L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt. Ce travail n’a bénéficié d’aucun soutien financier.
- 1 Toutes les citations textuelles des articles sont des traductions libres lorsque dans une langue au (...)
1Au début de la CdP-28, considérant le cadre ubuesque d’une conférence climatique tenue dans un État pétrolier et présidée par un directeur de compagnie pétrolière, on pouvait s’attendre a très peu de progrès, sauf dans des domaines particuliers comme les pertes et préjudices. Exprimé dans les mots de George Monbiot, journaliste britannique, publié dans The Guardian, la CdP-28 s’annonçait comme « une farce manipulée pour échouer » (Monbiot, 20231). En cela, on pouvait pressentir la CdP-28 comme un reflet de la CdP de Varsovie, largement influencée par l’industrie du charbon du pays hôte, mais qui avait néanmoins permis une percée dans la prise en compte du principe de perte et préjudices (Weissenberger, 2013).
2Initialement, ce diagnostic semblait conforté puisqu’une entente sur les pertes et préjudices est intervenue le premier jour de la négociation, et que par la suite, les négociations semblaient s’enliser dans des discussions de couloir et sous l’influence des lobbies. L’inclusion, dans le texte final, d’une transition hors des combustibles fossiles, a ainsi été un véritable coup d’éclat. Néanmoins, ce texte comporte de nombreuses lacunes. :Nous voulons ici, à travers une analyse médiatique sélective, voir quel bilan établissent divers acteurs de la CdP-28. Pour ce faire, nous avons ciblé quatre médias dans quatre différents pays, ayant couvert de manière importante la CdP-28, notamment à l’aide d’envoyés spéciaux. Il s’agit du quotidien britannique The Guardian, du quotidien français Le Monde, du service de diffusion Radio-Canada et du quotidien allemand Süddeutsche Zeitung. L’analyse de ce contenu a porté sur les éléments d’information et d’évaluation apportés quant au processus et au résultats de la CdP-28, avec une attention particulière aux jugements exprimés par les différents acteurs interviewés. L’organisation suit une logique chronologique jusqu’à l’accord final, ainsi qu’une logique thématique suivant les thèmes principaux identifiés dans les publications consultées. Il s’agit évidemment d’un portrait partiel de l’opinion médiatique naturellement limitée par le choix des médias sélectionnés et qui est centré sur une vision occidentale et ne prétend ainsi pas être exhaustive. Il serait ainsi intéressant de comparer cette vision avec celle de médias du Sud global ou de pays en transition.
3L’approbation, dès le premier jour de la CdP-28, d’un fonds sur les pertes et préjudices, mécanismes visant à dédommager des pays moins riches des impacts des changements climatiques, a été considérée comme un grand succès pour les organisateurs, étant donné qu’il est rare que des décisions soient atteintes si tôt lors d’une CdP (Le Monde/AFP, 2023a). Le hic est évidemment la faible ampleur du financement de ce fonds. Environ 700 millions de dollars ont été promis par les pays donateurs, un montant dérisoire face aux 400 milliards annuels estimés de pertes et dommages (Lillo et al., 2023). Comme le résume bien la Sénégalaise Madeleine Diouf Sarr, présidente du groupe des Pays les moins avancés, « […] un fonds vide ne peut pas aider nos citoyens » (Le Monde/AFP, 2023a).
4La nomination à la présidence de la CdP-28 de Sultan Al Jaber, PDG de la compagnie nationale de pétrole et de gaz des Émirats arabes unis, Adnoc, était évidemment un sujet de discorde depuis son annonce, ces deux rôles semblant a priori incompatibles. En prélude à la CdP-28, certains journaux, notamment le Guardian et Le Monde, relataient des efforts entrepris par l’équipe d’Al-Jaber pour améliorer l’image des Émirats arabes unis et d’Adnoc sur l’encyclopédie Wikipédia et le réseau social X (anciennement Twitter) (Foucart, 2023). Ses déclarations controversées sur l’« absence de science démontrant qu’un abandon des combustibles fossiles permettrait d’atteindre l’objectif de 1,5C » et l’affirmation que l’abandon des combustibles fossiles équivaudrait à un « retour dans les cavernes » (Carrington et Stockton, 2023), ont créé encore plus de méfiance parmi de nombreux observateurs.
5Par ailleurs, la CdP-28 accueillait un nombre record de lobbyistes des combustibles fossiles, soit 2456 (sur 97 000 personnes accréditées) selon une compilation faite par des organisations environnementales, délégués qui, selon Lili Fuhr du Center for International Environment Law, « inondaient les halls et pavillons » (dpa, 2023). Certains observateurs voyaient dans tous ces amalgames et conflits d’intérêt une tentative de « torpiller auprès des opinions toute la crédibilité du processus de négociations multilatérales engagé depuis 1992 » (Foucart, 2023).
6Malgré tout cela, et grâce à l’accord de dernière minute décroché in extremis, le rôle du président de la conférence a été perçu de manière largement positive a posteriori, autant par les représentants des pays développés, soulignant son acharnement d’arriver à un accord, que par ceux des pays en développement, louant sa capacité d’écoute et d’empathie vis-à-vis de leurs préoccupations, se démarquant en cela de nombre de ses prédécesseurs, ainsi que de ses efforts déployés dans une tournée mondiale à la rencontre des communautés insulaires, des jeunes, des femmes, des communautés désavantagées et des peuples autochtones, en préparation de la CdP (Harvey, 2023a,b). Il est aussi souligné qu’Al Jaber a fondé l’entreprise Masdar, entièrement tournée vers les énergies renouvelables et s’est ainsi personnellement investi dans un futur sans combustibles fossiles (Bauchmüller, 2023a). Cette ouverture au dialogue s’aligne avec la participation des Émirats Arabes Unis au dialogue de Carthagène, un des rares groupes de discussion au sein des négociations climatiques qui réunit des pays du Sud et du Nord global.
7Après une rallonge de négociations, la CdP-28 a finalement accouché d’un accord incluant la transition hors des combustibles fossiles. Bien qu’au final surprenant, étant donné que la première version du texte n’en faisait aucune mention, cet accord n’est cependant pas intervenu ex nihilo, mais résultait d’une préparation méticuleuse du duo d’Al Jaber et de Simon Stiell, secrétaire exécutif de la CCNUCC. Ce dernier, ancien ministre et négociateur en chef de La Grenade, a utilisé de manière habile le bilan mondial (global stocktake en anglais) pour introduire la question des combustibles fossiles dans les négociations (Harvey, 2023a). Cet exercice, inscrit dans l’article 14 de l’accord de Paris, consiste à analyser les trajectoires climatiques résultant des contributions déterminées au niveau national (CDN) pour évaluer les progrès à faire envers les objectifs de l’accord de Paris. L’analyse de 170 000 pages de documentation (Harvey, 2023a) a permis à la CCNUCC de conclure qu’une majorité de pays demandait « un retrait graduel de tous les combustibles fossiles […] de cesser toute exploration et tout développement de pétrole, gaz et charbon et cesser leur production d’ici 2050 » (CCNUCC, 2023, p. 12).
8Cet accord a suscité une réception ambivalente dans les médias et les acteurs s’y exprimant (tableau 1). Plusieurs observateurs qualifient l’accord d’historique ou de « monumental » (Steven Guilbault, ministre de l’Environnement du Canada, dans La Presse Canadienne, 2023), tandis que d’autres sont beaucoup plus nuancés.
Tableau 1. Articles portant sur la COP dans des publications sélectionnées (traductions libres entre parenthèses)
Source/média
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Titre (traduction libre)
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The Guardian (Royaume-Uni)
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- Ambrose, J., 2024. Big five oil companies to reward shareholders with record payouts (Les cinq grandes pétrolières récompenseront leurs actionnaires avec des paiements record), 1 janvier 2024. [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/business/2024/jan/01/oil-companies-shareholders-payouts-bp-shell-chevron-exxonmobil-totalenergies
- Carrington, D., 2023, Failure of Cop28 on fossil fuel phase-out is ‘devastating’, say scientists (Le manquement de la CdP-29 d’éliminer les combustibles fossiles « dévastatrice » selon les scientifiques), 14 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/14/failure-cop28-fossil-fuel-phase-out-devastating-say-scientists.
- Carrington, D. et B. Stockton, 2023. Cop28 president says there is ‘no science’ behind demands for phase-out of fossil fuels (Le président de la CdP dit qu’il n’y a « pas de science » derrière l’appel à l’abandon des combustibles fossiles), 3 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/03/back-into-caves-cop28-president-dismisses-phase-out-of-fossil-fuels
- Green, G., 2023, Environmental campaigners filmed, threatened and harassed at Cop28 (Des militants environnementaux filmés, menaces et harcelés à la CdP-28), 20 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/20/threats-intimidation-creating-climate-of-fear-un-cop-events
- Harvey, F., 2023a, ‘The future is renewable’: How a huge gamble sealed Cop28 deal (Le future est renouvelable: comment un grand pari scella l’entente de la CdP-28), 15 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/15/fossil-fuels-how-a-huge-gamble-sealed-cop28-deal
- Harvey, F., 2023b, Cop28 president says his firm will keep investing in oil (Le président de la CdP dit que sa compagnie continuera à investir dans le pétrole), 15 décembre 2023 [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/15/cop28-president-sultan-al-jaber-says-his-firm-will-keep-investing-in-oil.
- Lakhani, N., 2023, Indigenous people and climate justice groups say Cop28 was ‘business as usual’ (La CdP-28 comme maintien du status quo selon les peoples indigènes et les groups de justice climatiques), 13 décembre 2023 [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/13/indigenous-people-and-climate-justice-groups-say-cop28-was-business-as-usual.
- Monbiot, G., 2023, Cop28 is a farce rigged to fail, but there are other ways we can try to save the planet (La CdP-28 est une farce manipulee pour échouer, mais il y a d’autres moyens par lesquels nous pouvons essayer de sauver la planète), 9 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/dec/09/cop28-rigged-fail-save-planet-climate-summit-fossil-fuel.
- Morton, A., P. Greenfield, F. Harvey, N. Lakhani, D. Carrington, 2023, Cop28 landmark deal agreed to ‘transition away’ from fossil fuels (Une entente phare de ‘transition hors’ des combustibles fossiles agréée à la CdP-28), 13 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.theguardian.com/environment/2023/dec/13/cop28-landmark-deal-agreed-to-transition-away-from-fossil-fuels.
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Sueddeutsche (Allemagne)
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- Bauchmüller, M., 2023a, Noch eine Gnadenfrist für Öl und Gas (Encore une période de grâce pour le pétrole et le gaz), 13 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/projekte/artikel/politik/cop28-analyse-der-ergebnisse-e231345/
- Bauchmüller, M., 2023b, Ausgerechnet er (Justement lui), 15 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/politik/profil-al-dschaber-duba-klimakonferenz-1.6320009
- Dpa, 2023, UN-Klimakonferenz: Anfang vom Ende der Fossilen? (Conférence des Nations unies : Début de la fin des fossiles?), 13 décembre, 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/politik/un-un-klimakonferenz-anfang-vom-ende-der-fossilen-dpa.urn-newsml-dpa-com-20090101-231212-99-261877
- Hummel, T., 2023, Eine hochgradige Überraschung (Une grande surprise), 13 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/projekte/artikel/politik/edenhofer-cop28-interview-klimawandel-e886256
- Schlüter, N., 2023, CO₂-Speicherung: Mit Technik gegen die Klimakrise? (Stockage de carbone : Avec la technologie contre la crise climatique), 16 décembre, 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/politik/podcast-nachrichten-klimakrise-klimawandel-cop28-ccs-co2-emissionen-technologie-1.6320469.
- Von Eichhorn, C., 2023, Abschied vom Klima-Märchenland (Adieu au pays des merveilles climatique), 15 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.sueddeutsche.de/wissen/cop28-dubai-fossile-energien-klimakonferenz-1.6320502
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Le Monde (France)
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- Foucart, S., 2023, Plus les impacts du réchauffement se précisent, plus le tir de barrage des pétroliers se renforce, 10 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/10/plus-les-impacts-du-rechauffement-se-precisent-plus-le-tir-de-barrage-des-petroliers-se-renforce_6204921_3232.html.
- Goar, M., 2023, COP28 : l’accord sur les énergies fossiles est-il « historique » ou reste-t-il une « coquille vide » faute d’être contraignant ?, 14 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/14/cop28-un-accord-sur-la-sortie-des-energies-fossiles-juge-historique-mais-toujours-non-contraignant-et-sans-financements-prevus_6205741_3244.html.
- Goar, M., 2024. COP29 : Mukhtar Babayev, ancien cadre de la compagnie pétrolière nationale, présidera la prochaine conférence climat en Azerbaïdjan, 5 janvier 2024, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/05/cop29-mukhtar-babayev-ancien-cadre-de-la-compagnie-petroliere-nationale-presidera-la-prochaine-conference-climat-en-azerbaidjan_6209271_3244.html
- Le Monde avec AFP, 2023a, La COP28 approuve la création du fonds pour les dommages climatiques, 30 novembre 2023, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/climat/article/2023/11/30/la-cop28-approuve-la-creation-du-fonds-pour-les-dommages-climatiques_6203195_1652612.html
- Le Monde avec AFP, 2023b, L’OPEP déclenche l’indignation de plusieurs États à la COP28 après avoir demandé à ses membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles, 9 décembre 2023, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html.
- Mouterde, P., 2023, COP28 : la sortie des énergies fossiles, éternel tabou des conférences sur le climat, 30 novembre 2023, [En ligne] URL : https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/30/cop28-la-sortie-des-energies-fossiles-eternel-tabou-des-conferences-sur-le-climat_6203229_3244.html.
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Radio-Canada (Canada)
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- Jung, D., 2023, COP28 : « On ne peut pas autoriser les pollueurs à déterminer les négociations », Espaces Autochtones, 14 novembre 2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/2025865/cop28-autoriser-pollueurs-negociations-emirats.
- La Presse canadienne, 2023, Le ministre Guilbeault salue le compromis « monumental » à la COP28, 13 décembre2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2034802/cop28-steven-guilbeault-compromis-monumental.
- Leblanc, É., 2023, COP28 sur le climat : les héritiers d’un monde à 3 degrés de plus, 16 décembre 2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/info/long-format/2034912/cop-climat-jeunesse-temoignage-espoir.
- Radio-Canada, 2023a, COP28 : la Saskatchewan obtient son propre pavillon après un désaccord avec Ottawa, 21 novembre 2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2028670/cop28-jim-reiter-ecologie-industrie.
- Radio-Canada, 2023b, Scott Moe dresse un bilan positif de la participation de la Saskatchewan à la COP28, 10 décembre. [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2033945/cop-28-scott-moe-saskatchewan.
- Radio-Canada, 2023c, La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, est foncièrement déçue du rôle que le Canada a joué dans les négociations internationales pour parvenir à la déclaration finale de la COP28, 13 décembre 2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2034733/smith-guilbeault-cop-28-reaction.
- Serret, E., Associated Press et Agence France-Presse, 2023, COP28 : des manifestants sous haute surveillance peinent à se faire entendre, 9 décembre 2023 [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2033830/cop28-manifestants-restriction-onu
- Verreault, A., 2023, L’Alberta reçoit le prix satirique « Fossile du jour » à la COP28, 6 décembre 2023, [En ligne] URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2032910/prix-fossile-cop28-alberta-smith
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9De nombreux acteurs du monde scientifique, politique et de la société civile ont été interviewés dans les médias consultés. Certains scientifiques renommés font l’éloge de l’accord conclu, comme Johan Rockström, du Potsdam Institute for Climate Impact Research, qui affirme que « le résultat [de la CdP-28] est pivotal, […] qu’il marque le début de la fin d’une économie basée sur les combustibles fossiles » (Morton et al., 2023). D’autres, comme Michael Mann, climatologue à l’Université de Pennsylvanie, Magdalena Skipper, rédactrice en chef de la revue Nature, David King, ancien conseiller scientifique en chef du Royaume-Uni et Friederike Otto, climatologue au Collège Impérial de Londres, fondatrice du World Weather Attribution et une des 100 personnes les plus influentes au monde selon la revue Time en 2021, regrettent que l’accord ne reflète pas l’urgence d’agir qu’impose le bilan scientifique sur les changements climatiques (Carrington, 2023). Jean-Pascal van Ypersele, professeur en climatologie à l’UC Louvain et ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) modère : « La diplomatie climatique, ce sont souvent de petits pas, mais ce pas-là est plus grand que les autres » (Goar, 2023).
10Les deux revues scientifiques les plus réputées, Science et Nature, ont clairement pris position en faveur d’un abandon rapide des combustibles fossiles. La revue Science reprend dans un éditorial certaines des citations des entrevues au Guardian (Science news staff, 2023). Quant à la revue Nature, elle affirme dans un éditorial que le retrait des combustibles fossiles « n’est pas négociable » et que les dirigeants mondiaux « manqueront à leurs engagements envers leurs peuples et la planète s’ils n’acceptent pas cette réalité » (Nature, 2023). Les organismes scientifiques Future Earth et World Climate Research Programme ont publié une déclaration, signée par plus d’une centaine de scientifiques travaillant sur les changements climatiques, réitérant la nécessité d’atteindre des émissions net-zéro d’ici 2050 (Broadgate et al., 2023).
11Les représentants d’ONGs et d’instituts de recherche se montrent également encouragés, mais réservés, face à cet accord. Jan Steckel, de l’institut de recherche climatique de la fondation Mercator déclare « On peut construire là-dessus dans le futur », son collègue Ottmar Edenhofer (également affilié au Postdam Institute) conclut que « maintenant l’éléphant blanc est sur la table, on parle du charbon, du pétrole et du gaz. C’est un progrès immense », et avec moins d’enthousiasme Niklas Höhne, du New Climate Institute note : « Le passage en question est faible et comporte de nombreuses lacunes. Pas historique, le strict minimum » (von Eichhorn, 2023). Christoph Bals, de Germanwatch, affirme aussi que l’entente deviendra historique seulement lorsqu’elle sera mise en action (Bauchmüller, 2023a). Une vision semblable est exprimée par Guillaume Compain, d’Oxfam, qui affirme que « cet accord a le mérite d’envoyer un signal sur la fin de l’ère énergies fossiles. Mais pour l’instant, ça reste, d’une certaine façon, une coquille vide, car on ne voit pas comment toute une partie des pays seront soutenus en matière de transition énergétique » (Goar, 2023).
12Les perceptions des représentants des États sont également divisées. Al Jaber, artisan de l’accord, le qualifie de « sans précédent » (Harvey, 2023b). Contrastant nettement avec cette vision dithyrambique, John Silk, le délégué des Îles Marshall, un des membres de l’Alliance des petits États insulaires (AOSIS), confie qu’il était venu à Dubaï pour « construire un bateau de sauvetage pour son île, mais qu’à la place, nous avons un canoé avec une enveloppe faible et perméable, pleine de trous » (Bauchmüller, 2023a).
13En 30 ans de négociations climatiques (et même plus, si l’on fait remonter l’historique des négociations climatiques à la conférence de Villach en 1985), les énergies fossiles n’avaient jamais été montrées du doigt (Bauchmüller, 2023a). Ni la CCNUCC, ni le protocole de Kyoto, ni l’accord de Paris n’en font mention. En 2015, la tentative d’introduire l’abandon progressif des combustibles fossiles dans l’accord de Paris a causé « un blocage complet » selon Laurence Tubiana, représentante spéciale du gouvernement français à la CdP-21 (Mouterde, 2023). Une nouvelle tentative, en 2021, lors de la CdP-26 à Glasgow, a résulté dans une mention du charbon, à défaut des autres combustibles fossiles (Harvey, 2023b). Lors de la CdP-27 en 2022 à Charm El Cheikh, une coalition informelle de plus de 80 pays a essayé en vain d’introduire l’abandon des combustibles fossiles dans la déclaration finale (Harvey, 2023b). L’échec de la tentative en a été rejeté sur l’influence des producteurs de pétrole dans les instances internationales (Foucart, 2003).
14Une fois souligné le caractère exceptionnel de l’accord, plusieurs reproches lui sont adressés. Le principal reproche est d’avoir affaibli le langage utilisé. Au lieu du terme « phase-out » (abandon) des combustibles fossiles, pourtant préféré par 130 des 190 pays participants, c’est le terme de « transition » qui a été retenu, évoquant un processus plus lent et ne reflétant pas l’urgence exprimée par la majorité des scientifiques (Carrington, 2023). Malgré le soutien par une « super-majorité » de pays, selon les termes d’un représentant de l’Union européenne, le terme de « phase-out » aurait échoué face aux objections d’un petit nombre de pays exportateurs de pétrole, et surtout de l’Organisation des pays Exportateurs de Pétrole (OPEP), à laquelle appartient le pays-hôte (Le Monde/AFP, 2023b ; Morton et al., 2023). D’autres formulations affaiblissent également la portée juridique de l’accord. Goar (2023) cite Arnaud Gossement, avocat spécialiste en droit de l’environnement : « Le texte appelle les parties à contribuer “chacun à sa manière” à des “efforts” [pas des objectifs]. Une rédaction qui insiste donc lourdement sur la souveraineté et n’oblige aucun d’entre eux à quoi ce que ce soit ».
15Le terme de « unabated » (non atténuées) associé aux combustibles fossiles a été introduit à la demande de plusieurs membres, notamment l’Union européenne et les États-Unis. Derrière ce qualificatif se cache une référence implicite aux technologies de captage et stockage de carbone (CSC), permettant de poursuivre l’utilisation des combustibles fossiles, dans la mesure où le CO2 émis est neutralisé (Bauchmüller, 2023a). Ces technologies, pourtant encore très marginales et onéreuses, sont explicitement mentionnées dans le texte final de la CdP-28 (Schlüter, 2023). Plusieurs pays en développement étaient pourtant opposés à l’inclusion du CSC dans l’accord (Harvey, 2023a).
16Parmi les échappatoires identifiées figurent des passages référant aux « combustibles de transition », terme qui renvoie principalement au gaz naturel, un geste largement perçu comme une concession faite à la Russie et aux autres pays producteurs de gaz (incluant l’Azerbaïdjan, hôte de la prochaine CdP) (Bauchmüller, 2023a ; Morton et al., 2023).
17Comme souvent lors des CdP, le fait que les négociations finales se jouent entre les « grands » acteurs est critiqué et la CdP-28 ne fait pas exception. Ainsi, lors de la rédaction du texte final, le négociateur en chef des pays de l’AOSIS, Anne Rasmussen, de Samoa, n’était pas présent (Morton et al., 2023).
18Des représentants et militants de pays en développement critiquent la CdP-28, estimant que des questions essentielles de mise en œuvre comme le soutien financier des pays développés vers les pays en développement pour cette transition ne sont pas abordés, que l’accord n’est ni juste, ni équitable, et qu’il relève in fine du « business-as-usual » (Lakhani, 2023). Les réactions de certains représentants des peuples indigènes sont encore plus explicites, à l’image de Tom Goldtooth, directeur du Indigenous Environmental Network, qui déclare que « la conférence sur les changements climatiques des Nations unies a fait défaut à l’humanité et à la Terre-mère » (Lakhani, 2023).
19Plusieurs observateurs ont aussi dénoncé les intimidations dont des activistes environnementaux et des représentants de peuples autochtones ont été victimes (Green, 2023). Ainsi, selon Lola García-Alix, du International Work Group for Indigenous Affairs, depuis quelques années, des représentants autochtones auraient été filmés, photographiés, et même encerclés par des individus travaillant pour des gouvernements ou des compagnies de combustibles fossiles (Green, 2023). Mesiah Burciaga-Hameed, de l’ONG Native Land Digital, déplore le haut degré de surveillance et les nombreuses occasions où l’accès à des évènements a été refusé à des délégués autochtones (Green, 2023). La directrice générale de l’organisme Indigenous Climate Action, Eriel Deranger, membre de la Nation Chipewyan d’Athabasca, souhaite que les autochtones aient leur propre place à la table de négociation, plutôt qu’à travers les gouvernements coloniaux (Jung, 2023). Joey Shea, de Human Rights Watch, déplore les nombreuses restrictions imposées aux manifestants, imposant « un niveau de censure choquant dans un espace où la protection des libertés fondamentales telles que la liberté d'expression, de réunion et d'association a été garantie » (Serret et al., 2023).
20La situation a peu de chances de s’améliorer à la CdP-29, qui aura lieu en Azerbaïdjan, État caractérisé par un manque de respect des droits de la personne et un niveau de corruption élevé, « hautement problématique » selon Christoph Bals, représentant de l’ONG Germanwatch (dpa, 2023). Big Wind Carpenter, de la nation Northern Arapaho et membre de la délégation Wisdom Keepers, fait remarquer que les deux dernières CdP ainsi que la prochaine se tiennent dans des pays où la liberté d’expression et le droit de manifestation ne sont pas respectés, de sorte que les Nations unies ciblent de plus en plus les activistes (Green, 2023).
21Comme d’habitude, le Canada est tiraillé entre des forces antagonistes. Tandis que le ministre de l’Environnement canadien, Steven Guilbault, notait avec satisfaction que « [l]e texte contient des engagements décisifs en matière d'énergies renouvelables, d'efficacité énergétique et de transition vers l'abandon des combustibles fossiles », la première ministre de l'Alberta, Danielle Smith, se disait au contraire encouragée par le retrait du terme de « phase-out » dans le texte final des négociations (La Presse Canadienne, 2023). Autant Danielle Smith que Scott Moe, premier ministre de la Saskatchewan, avaient vivement critiqué la position du gouvernement fédéral, qui se ralliait à l’appel au retrait des combustibles fossiles, lesquels génèrent des revenus considérables dans ces deux provinces (Radio-Canada, 2023b). Les deux premiers ministres provinciaux sont au diapason dans leur critique de la position du gouvernement fédéral : « Le gouvernement fédéral a révélé, lors de sa participation à la COP28, qu'il ne s'agit pas vraiment de réduire les émissions, mais plutôt de cibler la fermeture d'une industrie complète, indépendamment du fait qu'elle atteindra ou non ses objectifs en matière d'émissions » (Scott Moe, dans Radio-Canada, 2023b) et « Steven Guilbeault a fait acte de trahison envers [Ma] province et des millions d'autres Canadiens dans les négociations en se concentrant uniquement sur la fin des carburants fossiles. » (Danielle Smith, dans Radio-Canada, 2023c). La Saskatchewan s’était dissociée du Canada au point d’ouvrir son propre pavillon à la CdP-28 (Radio-Canada, 2023a.). L’Alberta a reçu un « anti-prix » du fossile du jour, décerné au pays (et dans ce cas unique, à une province) qui bloque le plus les négociations (Verreault, 2023). Les autres récipiendaires ont été l’Arabie Saoudite, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Corée du Sud, les États-Unis (2 fois), Israël (2 fois), le Japon (2 fois), la Norvège, la Nouvelle-Zélande, la Russie (2 fois), l’Union européenne, et le Vietnam (Climate Action Network International, 2023).
22Somme toute, était-il paradoxalement nécessaire d’avoir un représentant de l’industrie du pétrole comme président de conférence ? C’est une opinion défendue par certains observateurs, comme Paul Bledsoe, ancien conseiller climatique de Bill Clinton, qui voit ce dernier comme idéalement positionné pour acquérir le soutien des pétro-États (Harvey, 2023a) ou Ottmar Edenhofer, spécialiste en politique climatique à l’Université Libre de Berlin, qui émet l’hypothèse qu’il était nécessaire de tenir cette conférence dans un État pétrolier (Hummel, 2023). Selon Gaïa Febvre, responsable des politiques internationales du Réseau Action Climat, c’est justement le fait de tenir la CdP-28 dans un pays pétrolier qui rendait impossible de passer sous silence les combustibles fossiles (Mouterde, 2023). D’autres, comme le journaliste du Guardian, George Monbiot, aimeraient au contraire empêcher que des acteurs de l’industrie des combustibles fossiles puissent présider d’autres CdP (Monbiot, 2023), une aspiration déjà déçue puisque la CdP-29 en 2024 se tiendra de nouveau dans un État pétrolier, l’Azerbaïdjan, dont 90% des exportations et 60% du budget national proviennent des combustibles fossiles (Harvey, 2023a), et sera de nouveau présidée par un ancien dirigeant de compagnie nationale de pétrole, Mukhtar Babayev (Goar, 2024).
23La CdP-29 devra entre autres s’attaquer à un autre aspect problématique de la transition zéro-carbone, à savoir son financement, à travers le Nouvel Objectif Chiffré Collectif sur le financement climatique, qui devrait fournir un minimum de 100 G$ par an aux pays en développement pour l’atteinte de leurs objectifs climatiques (Eyassu Melkie, 2022 ; Goar, 2023). Il se trouve que ce montant coïncide avec les paiements aux actionnaires des cinq principales compagnies de combustibles fossiles en 2023 (Ambrose, 2024).
- 2 Moyenne 1850-1900, pour la période de janvier-novembre 2023.
24En attendant de voir des résultats tangibles du processus issu de l’accord de Paris et de la CdP-28, la consommation de charbon a atteint un pic historique en 2022, avec 8,42 milliards de tonnes (IEA, 2023), et la température atmosphérique moyenne a également atteint un record, 1,46°C au-dessus de la moyenne préindustrielle2 (Copernicus, 2023). Il faut cependant aussi noter que l’Agence internationale de l’énergie prévoit un plafonnement de la demande de charbon d’ici 2026, indépendamment des politiques climatiques des différents pays (IEA, 2023). Est-ce ainsi finalement la main invisible du marché qui règlera le thermostat de notre planète ? Ou est-ce que la communauté internationale capitalisera sur l’accord de principe intervenu à Dubaï pour mettre en œuvre le retrait progressif des combustibles fossiles en vue de respecter la cible de l’accord de Paris, même si on peut douter du réalisme de limiter le réchauffement à 1,5°C, cible pourtant citée plus d’une douzaine de fois dans le document final de la CdP-28 (Bauchmüller, 2023a) ? Rendez-vous à Bakou en 2024 !