomène a entraîné la destruction d’une importante fraction des horizons superficiels du sol (Kankpenandja, 2002). Les inondations dans le milieu contribuent à la modification de la structure et de la texture du sol. Près de 78 % des enquêtés confirment cela par le tassement du sol au niveau des zones inondées. Ces résultats corroborent ceux de Badameli (2010), Issaou (2014) et Sokemawu (2017) sur les impacts environnementaux des inondations.
39L’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui confrontée à des phénomènes de variabilité climatique caractérisée par des événements récurrents d’inondation qui fragilisent les systèmes humains et environnementaux. Il apparaît au terme de cette recherche que la récurrence du risque d’inondation dans le bassin versant de l’Oti n’est pas sans conséquence sur la vie des populations et l’environnement physique. Les résultats obtenus montrent une longue période sèche allant de 1977 à 2011, traduisant le déficit et une période d’après 2011, caractérisée par le retour d’une période très humide et extrêmement humide, marquée par un excédent pluviométrique, entraînant des inondations majeures. Les indices hydrométriques connaissent une importante variation des débits maximaux annuels à partir des années 1960 dans les sous bassins de l’Oti à Mango et à Mandouri. Ce qui veut dire que l’évolution dans la série des débits maximaux est en lien avec les pluies journalières extrêmes. Le risque d’inondation dans le bassin versant a des répercussions socio-économiques, sanitaires et environnementales.
40Au regard des inondations survenues et de la gravité des impacts, un réel problème de la gestion du risque d’inondation dans le contexte des changements climatiques et de la forte vulnérabilité des populations dans le bassin versant de l’Oti se pose. Cette étude contribue à une importante connaissance des conditions d’occurrence des aléas d’inondation et les impacts socio-économiques et environnementaux du bassin versant de l’Oti au Togo. Des solutions innovantes méritent d’être prises pour gérer de façon durable le problème d’inondation. Dans ces conditions, la mise à jour des normes hydrologiques et des plans d’aménagement du territoire sont à revoir.
Les auteurs de cette étude remercient le Centre d’excellence africaine sur les changements climatiques, biodiversité et agriculture durable ainsi que la West african research association (WARA).