Introduction

1Le paysage de la République Démocratique du Congo (RDC) est principalement dominé par une couverture forestière représentant environ 67% de la superficie du territoire national, soit une superficie forestière estimée à 155 millions d’hectares, constituée de différents types de forêts (De Wasseige et al., 2009). Ces écosystèmes forestiers jouent des rôles cruciaux tant à l’échelle locale qu’internationale, tels que le maintien des sols contre l’érosion, la régulation du régime des pluies, le maintien de l’équilibre climatique, le maintien de l’habitat de la faune sauvage, et cetera. Néanmoins plusieurs études scientifiques signalent la régression perpétuelle du couvert forestier dans différentes zones de la RDC (Masimo et al., 2020 ; Kisangala et al., 2019 ; Muyaya et al., 2016 ; Molinario et al., 2015 ; Potapov et al., 2012). Le taux de déforestation annuelle en RDC est variable selon la zone concernée, la période d’étude, les méthodes utilisées, ainsi que les types de forêts. Il varie ainsi entre 0,18 et 0,46 % (Tungi Tungi et al., 2021 ; Defourny et Kibambe, 2012 ; De Wasseige et al., 2012 ; Potapov et al., 2012 ; Duveiller et al., 2008). Les forêts situées dans les aires protégées ne font pas exception à la forte pression que subissent les écosystèmes forestiers de la RDC. L’étude menée dans la réserve de la biosphère de Yangambi par Kyale Koy et al. (2019) a révélé un taux annuel de déforestation de 0,18 % au cours de la période 1986-2003 et de 0,38 % entre 2003 et 2016. Parmi les causes de déforestation les plus en vue se trouvent les activités humaines pour répondre aux besoins socioéconomiques des populations (Fahrig, 2003). Cela se traduit par une dynamique de la structure spatiale du paysage. Dans le bassin du Congo comme en République Démocratique du Congo (RDC) les principales perturbations des écosystèmes forestiers qui contribuent à la modification des paysages sont l’exploitation forestière et minière, l’agriculture (causes directes) (Kyale et al., 2019 ; Belesi, 2009 ; Lubini, 1982) ainsi que des facteurs économiques, sociopolitiques, biophysiques, technologiques et la pression démographique sur les ressources naturelles (causes indirectes) (Tungi Tungi et al., 2021 ; Bakehe, 2019 ; Nori, 2018 ; Carole et al., 2013 ; Defourny et al., 2011 ; Meneses, 2011). L’agriculture, quant à elle, est caractérisée par la mise en culture itinérante de type abattis-brûlis (Mitashi et Lukula, 2021). La conjonction des causes immédiates et sous-jacentes de la déforestation et de la dégradation des forêts perturbe le processus de régénération de la végétation (Hountondji, 2008). Celui-ci entraine des conséquences sur le cycle des pluies et des températures, qui à leur tour influent sur le renouvellement du couvert forestier (COMIFAC, 2015). La compréhension des observations des changements des paysages est donc cruciale en raison des interactions avec les activités humaines et les facteurs écoclimatiques. La compréhension de la dynamique de la déforestation pourrait éclairer les facteurs qui agissent ensemble ou non sur la transformation du paysage.

2L’objectif global de cette étude est le suivi de la dynamique de l’occupation du sol de la station forestière de l’INÉRA Kiyaka entre les années 2000 et 2020. Spécifiquement elle vise à : 1) suivre et quantifier le rythme de la dynamique forestière ; 2) évaluer l’influence de la croissance démographique sur la dynamique forestière ; 3) évaluer l’importance de la dynamique forestière sur les fluctuations des variables climatiques (température, précipitation et humidité relative) pendant les périodes de culture ; et 4) proposer quelques mesures palliatives garantissant la gestion forestière durable et l’éducation écoenvironnementale.

Matériel

Zone d’étude

3Cette étude est menée à la station de recherche (aussi appelée station forestière) de l’Institut national d’étude et recherche agronomiques (INÉRA) Kiyaka (Figure 1).

4Cette station se situe en RDC dans la province de Kwilu, territoires de Gungu et de Bulungu. Elle est localisée à environ 70 kilomètres au sud-est de la ville de Kikwit. La station de recherche de l’INÉRA Kiyaka occupe une superficie de 3 250 hectares (Lumengo et al., 2018). Elle s’étend entre 5° 16’ et 5° 24’ de latitude Sud, 18° 57’ et 18° 43’ de longitude Est (Kidikwadi, 2018).

5La géomorphologie de la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka est dominée par des vallées encaissées et des plateaux. Ceux-ci peuvent parfois atteindre 735 mètres d’altitude (Nicolaï, 1963 ; Bultot, 1954). En matière d’hydrographie, la station est drainée par les rivières Lutete de l’est vers l’ouest et Kwilu du sud à l’ouest. Quelques ruisseaux, notamment Vivy, Kanon, Kakengi, Pambi et Kahusu traversent la station de recherche de l’INÉRA (Kidikwadi, 2018 ; Lumengo et al., 2018).

6La station de recherche de l’INÉRA Kiyaka est caractérisée par un climat tropical humide de type AW3 selon la classification de Köppen (Masens, 1997 ; Bultot, 1954). Sa température moyenne annuelle se situe à 24 °Celsius avec un maximum enregistré entre 28 °Celsius à 35 °Celsius et un minimum dans la tranche de 18, 3 à 21 °Celsius (Kidikwadi, 2018). Elle est marquée par une pluviosité moyenne annuelle de 1500 millimètres (Lumengo et al., 2018) et deux saisons : une sèche de 3 mois et une autre des pluies de 9 mois. Les deux saisons laissent apparaitre deux séquences : deux saisons pluvieuses et deux saisons sèches de durée inégale. La grande saison sèche intervient entre la mi-mai et la deuxième moitié du mois d’août ; la petite saison sèche se situe entre la mi-janvier et la première quinzaine du mois de février. La saison des pluies apparait dans la seconde moitié du mois d’août et dure jusqu’à la première quinzaine du mois de mai. Elle est interrompue par la petite saison sèche en janvier-février. On appelle aussi la petite saison culturale, celle allant de février à avril, et la grande saison culturale, celle allant du mois d’août au mois de décembre.

7La végétation de la station est constituée d’une flore dominée par des galeries forestières et des formations herbacées. La flore est majoritairement constituée des Poaceae et Magnoliopsida avec 90 % de l’ensemble floral dont les familles caractéristiques sont les Annonaceae, Apocynaceae, Malvaceae/Sterculioideae, Fabaceae/Caesalpinioideae, Clusiaceae, Connaraceae, Dichapetalaceae, Ebenaceae, Euphorbiaceae (y compris les Hymenocardiaceae, Phyllanthaceae, Uapaceae), Icacinaceae, Olacaceae, Rubiaceae et Sapotaceae (Lumengo et al., 2018). La forêt appartient au type ombrophile semi-sempervirente guinéo-congolaise (White, 1983).

8La station est essentiellement habitée par deux groupes ethniques : les Pende et les Yansi. On compte cinq camps à l’intérieur de la station (Plateau, Urbain, Bumbana, Bruxelles et Vingila) et cinq villages environnants (Ngashi, Kahundji, Kandjombi, Mbamba et Mushila). Les cinq villages à l’intérieur de la station font une population de 722 en 2020. Les villages autour de la station sont composés des groupements installés avant la délimitation et la création de la réserve. Étant donné la faiblesse du pouvoir économique du pays et les maigres salaires des employés du secteur public, les communautés présentes à l’intérieur et à l’extérieur de la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka vivent principalement de l’agriculture, de la cueillette et de la chasse. Actuellement, l’agriculture reste la principale activité réalisée dans cette zone d’étude. La majorité de la population exerce une agriculture migratoire sur brûlis. La saison culturale de Kiyaka couvre la période allant de février à avril et du mois d’août au mois de décembre.

9Pour atteindre les objectifs de cette étude, hormis la revue bibliographique, nous avons eu recours à la collecte de données de terrain telles que reprises dans le Tableau 1, et aux traitements et analyses des données géospatiales (données matricielles et vectorielles). Le parcours méthodologique, en vue de l’obtention des résultats attendus, est schématisé dans la Figure 2 ci-dessous.

Données

10Pour collecter les données, nous avons eu recours aux données matricielles de haute résolution spatiale et à des données vectorielles. Il s’agit des images satellites Sentinel 2, Spot 5 et Landsat 7, respectivement acquises le 28 juin 2020, le 31 décembre 2010 et l’année 2000. Le choix porté sur ces dates d’acquisition des images satellites se fonde sur la disponibilité des images de bonne qualité et sans nuage. Ces données satellitaires ont été corrigées radiométriquement pour éliminer les contaminations introduites par l’atmosphère. Pour améliorer la précision sur la localisation, une correction géométrique impliquant un rééchantillonnage et une ortho-rectification a été appliquée. Cette correction a permis d’aboutir à un degré de précision équivalent ou à une résolution spatiale de 10 mètres. Ces images ont ensuite été normalisées pour tenir compte de l’effet d’anisotropie pour réduire la surbrillance dans l’est de l’image par rapport à l’ouest. Les données sur la déforestation pour les années intermédiaires (entre 2000 et 2020) ont été téléchargées sur la plateforme de Global Forest Change (GFC), développée par l’université du Maryland (Hansen et al., 2013).

11Du 10 avril au 20 mai 2022 au moyen du récepteur GPS de marque Garmin 64 map ainsi que de l’application Kobo Collect, les points de contrôle ont été collectés sur les différentes classes d’occupation du sol présentes dans la station forestière de l’INERA Kiyaka : forêt secondaire mature, forêt secondaire jeune, savane, zone agricole et sol nu, eau et palmeraie. Un ensemble de 442 points de contrôle a été collecté, en raison de 108 points pour la forêt secondaire mature (Lebrun et Gilbert, 1954), 108 points pour la forêt secondaire jeune (DIAF, 2016 ; Lebrun et Gilbert, 1954), 47 points pour la savane, 92 points pour la zone agricole et sol nu, 38 points pour l’eau et 49 points pour la palmeraie.

12La savane dans le cadre de ce travail est définie comme une formation herbacée contenant ou non certains pieds d’arbustes et/ou d’arbres parsemés. La zone agricole est celle couverte par des plantations des cultures annuelles ou pluriannuelles non ligneuses telles que le riz, le haricot et le bananier ou le manioc. Le sol nu fait allusion aux complexes ruraux autres que l’agriculture (DIAF, 2016). La classe de l’eau comprend tout espace couvert par l’eau (étang, rivière, ruisseau, et cetera). La classe palmeraie fait allusion à la zone couverte par la plantation des palmiers à huile. Pour compléter les données, il a été nécessaire de recourir aux données vectorielles définissant les limites administratives, les routes et rivières de la zone d’étude. Le Tableau 1 ci-dessous résume les différentes données utilisées dans ce travail.

13Les variables climatiques (température, précipitation et humidité relative) allant de l’année 2000 à l’année 2020 ont été acquises auprès de la National Aeronautics Spatial and Administration (NASA) et le nombre des jours de pluie au service météorologique de la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka. Les données démographiques de Kiyaka entre les années 2000 et 2020 ont été acquises auprès du service démographique de l’INÉRA Kiyaka. Au moyen du logiciel Rstudio 4. 2. 2., nous avons vérifié la linéarité entre deux variables par la corrélation de Pearson (Bourque et El Adlouni, 2016). Ensuite nous avons généré les graphiques R² comme présentés de la figure 9 à la figure 13.

Tableau 1. Description et source des données utilisées dans le cadre de cette étude

Données	Période	Source
Image Landsat 7	2000	Mosaïque Global Forest Change
Image Spot 5	31/12/2010	Direction d’inventaire et d’aménagement forestier
Image Sentinel 2	28/06/2020	https://earthexplorer.usgs.gov/​
Perte annuelle du couvert végétal	2000 à 2020	Global Forest Change
Données vectorielles	Mai 2022	RGC et collecte sur terrain
Température, précipitation et humidité relative	de 2000 à 2020	NASA
Nombre des jours des pluies	de 2000 à 2020	INÉRA Kiyaka
Démographie	2000 à 2020	INÉRA Kiyaka

Méthodes

Classification de l’occupation du sol

14La classification de l’occupation du sol pour les trois années à l'étude (2000, 2010 et 2020) a été effectuée suivant la technique de classification orientée objet. La classification orientée objet considère que l’information sémantique nécessaire à l’interprétation d’une image n’est pas représentée dans les pixels individuels, mais plutôt dans des images-objets et leurs relations mutuelles.

15Premièrement, les images satellitaires ont été segmentées suivant la méthode multirésolution. Cette segmentation a consisté à condenser l’information en extrayant des objets sans introduire de connaissance a priori. La formation de ces objets est réalisée tout en gardant la résolution homogène de l’image d’origine. Cet algorithme de segmentation ne se base pas seulement sur les valeurs des pixels individuels, mais également sur la continuité spatiale du pixel (texture, topologie). Les objets ainsi formés comportent la valeur et l’information statistique des pixels avec lesquels ils sont formés, la texture et la forme des éléments spatiaux ainsi que des informations topologiques contenues dans une table attributaire commune (Tungi Tungi et al., 2022 ; Tungi Tungi et al., 2021 ; Ecognition, 2012 ; Thi-Thanh-Hiên et Dong-Chen, 2012).

16Finalement, par la méthode du plus « proche voisin », toutes les images-objets appartenant à la même occupation du sol ont été mises ensemble en se référant à celles prédéfinies comme zones d’entrainement. Cette approche a été rendue possible grâce au logiciel ECognition. À l’aide de ce dernier, nous avons groupé les pixels en objets significatifs, en nous basant sur le critère d’échelle et de compacité. Ainsi ces paramètres ont été ajustés afin d’obtenir des objets aussi petits que nécessaire (Tungi Tungi et al., 2022 ; Tungi Tungi et al., 2021 ; Ecognition, 2012 ; Thi-Thanh-Hiên et Dong-Chen, 2012).

17Les images classifiées des années consécutives ont été comparées à l’aide de l’algorithme Raster Calculator du logiciel ArcGIS, afin de discriminer les différents changements des classes d’occupation du sol pour les périodes 2000-2010 ainsi que 2010-2020.

Analyses statistiques

18La concordance entre les résultats des classifications des images satellitaires et la réalité de terrain a été évaluée grâce aux indicateurs de précision issus de la matrice de confusion (TungiTungi et al., 2021), en l’occurrence l’estimateur Kappa et la précision globale, et cetera. En effet la matrice de confusion a confronté les classes d’occupation du sol aux données correspondantes collectées sur le terrain.

19La précision globale équivaut à la proportion d’accords observée, multipliée par cent. Le coefficient Kappa a été calculé à l’aide de la formule suivante :

20Les analyses statistiques des données climatiques et démographiques ont été réalisées grâces aux formules suivantes :

21Le rythme de la dynamique de l’occupation du sol a été évalué mathématiquement grâce à la formule de Bernier (1992) :

22Les analyses des variables climatiques ont concerné tous les mois de l’année. Par ailleurs, la corrélation entre la déforestation de Kiyaka et les variables climatiques et la croissance démographique a été estimée à l’aide de la formule de Karl Pearson : 

23Les analyses statistiques ont été réalisées grâce au logiciel Microsoft Excel.

24La Figure 2 présente schématiquement la démarche méthodologique ayant conduit à l’obtention des résultats attendus de cette étude.

Résultats

Variation des paramètres météorologiques locaux

25À la station de recherche de Kiyaka, le plus grand nombre de pluies a eu lieu pendant les périodes culturales. Les quantités de précipitation ont été évaluées à 1125,6 millimètres par année ; les plus fortes quantités ayant été observées pendant les mois de la période culturale. Les figures 4 et 5 illustrent les fluctuations de la fréquence des précipitations.

Occupation du sol de Kiyaka

26Vers les années 2000, voire bien avant, le paysage de la station de l’INÉRA Kiyaka était constitué de forêts peu perturbées. Néanmoins les observations sur le terrain, l’analyse visuelle des images satellitaires (Figures 6 à 8) et la courbe de la Figure 9 font état des prélèvements d’arbres et de coupe de la forêt pour divers usages (bois d’œuvre illicite, agriculture sur brulis, feux des forêts, et cetera), par conséquent les zones forestières se sont fragmentées au fil des années au profit des autres occupations du sol.

27Dans les années 2000, la forêt occupait près de 47% de la superficie totale de la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka. L’anthropisation du paysage de Kiyaka conduit au changement de l’occupation de son sol au détriment de la forêt. La savane a eu tendance à croitre et à couvrir de grandes superficies dans les années qui ont suivi. En 2020, elle représentait environ 37% de la superficie totale de la station comparativement à 47% en 2000. Le Tableau 1 décrit statistiquement les classes d’occupation du sol de Kiyaka au fil des années. La description plus détaillée sur l’évolution des classes d’occupation du sol de cette station est illustrée dans les Tableaux 2 et 3.

Tableau 2. Occupation du sol de Kiyaka en fonction des années 2000, 2010 et 2020

Classe d'occupation du sol	2000		2010		2020
	Ha	%	Ha	%	Ha	%
Forêt secondaire mature	1162,6	36,1	1106,0	34,3	990,8	30,8
Forêt secondaire jeune	344,7	10,7	344,0	10,7	314,9	9,8
Savane	1138,9	35,4	1153,9	35,8	1201,3	37,3
Zone agricole et anthropique	469,6	14,6	517,1	16,1	628,1	19,5
Eau	25,0	0,8	25,0	0,8	25,0	0,8
Palmeraie	80,3	2,5	75,1	2,3	61,1	1,9
Total	3221	100	3221	100	3221	100

Évolution de l’occupation du sol de Kiyaka au fil des années

28Après une période de 20 ans, de grands changements négatifs sont observés dans les classes forestières et la classe de la palmeraie au profit des autres classes d’occupation du sol de Kiyaka. Les résultats des analyses ont montré de fortes pertes entre les années 2010 et 2020. Environ 57 hectares, soit 4,9% de la superficie initiale de la forêt secondaire mature, ont subi la déforestation entre années 2000 et 2010. La période allant de 2010 à 2020 est caractérisée par la perte d’une grande superficie de forêt secondaire mature, évaluée à près de 115 hectares, représentant 10% de sa superficie initiale (Tableau 2). Entre les années 2000 et 2010, la classe de la forêt secondaire jeune a perdu 0,7 hectare, soit 0,2% de sa superficie en 2000. Sa perte entre les années 2010 et 2020 est évaluée à 29 hectares, soit 8,5%. La zone agricole et anthropisée a connu une grande extension en termes de superficie pendant la période d’étude passant de 10% entre les années 2000 et 2010 à 21,5% entre 2010 et 2020. Contrairement aux autres classes d’occupation du sol, la classe de l’eau n’a connu aucun changement (Tableau 3).

Tableau 3. Évolution de l’occupation du sol à la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka

Classe d'occupation du sol	2000 - 2010		2010 - 2020
	Ha	%	Ha	%
Forêt secondaire mature	-56,6	-4,9	-115,25	-10,4
Forêt secondaire jeune	-0,7	-0,2	-29,14	-8,5
Savane	15,1	1,3	47,35	4,1
Zone agricole et anthropique	47,4	10	111,04	21,5
Eau	0	0	0	0
Palmeraie	-5,20	-6,5	-14,00	-18,6
Total	-	-	-	-

29L’analyse de la dynamique de l’occupation du sol a démontré un rythme exceptionnel de changement des classes d’occupation du sol de la station forestière de l’INÉRA Kiyaka. Elle a aussi mis en évidence un rythme de changement plus accéléré entre les années 2010 et 2020. Pendant cette période, le taux annuel de la déforestation s’est élevé au-dessus de 1% pour la classe de forêt secondaire mature et à 0,89% pour la forêt secondaire jeune. Pendant cette période le taux d’extension annuelle de la zone agricole et anthropisée a atteint près de 2% (Tableau 3). Pour les deux classes de la forêt mises ensemble, le taux de déforestation annuelle est de 0,39% entre les années 2000 et 2010 et de 1,05% entre 2010 et 2020.

Tableau 4. Taux d’évolution des classes d’occupation du sol à la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka

Classe d'occupation du sol	Taux d'évolution annuelle (%)
	2000 - 2010	2010 - 2020
Forêt secondaire mature	-0,50	-1,10
Forêt secondaire jeune	-0,02	-0,89
Savane	0,07	0,40
Zone agricole et anthropique	0,96	1,95
Eau	0	0
Palmeraie	-0,67	-2,06

30Pour faire face à leurs besoins vitaux, les populations de Kiyaka et celles des villages voisins exercent une forte pression sur le couvert forestier. L’analyse de la déforestation révèle un taux annuel moyen de 12,8 ± 11,2 hectares entre 2000 et 2020. Les plus vastes étendues déforestées ont été observées pendant les années 2010 (30 hectares), 2012 (36 hectares) et 2017 (36,5 hectares). La déforestation est plus spécialement observée dans la zone nord-ouest, vers le village de Mbamba et la zone nord-est de la station de recherche de Kiyaka. Contrairement aux autres années à l'étude, 2008 et 2009 n’ont connu aucune perte en termes de couvert forestier. L’année 2004 est caractérisée par une faible perte de la couverture forestière 0,81 hectares (Figure 5).

31Les analyses statistiques ont indiqué une corrélation (R2 = 16,14 %) entre la croissance démographique à la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka et l’évolution de la déforestation locale (Figure 9). D’autres corrélations proches de la moyenne ont été observées entre l’évolution de la déforestation et les fluctuations des variables climatiques (fréquence des pluies, quantité de pluie, humidité relative et température) au fil des années à l'étude (Figures 10 et 11). Il ressort de ces analyses que la perte de la couverture forestière de la station de l’INÉRA Kiyaka exerce une certaine influence sur la perturbation de ces variables climatiques.

Résultat de l’analyse inférentielle

32Il résulte de la Figure 9 qu’il existe une corrélation positive entre la croissance démographique et la déforestation à la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka.

33Il se dégage de la Figure 10 que l’augmentation de la déforestation entraine une diminution des fréquences des pluies.

34La Figure 11 montre que l’augmentation de la perte de forêt à la station Kiyaka influe sur l’augmentation de quantité de pluie reçue par an.

35Il ressort de la Figure 12 que l’augmentation de la déforestation va de pair avec l’augmentation de l’humidité relative.

36La Figure 13 révèle que l’augmentation de la température croit avec l’augmentation de la température.

Discussion

37La présente étude a révélé une décroissance générale et régulière des superficies initiales des classes d’occupation du sol de la station de recherche Kiyaka pendant la période en étude. Une perte de la forêt secondaire mature a été observée sur l’ensemble de la période (56, 6 hectares, soit 4, 9% de sa superficie initiale entre les années 2000 et 2010, et 115,25 hectares équivalant à 10,4 % entre 2010 et 2020). La tendance est restée la même pour les forêts jeunes durant la même phase d’observation (0,7 hectare qui correspond à 0,2 % entre 2000 et 2010 et 29,14 hectares représentant 8,5 % pour 2010-2020). La situation de la palmeraie est comparable à celle des forêts secondaires mature et jeune. Spécifiquement pour cette catégorie, une dépréciation du couvert végétal a été enregistrée : 5,2 hectares, soit 6,5 % au cours de la période de 2000 à 2010 et une perte de 14 hectares indiquant 18,6 % entre 2010 et 2020. Le recul de la superficie forestière constatée pour les trois catégories (forêts mature et jeune et la palmeraie) a profité à la savane (15,1 hectares soit 1,3 % entre les années 2000 et 2010, 47,35 hectares répondant à 4,1 % entre 2020 et 2020) et plus encore à la zone agricole et anthropique (47,4 hectares exprimant 10 % de gain compris entre 2000 et 2010, 111,04 hectares représentant 21,5 % dans le période 2010-2020). Ces résultats confirment ceux de Masimo et al., 2020 ; Muyaya et al., 2016 ; Molinario et al., 2015 ; Potapov et al., 2012 qui ont signalé dans différentes zones de la RDC une régression continue du couvert forestier au profit des autres classes d’occupation du sol.

38La déforestation de Kiyaka est passée de 57,3 hectares entre les années 2000 et 2010, soit un taux annuel de 0,39% à 144,39 hectares entre 2010 et 2020, soit un taux de 1,05%. Ce résultat corrobore ceux de Kyale Koy et al., 2019 ; Defourny et Kibambe, 2012 ; De Wasseige et al., 2012 ; Potapov et al., 2012 ; Duveiller et al., 2008 qui ont trouvé des taux de déforestation annuelle en RDC variant entre 0,18 et 0,46 % selon la zone cible, la période d’étude, les méthodes utilisées, ainsi que les types de forêts concernés. Le taux de déforestation annuelle de Kiyaka semble plus élevé à cause de la superficie initiale couverte par la forêt, mais aussi de l’importance de la pression que subit celle-ci. La classe forestière la plus affectée par la déforestation à la station de recherche de Kiyaka est celle de la forêt secondaire mature (environ 0,5% entre 2000 et 2010 et 1,1% entre 2010 et 2020), comparée à la classe de la forêt secondaire jeune laquelle a connu les taux de 0,02% et 0,89% respectivement pour les périodes situées entre 2000-2010 et 2010-2020. Ceci se justifie par le fait que les essences forestières exploitables sont localisées dans la strate mature.

39La comparaison des taux de déforestation entre les deux périodes 2000-2010 et 2010-2020 retenues dans cette étude montre que la régression de la superficie initiale des classes d’occupation du sol de la station de Kiyaka est plus prononcée pendant la seconde période (2010 et 2020). Ceci correspond directement à la courbe de croissance démographique de la population de Kiyaka. Ce résultat souligne la corrélation existante entre la croissance démographique de Kiyaka et la dynamique de sa déforestation. En effet, les habitants de la station forestière de l’INÉRA Kiyaka vivent essentiellement de l’agriculture. Celle-ci est du type migratoire sur brûlis. Elle est responsable des défrichements annuels des forêts, favorisant des pertes des terres agricoles, le retard de la régénération de la végétation, les dégradations des jachères et des forêts secondaires (Muoghalu, 2014 ; Fournier et al., 2001). La fabrication du charbon de bois, comme source d’énergie et de revenu, est aussi une des activités à laquelle la population a recours pour subvenir à ses besoins. Elle est également identifiée parmi les activités à la base de la déforestation. L’exploitation illégale du bois ou artisanale comme source de revenu par les résidents de notre site de recherche n’est pas à exclure (Balomba et al., 2018 ; Bamba et al., 2008). Contrairement aux autres années, les années 2008 et 2009 n’ont connu aucune perte de couvert forestier. Cette situation résulterait de la bonne gestion forestière pendant ces deux années. Les analyses ont montré une corrélation étroite entre la déforestation et les variables climatiques de notre zone de recherche. Il ressort de ces résultats que la déforestation de Kiyaka a une influence non négligeable sur les fluctuations de variables climatiques locales. Certes, les conditions climatiques constituent des facteurs limitants pour le maintien ou non des forêts tropicales, mais la présence des forêts joue un rôle capital sur le maintien de l’équilibre climatique (COMIFAC, 2015). L’activité agricole et anthropique qui concorde avec la dynamique démographique sont les facteurs prépondérants de la déforestation de notre site de recherche. Leurs pratiques étant non durables et en extension, elles limitent la régénération naturelle des arbres (Muoghalu, 2014 ; Fournier et al., 2001). L’usage du feu de brousse en agriculture itinérante détruit le réservoir des semences des arbres enfouies dans le sol, les semis en pousse et les drageons des souches en repousse.

Conclusion

40Le paysage de Kiyaka a connu de grands changements au cours ces deux dernières décennies. Cette étude a évalué le changement de l’occupation du sol de la station de recherche de l’INÉRA Kiyaka, avec un accent particulier sur la dynamique forestière. Il se dégage des analyses une bonne concordance entre les résultats des classifications des images satellitaires et les données collectées sur le terrain. Ceci est démontré par les valeurs de Kappa et de la précision globale, évaluées respectivement à environ 0,79 et 0, 83%.

41La station forestière de l’INÉRA Kiyaka connaît une dynamique très prononcée de la déforestation annuelle. Elle est passée du taux annuel de 0,39% entre les années 2000 et 2010 à un taux de 1,05% entre 2010 et 2020. Ces taux sont nettement supérieurs aux résultats obtenus dans plusieurs études réalisées en RDC comme ailleurs dans le monde. Ces pourcentages sont également élevés comparativement à la moyenne nationale estimée à 0,20 % par an. La tendance à la déforestation est remarquable durant toute la période à l'étude ; cependant elle est plus accentuée durant la période 2010-2020. Ceci résulte principalement de l’activité agricole et anthropique qui concorde avec la croissance démographique de la zone étudiée. Les résultats des analyses ont prouvé l’influence de la déforestation sur les variables climatiques locales de Kiyaka.

42Le couvert forestier de la station de l’INÉRA Kiyaka offre des biens et des services autant à sa population locale qu’à celle venant d’ailleurs. Sa déforestation constatée diminue les biens et services environnementaux qu’elle offre et par ricochet, menace la survie de ses résidents et de ceux de son arrière-pays (hinterland). Pour pallier cette problématique, l’érection de cette station en réserve protégée pourrait diminuer la pression de la population sur elle et contribuer au développement d'une mentalité et de pratiques écoresponsables avec ses habitants et ses voisins.

Cette recherche a été menée dans le cadre d’une étude de doctorat. Elle était autofinancée. Toutefois, nous remercions l’équipe de direction de la station forestière de l’INÉRA Kiyaka pour son aide et sa précieuse collaboration lors des travaux de terrain.