1La transhumance est un système de production animale caractérisé par un mouvement pendulaire et saisonnier en fonction de la disponibilité en eau et en fourrage pour les animaux (Toutain et al., 2012). En Afrique subsaharienne, l’élevage pastoral reste tributaire des ressources naturelles (pâturage, eau, cure salée) pour la satisfaction de ses besoins alimentaires. Ces ressources naturelles, à cause de la forte variabilité climatique saisonnière et interannuelle, sont inégalement réparties dans l’espace et le temps (Sawadogo, 2011). Dans le contexte actuel de forte pression foncière et du changement climatique, ces ressources sont surexploitées dans de nombreuses contrées de nos pays. Cette situation pousse les éleveurs à la transhumance pour assurer un meilleur entretien de leurs troupeaux (Kagoné, 2004).
2Au nord du Bénin, l’élevage bovin est confronté à la réduction de l’offre fourragère dans le temps et dans l’espace et connaît de ce fait des adaptations qui vont de la gestion technique du troupeau dans le temps et dans l'espace jusqu'à des entrées cycliques et temporaires dans les aires protégées (Djenontin, 2010). Le phénomène de la transhumance dans les aires protégées s’est aggravé à partir de 1975, au lendemain des grandes sécheresses qui ont éprouvé durement les pays du Sahel. Historiquement, la pénétration du bétail dans les aires protégées a été favorisée par la réduction drastique des ressources pastorales (Kagoné et al., 2006). Le bassin versant supérieur de la rivière Alibori qui a été érigé en forêt classée par Arrêté N°6459 SE du 18 août 1955 est confronté énormément aux phénomènes de transhumance, compromettant ainsi son rôle de conservation des ressources biologiques (Assani, 2015 ; Assani et al., 2016).
3En effet, l’élevage a été longtemps considéré comme une activité destructrice de l’environnement en ce qu’il contribue à l’accélération de la déforestation et de la désertification par les besoins accrus en pâturages (Convers, 2002 ; Toutain et al., 2004). Le surpâturage empêche la régénération naturelle du couvert végétal d’une part, et engendre l’érosion du sol, d’autre part (Laouali, 2014). En outre, la concentration du bétail autour des points d’eau entraîne le tassement du sol, la pollution de la nappe (Convers et al., 2007) et induit de fortes émissions de gaz à effet de serre (Gerber et al., 2013). Néanmoins, des connaissances sur le rôle positif du bétail dans le cycle de l’azote et du carbone dans les écosystèmes pastoraux ont été démontrées (Kiema, 2007 ; Assani et al., 2017). En effet, le bétail participe à la restitution de l’azote dans le sol des pâturages à travers des déjections animales. Par ailleurs, les pâturages constituent également des puits à carbone. La séquestration du carbone dans les prairies constitue une option pour compenser les émissions de gaz à effet de serre à hauteur d’environ 0,6 gigatonne d’équivalent CO2 par an (Gerber et al., 2013).
4L’ensemble de ces connaissances invite aujourd’hui à réfléchir sur la possibilité d’ouverture des aires protégées au bétail. Mais les ressources naturelles des aires protégées sont convoitées par plusieurs acteurs et cela engendre des conflits entre ces différents acteurs (Bello et Abdullahi, 2021 ; Nnaji et al., 2022 ; Setrana, 2022). La présente d'étude analyse les conditions d’ouvertures des aires protégées aux différents acteurs d'élevage bovin essentiellement. Ainsi, elle détermine leurs préoccupations dans la gestion des ressources pastorales dans la forêt classée de l’Alibori Supérieur, en lien avec les enjeux liés à la transhumance.
5La forêt classée de l’Alibori Supérieur (FC-AS) a été créée par l’Arrêté N° 6459 du 20 Août 1955. Elle couvre une superficie de 250 205,73 hectares et forme un vaste domaine. Elle est à cheval sur les départements de l’Atacora et de la Donga, et les départements du Borgou et de l’Alibori. C’est une forêt qui couvre six communes : Péhunco, Kérou, Banikoara, Gogounou, Sinendé et Kandi. Les enquêtes se sont déroulées dans ces six communes (Figure 1). La forêt présente cinq types de formations végétales. Il s’agit de forêts claires et de savanes boisées, de forêts galeries, de savanes arborées et arbustives, de savanes à emprise agricole et de mosaïques de cultures et de jachères. Le climat de la zone de la forêt classée de l’Alibori Supérieur est de type tropical. Deux saisons sont observables dans l’année : une saison sèche de novembre à mars et une saison des pluies d’avril à octobre. La pluviométrie moyenne annuelle est de 953 millimètres, alors que la température moyenne annuelle est de 28,5 °Celsius (ASECNA, 2016). La population des six communes riveraines à la FC-AS est estimée à 808 968 habitants composée de 50,2 % de femmes contre 49,7 % d’hommes (INSAE, 2015). Il existe trois groupes socio-culturels qui sont représentés par : les baatombu, les peulhs sédentaires et les transhumants peulh. Cette population est constituée de musulmans, d’animistes et de chrétiens (INSAE, 2014). L’élevage est la seconde activité économique de la zone d’étude après l’agriculture. Le cheptel bovin des communes riveraines est estimé à 561 537 têtes en 2020 soit 31,66 % de l’effectif du cheptel national (MAEP, 2022).
6La FC-AS dispose d’un plan d’aménagement depuis 2009. L’objectif de ce plan d’aménagement est la gestion participative par les communautés locales, les communes riveraines et l’État en vue de la préservation des ressources de la forêt et de la satisfaction durable des besoins desdits acteurs. Cette forêt classée compte neuf unités d’aménagements (UA) reparties dans les six communes riveraines. Les UA sont des divisions géographiques de la forêt classée. Elles ont pour but de regrouper sur une partie de la forêt un certain nombre de villages partageant la forêt classée en vue de sa gestion. Il s’agit de l’UA de Gnémasson (commune de Ouassa-Péhunco), UA de Sékéré et de Niaro (commune de Sinendé), UA de Bagou et de Lougou (commune de Gogounou), UA de Sam (commune de Kandi), UA de Fètèkou et de Pikiré (commune de Kérou) et UA de Gbassa (commune de Banikoara) (Tableau 1).
7La mise en œuvre de ce plan d’aménagement a souffert notamment de l’absence des agents de l’administration forestière sur le terrain. Cette absence est due au déficit du personnel forestier, abandonnant seules les organisations locales à l’effort de sa mise en œuvre. Neuf villages ont été retenus dans les neuf unités d’aménagement de la forêt classée de l’Alibori Supérieur pour caractériser les acteurs et analyser les enjeux de la transhumance, ainsi que des préoccupations des acteurs dans la gestion des ressources pastorales de cette forêt.
Figure 1. Localisation de la forêt classée de l’Alibori Supérieur
8Les entretiens semi-structurés avec des éleveurs transhumants, des personnes-ressources et les observations sur le terrain ont constitué les approches utilisées. Les enquêtes ont été effectuées de novembre 2016 à février 2017 dans les villages riverains de la forêt classée de l’Alibori Supérieur au nord du Bénin. Le choix de ces villages a été fait de concert avec les responsables des éleveurs de Bagou, Kérou et Sinendé. Les critères de ce choix sont basés essentiellement sur la proximité des villages (à une distance de 10 kilomètres en moyenne) à la forêt classée de l’Alibori Supérieur, l’effectif élevé des cheptels bovins et l’accueil des éleveurs transhumants. Un groupe de discussion (focus group) de 8 à 10 personnes a été ainsi organisé au niveau neuf villages. Toutes les autorités locales des villages (chefs de terre, notable Peul, notable Batombou, Dendi et chefs de village) ont participé à des entretiens semi-structurés et aux groupes de discussion.
9Des groupes de discussion et les enquêtes structurées ont été également effectués auprès de 36 personnes-ressources (6 personnes des services administratifs, 9 chefs traditionnels des villages riverains, 21 représentants des associations diverses) intervenant dans la gestion de la transhumance. Les questions étaient relatives aux acteurs impliqués dans la gestion de la transhumance dans cette forêt, les types d’enjeux (environnementaux, socioculturels et économiques), les types de conflits liés à la transhumance dans cette forêt et les préoccupations des acteurs dans l’exploitation des ressources pastorales. La méthode d’échantillonnage utilisée dans le cadre de cette étude a été l'échantillonnage raisonné, afin de prendre en compte tous les acteurs intervenant dans la gestion de transhumance dans cette zone d’étude. Un taux de sondage de 40 % a permis de déterminer la taille de l’échantillon (n) avec la formule de Dagnelie (1998) :
10où U1-α/2 est la valeur de la variable aléatoire normale pour une valeur de la probabilité; pour un seuil de significative α = 0,05, U21-α/2 = 3,84 et d = 0,03 est la marge d’erreur qui a été fixée en tenant compte des travaux antérieurs sur cette zone sur les acteurs de transhumance (Houinato et al., 2013 ; Lesse, 2016). Ainsi, le nombre d’éleveurs à enquêter est égal à 300, proportionnellement répartis entre les neuf unités d’aménagement (Tableau 1).
Tableau 1. Répartition des ménages échantillonnés par village
Communes
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Unité d’aménagements
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Villages
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Taille échantillonnée
|
Ouassa-Péhunco
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Gnémasson
|
Gnémasson
|
30
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Sinendé
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Sékéré
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Yarra
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35
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Niaro
|
Niaro
|
31
|
Gogounou
|
Bagou
|
Diadia
|
31
|
Lougou
|
Lougou
|
34
|
Kandi
|
Sam
|
Sam
|
36
|
Kérou
|
Fètèkou
|
Fètèkou
|
30
|
Pikiré
|
Pikiré
|
35
|
Banikoara
|
Gbassa
|
Gbassa
|
38
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06
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09
|
09
|
300
|
11Les analyses statistiques des données ont porté sur les fréquences pour les variables qualitatives sur le logiciel R 3.4.2 (R Core Team, 2017). Pour identifier les acteurs de la transhumance et de la gestion des ressources pastorales à la FC-AS en fonction de leur rôle, une Analyse en composante principale (ACP) a été réalisée à l’aide du package FactoMineR (Husson et al., 2016).
12La contribution cumulée à l’inertie des deux premiers axes factoriels a été de 97 % ce qui garantit une grande précision dans l’analyse des données.
- 1 Éclaireur et chefs de groupe des éleveurs transhumants
13Le premier axe factoriel différencie les institutions de gestion de la transhumance dans la forêt classée de l’Alibori dont le rôle est la régulation de l’accès aux ressources d’une part, et des usagers en concurrence (éleveurs, agro-éleveurs, agriculteurs, exploitants forestiers et pêcheurs) pour l’accès aux ressources naturelles pastorales de la forêt classée de l’Alibori Supérieur d’autre part (Figure 2). Cet axe permet alors de différencier deux catégories d’acteurs dans la gestion de la transhumance et des ressources naturelles dans la forêt classée de l’Alibori Supérieur, il s’agit des institutions de légalité et de légitimé (CTAF, chefs coutumiers, garso1, élus locaux des communes, services déconcentrés de l’État, ONG et associations des agriculteurs et éleveurs) et des acteurs en concurrence pour l’exploitation des ressources naturelles pastorales (éleveurs, exploitants forestiers, pêcheurs, agriculteurs, agro-éleveurs, et cetera).
14Le deuxième axe factoriel oppose les institutions de la légalité (administration forestière, services techniques de l’État, groupements et associations des producteurs et des éleveurs) aux institutions de la légitimité (chefs de villages, chefs de terres, chefs peuls ou ruggas, chefs de groupe des éleveurs transhumants ou garso). Chacune des institutions réclame une gestion des ressources de cette forêt.
Figure 2. Projections des variables (A) et des individus (B) sur l’axe factoriel 1 et 2
15Si chacun des groupes d’acteurs a des intérêts propres, ceux-ci peuvent être contradictoires. Un regard plus global sur l’analyse de ces intérêts permet de mettre en évidence les enjeux environnementaux, socioculturels, économiques, identitaires et de légitimités ainsi que conflictuels.
16En ce qui concerne les enjeux environnementaux, la présence du bétail domestique dans la FC-AS est autorisée suite à l’adoption d’un plan d’aménagement en 2009. Tous les éleveurs enquêtés (100 %) font recours à la FC-AS pour l’alimentation de leur bétail en période de soudure. Les entretiens indiquent également que certains éleveurs transhumants (30 %) établissent des petits campements à l'intérieur du parc. Dans ce cas, il se produit obligatoirement une dégradation du couvert herbacé aux alentours des campements par le phénomène de surpâturage localisé d'une part, et par le fait de l'existence même des campements d'autre part. En outre, certains transhumants (10 %) allument des feux tardifs, ce qui est nuisible tant à la strate herbacée qu'au peuplement ligneux lorsqu’ils sont répétitifs.
17Pour ce qui est des enjeux culturels, les agriculteurs enquêtés (30 %) dans la zone riveraine de la forêt classée de l’Alibori Supérieur, citent la fertilisation à travers le parcage des animaux transhumants dans leurs champs comme un avantage.Par ailleurs, parmi les transhumants qui ont répondu à nos questions, 20 % ne pensent plus retourner dans leur zone d’attache ; tous ont été rencontrés les bas-fonds des cours d’eau. Parmi eux, seuls 8 % des transhumants nigériens ont opté pour ce choix, contre 55 % des transhumants béninois ; par contre tous les transhumants burkinabés rencontrés pensent rentrer chez eux à la fin de la saison de transhumance.
18La transhumance a également des incidences économiques dans la zone riveraine de la forêt classée de l’Alibori Supérieur, notamment sur la vie des ménages, l’animation des marchés de bétail, la création d’emplois, le fonctionnement des structures de conservation de la réserve. Tous les personnes-ressources enquêtées (100%) reconnaissent la contribution de la transhumance dans l’économique locale. En effet les taxes sont perçues par toutes les mairies (100%) de la zone d’enquête (taxes de pacage, droit d’abreuvement, taxe de transit, taxe de développement local) ; les forestiers (taxes d’entrée dans les aires protégées aménagées, et la caution de garantie) ; les chefs coutumiers (taxe de séjour). Il faut également noter que la période d’arrivée des transhumants dans les zones d’accueil est un moment où les marchés des communes riveraines de la forêt classée d’Alibori Supérieur sont plus animés selon 86 % des personnes enquêtées dans les zones d’accueil des transhumants.
19De même, les prises de décision de gestion de la transhumance et des ressources naturelles pastorales de la forêt classée de l’Alibori Supérieur reviennent en majorité (90 %) aux institutions de la légalité (administration forestière, services techniques de l’État, groupements et associations des producteurs et des éleveurs) et aux institutions de la légitimité (chefs de villages, chefs de terres, chefs peuls ou ruggas, chefs de groupe des éleveurs transhumants ou garso). Les institutions de la légalité devraient travailler en synergie d’action avec les institutions de la légitimité. Mais ce constat n’est pas toujours fait, ce qui engendre souvent des conflits d’intérêts entre différents membres de ces institutions. Ainsi, les institutions de la légitimé réclament la gestion des espaces de cette forêt selon la loi coutumière, alors que les institutions de légalité imposent la loi moderne en vigueur en République du Bénin.
20Enfin, des conflits et des tensions ont toujours existé entre les pasteurs et agriculteurs. La principale source de ces différends est la divagation des animaux dans les champs des paysans selon la majorité des agriculteurs enquêtés (80 %). Les responsables des éleveurs (100 %) des communes riveraines sont unanimes : la transhumance souffre aujourd’hui d’un manque d’organisation, de contrôle et d’une absence de dispositifs d’accueil. Ils ajoutent que la plupart des pasteurs nationaux et étrangers font fi des périodes de départ, des itinéraires et des périodes de retour fixés par la loi sur la transhumance. Le souci des transhumants (100 %) est de satisfaire, au mieux, les besoins de leurs animaux. Les types et les causes de conflits sont résumés dans le Tableau 2.
Tableau 2. Résumé des types de conflits et causes liés à ces conflits
Types de conflits
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Causes des conflits
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Éleveurs-Agriculteurs
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Les dégâts aux cultures, sur pied ou en stockage ;
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Envahissement des jachères réservées aux bœufs de trait des agriculteurs par les troupeaux peulhs ;
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Conduite des troupeaux par de très jeunes bouviers distraits, qui peuvent perdre le contrôle des animaux ;
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Prise de stupéfiants par les agents pour augmenter leur capacité de travail, mais qui les rendent impatients face aux incidents mineurs ;
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Installation de champ sur les domaines délaissés par les éleveurs pour la transhumance de longue période et/ou de distance, ou sur les couloirs de passage pour les animaux ;
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Appropriation des retenues d'eau par une minorité en occurrence, les agriculteurs, pour les cultures maraîchères, la lessive et la vaisselle.
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Éleveurs-Agents forestiers
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Interdiction d'utilisation des forêts classées par les forestiers ;
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Méconnaissance et/ou non-respect des limites des forêts classées par les éleveurs ;
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Non-paiement des taxes d'entrée dans la forêt classée ;
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Émondage, élagage abusif des ligneux fourragers et dégradation des parcours due aux piétinements de la surcharge animale ;
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Rançonnement et/ou amende lourds imposés à l'éleveur.
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Éleveurs-Exploitants forestiers
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Abattages des ligneux fourragers par les exploitants forestiers ;
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Renseignements de la position dans la forêt classée des éleveurs aux agents forestiers par les exploitants.
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Éleveurs sédentaires-Éleveurs transhumants
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Véhicule des maladies par les animaux transhumants transfrontaliers ;
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Dégâts nocturnes aux cultures des éleveurs transfrontaliers qui s'éloignent très vite, mais répercutés aux éleveurs locaux.
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Éleveurs-Pêcheurs
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Appropriation des cours d'eau par les pêcheurs ;
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Utilisation des pesticides chimiques par les pêcheurs empoisonnant les eaux.
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Éleveurs-Chasseurs
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Abattages des pintades des éleveurs ;
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Poses de pièges par les chasseurs dans lesquels tombent les bovins.
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21Les préoccupations exprimées varient selon le type d’acteur concerné, qui peut relever des utilisateurs des ressources pastorales, des institutions administratives, des associations ou encore des autorités locales
22Pour ce qui est des utilisateurs des ressources pastorales, la Figure 3 présente la proportion des préoccupations exprimées par les éleveurs. La préoccupation majeure des éleveurs (70,4 %) pour la gestion de la transhumance à l’intérieur de la forêt classée de l’Alibori Supérieur a été l’aménagement et la sécurisation des ressources pastorales. Certains éleveurs (16,5 %) sont plus intéressés par le règlement des conflits entre les acteurs de la transhumance. Aussi, d’autres éleveurs (8,1 %) sont préoccupés par leur implication dans les processus de prises de décision liés à la gestion de la transhumance. La maîtrise des processus de fixation des taxes imposées aux éleveurs constitue une préoccupation par laquelle ils sont aussi concernés.
Figure 3. Proportion des préoccupations des éleveurs
23Deux préoccupations majeures sont exprimées par les agriculteurs exploitants de la FC-AS. D’une part, la sécurisation des cultures par la création d’une zone de culture a été exprimée par la majeure partie des agriculteurs (83,6 %) de la FC-AS ; d’autre part, la réduction des conflits entre agriculteurs et éleveurs (16,4%) devrait apporter une meilleure collaboration des deux parties (Figure 4).
Figure 4. Proportion des préoccupations des agriculteurs
24En ce qui concerne les institutions administratives, quatre niveaux de préoccupations ont été identifiés au niveau des agents forestiers. Dans la gestion de la transhumance à l’intérieur de la FC-AS, la sensibilisation des éleveurs transhumants et l’exploitation des ressources pastorales de la FC-AS sont les défis à relever selon les agents forestiers (67,3 %). La restauration et l’enrichissement de la FC-AS par les essences à croissance rapide (20 %) et la création de zones tampons (12,6 %) ont été deux autres préoccupations préalables pour la sauvegarde de la biodiversité dans le contexte de la gestion de transhumance à l’intérieur de la FC-AS (Figure 5).
Figure 5. Proportion des préoccupations des agents forestiers
25La Figure 6 présente les proportions des préoccupations des services déconcentrés de l’État pour la gestion de la transhumance à l’intérieur de la FC-AS. Les services déconcentrés de l’État (mairies, Secteur communal pour le développement agricole (SCDA), collectivités locales) ont pour préoccupation majeure de faire respecter les textes et lois liés à la transhumance (47,4 %). La construction d’infrastructures agropastorales (28 %) a été également un défi à relever, car elles sont soit insuffisantes, soit non aménagées. Le désir de contrôle des flux des troupeaux transhumants dans les communes riveraines à la FC-AS a été exprimé par les responsables de gestion de la transhumance enquêtés (24,6 %) au niveau des services déconcentrés de l’État.
Figure 6. Proportion des préoccupations des services déconcentrés de l’État
26Enfin, en matière d’associations et d’autorités locales, les ONG et les associations d’éleveurs (Association nationale des organisations professionnelles d’éleveurs de ruminants - ANOPER, Union départementale des organisations professionnelles d’éleveurs de ruminants - UDOPER, Union communale des organisations professionnelles d’éleveurs de ruminants - UCOPER) ont été intéressées beaucoup par la sensibilisation des éleveurs (56,6 %) sur les conduites à tenir quant à la pratique de la transhumance surtout lorsqu’elle est dirigée vers la FC-AS. L’appui technique (25,1 %) et la gestion de la transhumance au sein des éleveurs transhumants (18,3 %) ont été également évoqués comme autres préoccupations pour contribuer à l’essor des transhumants contraints d’exploiter les ressources de la FC-AS (Figure 7).
Figure 7. Proportion des préoccupations des ONG et associations d’éleveurs
27La Figure 8 présente les proportions des préoccupations des chefs coutumiers pour la gestion de la transhumance à l’intérieur de la FC-AS. Les chefs coutumiers (chef de village, chef peulh ou rugga) des localités riveraines à la FC-AS défendent la possibilité d’une transhumance apaisée (79,1 %) et ensuite celle de leur implication dans la gestion de la transhumance (20,9 %).
Figure 8. Proportion des préoccupations des chefs coutumiers
28Le garso a été préoccupé par le respect de ses instructions par tous les transhumants (63,4 %). Il est parfois donné au garso de constater que certains transhumants ont transgressé ses instructions en allant par exemple faire paître consciemment leurs animaux dans les cultures des agriculteurs. Il a été aussi important pour le garso (36,6 %) que l’hospitalité des populations des lieux de transits et d’accueil soit bonne (Figure 9).
Figure 9. Proportion des préoccupations du garso
29Les principaux acteurs impliqués dans la gestion de la transhumance dans la FC-AS peuvent être regroupés en trois grandes catégories, les utilisateurs des ressources pastorales (éleveurs transhumants, les agriculteurs, pêcheurs, chasseurs et exploitants du bois) ; les responsables des services d’État (agents forestiers et agents des services déconcentrés de l’État) et les responsables des associations et autorités coutumières (associations et ONG, le garso et les chefs coutumiers). Les résultats de cette étude sont similaires à ceux identifiés par certains auteurs (Bouraïma, 2007 ; Chabi Boum, 2011, Azalou et al., 2023), qui ont également trouvé plusieurs acteurs de la transhumance. Pour Audouin et Gautier (2017), plusieurs acteurs à différents niveaux sont impliqués dans la gestion des ressources naturelles, et il peut s'agir d'autorités coutumières (au niveau du village), décentralisées (au niveau de la municipalité), déconcentrées (au niveau méso), d'administrations centrales (au niveau étatique), ou encore de groupements privés auxquels l'État central a accordé un droit de gouvernance sur un territoire donné, sous réserve du suivi des règles de gestion de la ressource.
30Nos résultats concordent également avec ceux de Roldán et al. (2015), qui ont observé que plusieurs acteurs étaient impliqués dans la gestion et la gouvernance des systèmes socio-écologiques. Dans notre site d’étude, les ressources pastorales de FC-AS ont montré un nombre élevé de bénéficiaires et de parties prenantes impliqués dans leur gestion, ce qui souligne leur forte importance dans la région. Dovonou-Vinagbè et Chouinard (2009) soulignent également que plusieurs acteurs interviennent dans la gestion des ressources naturelles au Bénin : l'État et la société civile qui jouent un rôle de protection des ressources naturelles et les collectivités locales qui dépendent des ressources.
31Quant à CORAF/WECARD (2015), au niveau transfrontalier de la zone d’Afrique de l’Ouest, des acteurs clés de la transhumance transfrontalière ont été les « ruggas », les organisations professionnelles locales des éleveurs et des pasteurs, les organisations locales des agriculteurs et d’ autres usagers des ressources naturelles, les chefs traditionnels, les services déconcentrés de l’État, des ONG et les institutions de recherche et de développement de l’élevage pastoral intervenant dans la zone transfrontalière concernée et ont été retenu pour figurer en tant que membres de la plateforme d’innovation élaborée par la synergie d’action entre la CEDEAO et le CORAF. La grande diversité des types d'acteurs impliqués dans la gestion des ressources naturelles peut s'expliquer par des logiques et des choix intentionnels différents tels que la préférence pour les bénéfices locaux par rapport aux bénéfices nationaux (Vallet et al., 2019).
32Les résultats de cette étude ont également montré qu’il n’y a pas un mode standard de gestion de la transhumance au niveau des services déconcentrés de l’État puisque les informations relatives aux lois régissant la transhumance ne parviennent pas toujours à tous les acteurs, en l’occurrence les éleveurs transhumants qui exploitent la FC-AS. Au niveau transfrontalier, Kagoné et al. (2006) font remarquer que malheureusement, ces textes sont méconnus et/ou non appliqués par la plupart des acteurs de la transhumance transfrontalière. Ce constat renforce la nécessité d’organiser des campagnes et des sessions d’information et de sensibilisation en faveur des éleveurs transhumants et des différents acteurs impliqués (agriculteurs, services de sécurité, services techniques et administratifs, collectivités locales, populations, et cetera) dans la transhumance au niveau des zones de départ, de transit et d’accueil des troupeaux transhumants. Face aux difficultés, chaque service de gestion essaye d’accroître son potentiel financier en instituant des taxes élevées, multiples et multiformes par rapport aux activités pastorales. Paradoxalement, ces taxes perçues ne sont pas réinvesties dans les activités d’aménagement agropastoral de la zone d’intervention. Les comités de transhumance censés intervenir dans les crises de transhumance (les conflits) ne sont pas toujours au rendez-vous et les éleveurs sont souvent obligés de se référer à l’autorité administrative.
33La concurrence pour le contrôle de l’espace agrosylvopastoral constitue l’enjeu majeur aboutissant aux conflits. Par exemple, dans notre étude, un agriculteur affirme : « Nous ne pouvons pas laisser nos terres pour le pâturage alors que nous devrons nourrir nos familles grandissantes, que les éleveurs aillent chercher leur pâturage plus loin » (Agriculteur riverain de la FC-AS, Bagou, entretien réalisé en février 2017). De leur côté, les éleveurs affirment : « Les zones de pâturage et les couloirs sont réduits par l’extension des superficies de champs, nous sommes donc obligés de réagir pour ne pas laisser notre bétail mourir de faim et de soif. Aussi nous ne pouvons voir des forêts non exploitées alors que nos animaux n’ont de quoi manger ; en fait la terre n’appartient à personne ». (Eleveur riverain de la FC-AS, Niaro, entretien réalisé en février 2017). Face à ces deux assertions, les conflits sont dès lors fréquents dans tous les villages de la zone d’étude, surtout ceux qui font l’objet de transits pour la transhumance. Ces résultats concordent avec ceux de Ka et al.(2021), qui notent également des tensions dans l’occupation de l’espace pastoral au Ferlo.
34Les conflits entre agents forestiers et éleveurs observés dans la zone d’étude résultent du fait que la zone de pâturage prévue dans le plan d’aménagement de cette forêt n’est pas encore délimitée, mais également de la méconnaissance des limites de la forêt. Généralement, la source des conflits entre agriculteurs et éleveurs est le préjudice causé par le bétail aux agriculteurs dans les champs. Ce même constat est fait aussi bien par Kiéma et al. (2015). Ces auteurs ont montré que les litiges et conflits reposent essentiellement sur des revendications de droit de propriété relative, surtout aux pâturages, aux espaces cultivés et aires classées ou aux plans d’eau.
35Les conflits entre éleveurs transhumants et agriculteurs pour l’accès à l’espace pastoral sont fréquents dans la zone d’étude. Ces constats sont similaires à ceux observés dans plusieurs pays en Afrique de l’Ouest (Nigeria, Ghana et Sénégal) (Bello et Abdullahi, 2021 ; Ka et al., 2021 ; Nnaji et al., 2022 ; Setrana, 2022) où les États prennent aujourd’hui des actions pour limiter le déplacement des troupeaux bovins. Il s’agit par exemple au Bénin de la création d’un campement pastoral, de l’installation des parcelles fourragères, de l’amélioration génétique animale, à travers le Projet de sédentarisation des troupeaux de ruminants (ProSeR). Les principales préoccupations des éleveurs transhumants exploitant les ressources de la FC-AS sont l’aménagement et la sécurisation des ressources pastorales. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’eau, les ressources fourragères et la sécurité des animaux constituent les causes majeures de la présence de ces éleveurs dans la FC-AS. Lesse et al. (2015) ont également fait ce même constat en traitant des contraintes liées à la transhumance au Bénin. Kagoné (2004) a également identifié deux facteurs qui ont historiquement favorisé la pénétration du bétail dans le parc du W. Il s’agit de la réduction drastique de l’espace et des ressources pastorales et de la faiblesse de la surveillance.
36Il ressort également des propos des éleveurs qu’ils sont victimes de l’occupation anarchique des pistes et aires de pâturage, de taxes élevées au cours de la transhumance de la part des forces de l’ordre, de la prédation des animaux domestiques et par les fauves tant à l’intérieur que dans la périphérie, et enfin d’abattages punitifs par les gardes forestiers d’animaux pâturant illégalement dans la forêt. Ces mêmes constats ont été faits par Kagoné et al. (2006) sur la gestion de la transhumance transfrontalière dans la région du parc du W.
37Les ressources naturelles de la forêt classée de l’Alibori Supérieur sont très convoitées par plusieurs acteurs. Ainsi, ces ressources sont utilisées soit pour le pâturage (éleveurs, agro-éleveurs), soit sous la forme de terres agricoles (agriculteurs, agro-éleveurs), de bois d’œuvre (exploitants forestiers), de bois de feu (agriculteurs, éleveurs), de cueillette (femmes agricoles), et cetera. Tous ces acteurs sont préoccupés par la gestion des ressources, mais leurs préoccupations varient en fonction des contraintes auxquelles ils font face dans l’exploitation de ces ressources. Pour une exploitation pastorale judicieuse et durable des ressources dans les aires protégées par les éleveurs, nous suggérons aux décideurs de toujours procéder à l’évaluation des préoccupations des acteurs dans le processus de mise en œuvre des plans d’aménagements forestiers.
Ce travail a été financé par la Fondation internationale pour la science (IFS-D/5824-1) et le programme « In-Country/In-Region Programme SLGA Research Fellowships (57388733) » de German Academic Exchange Service (DAAD) accordée à Alassan Assani Seidou. Les auteurs expriment également leur reconnaissance aux éleveurs qui ont accepté de participer à cette enquête.