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3e partie : Entre vulnérabilités, dépendances et complexités des solutions

Enjeux d’inégalités associées aux solutions d’adaptation aux changements climatiques : qu'est-ce qu'on en sait ?

Nathalie Bleau et Emily Després

Résumés

Au Québec, face aux impacts des changements climatiques et à leurs conséquences, de nombreuses instances publiques, privées et communautaires mettent en place des solutions d'adaptation pour renforcer la résilience aux changements climatiques des populations. Des études font maintenant un lien entre les options d'adaptation et le potentiel de génération ou l'exacerbation d'inégalités. Le dossier des inégalités liées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques (ACC) apparaissait de plus en plus, pour Ouranos et ses partenaires, comme étant un enjeu à documenter, d'autant plus lorsqu'on met de l'avant la volonté d'accélérer l'adaptation. Il était donc pertinent, afin de bien accompagner les acteurs de l'adaptation, d'établir une base, pour repérer les concepts clés qui permettent d'explorer les mécanismes qui ont aidé à répondre à des enjeux semblables, d'évaluer les méthodes d'analyse utilisée, de faire ressortir les forces, les faiblesses et les controverses des idées établies dans le domaine. Quelques mécanismes existent pour permettre le repérage de ces enjeux d’inégalités. Des auteurs proposent des solutions d’adaptation alternatives aux changements climatiques pour réduire les inégalités. En dépit des progrès réalisés depuis quelques années, plusieurs facettes de l'enjeu des inégalités engendrées ou potentiellement engendrées par les solutions d’adaptation restent à explorer : des solutions et des secteurs d’activité sont peu documentés, des populations et des régions sont moins étudiées que d’autres et certains processus comme les méthodes de suivi et d’évaluation des solutions d’adaptation mériteraient que les chercheurs s'y attardent davantage.

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Texte intégral

Introduction

1Dans un contexte où les projections du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) énoncent que les risques pour la santé et la sécurité des personnes devraient augmenter dû au réchauffement planétaire de 1,5 °C, il y a urgence de mettre en place de meilleures solutions d'adaptation aux changements climatiques dès maintenant pour toutes les régions du monde (GIEC, 2019 ; IPCC; 2021). Ces solutions, en plus de permettre de s'adapter aux changements climatiques, auront de nombreux cobénéfices, entre autres pour les enjeux sociosanitaires (réduction de la pollution, sensibilisation au climat et amélioration de l’accès aux données et aux informations, amélioration de la sécurité publique, la préparation et la réponse aux catastrophes), l'environnement (amélioration de la biodiversité, de la connectivité régionale et du soutien à la création d'habitats) et l'économie (évitement des dommages et des couts associés, soutien à l’innovation et aux industries vertes). Si aucune mesure majeure de réduction des gaz à effet de serre (GES) n’est prise à l'échelle mondiale, les températures moyennes annuelles au Québec (Canada) pourraient continuer d’augmenter. Par rapport à la période 1981–2010, elles pourraient augmenter de 3,5 °C et de 6 °C respectivement à l’horizon 2050 et 2080. Ce réchauffement global bouleverse déjà et continuera de bouleverser le système climatique en influant les normales, en amplifiant les extrêmes climatiques et en modifiant les variabilités saisonnières (Alberti-Dufort et al., 2022). Les projections climatiques indiquent avec un degré de certitude élevé qu’il y aura une hausse des températures moyennes, plus marquée en hiver qu’en été et plus importante en milieu nordique (Ouranos, 2015). Pour le sud du Québec, plus populeux, des augmentations de la durée et de l’intensité des vagues de chaleur impliquant des nuits chaudes sont projetées. Les précipitations hivernales et printanières, toutes formes confondues, sont appelées à augmenter, avec pour résultats une augmentation des pluies hivernales et une diminution des quantités de neige, ainsi que des hausses significatives pour tous les indices de précipitations abondantes et extrêmes dans toutes les régions du Québec (Ouranos, 2015). Nous avons déjà été témoin des répercussions de ces changements sur la vie des québécois.e.s, comme les vagues de chaleur mortelles et les inondations, ce qui engendre des impacts sur la santé et le bien-être, sur les infrastructures, les cultures et les économies des communautés québécoises (Demers-Bouffard, 2021; GIEC, 2019; IPCC; 2021).

2Face aux impacts des changements climatiques déjà vécus et aux projections, des acteurs, de plus en plus nombreux, tant au Québec qu'au Canada, s’activent déjà à mettre en place des solutions d'adaptation aux changements climatiques (Van Gameren et al., 2014 ; Ouranos, 2015 ; Demers-Bouffard, 2021). Qu'il s'agisse du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et locaux, mais aussi d'organismes non gouvernementaux, comme le milieu universitaire, le secteur privé, les organismes à but non lucratif (OBNL) de même que les citoyens et citoyennes, tous sont conscients de la gravité de la situation et de l'importance de se mettre en action. Au Canada, diverses actions ont été mises en place pour s'adapter aux changements climatiques (Alberti-Dufort et al., 2022 ; Bleau et al., 2018), notamment :

  • Élaborer et mettre en œuvre des plans et des politiques d'adaptation aux changements climatiques aux niveaux national et provincial.

  • Promouvoir l'utilisation de solutions basées sur la nature et d'infrastructures vertes, telles que les espaces de biorétention, les toits verts, les jardins pluviaux, les espaces de libertés des cours d'eau pour gérer les eaux pluviales et réduire les impacts des inondations et des sècheresses.

  • Développer des plans de gestion des urgences et des systèmes d'alerte précoce pour répondre aux évènements météorologiques extrêmes, tels que les inondations, les incendies de forêt et les vagues de chaleur.

  • Modifier les normes de construction pour assurer une résilience des bâtiments et infrastructures au climat changeant.

3Ces mesures ne sont que quelques exemples de la gamme d'efforts actuellement entrepris au Canada, et plus spécifiquement au Québec, pour faire face aux impacts des changements climatiques. Ces mesures découlent, entre autres, de la Stratégie gouvernementale d’adaptation aux changements climatiques 2013-2020 (Gouvernement du Québec, 2012a) et ont été stimulées par l'injection d'argent et/ou d'accompagnement provenant de programmes tels le Plan d'action 2013-2020 sur les changements climatiques (Gouvernement du Québec, 2012b), le Programme Climat municipalités Phase I et II (Gouvernement du Québec, 2018), le Programme Municipalités pour l’innovation climatique - 2016-2022 (Fédération canadienne des municipalités, 2022).

4Toutefois, depuis une dizaine d'années, plusieurs études tendent à démontrer qu’il y a une possibilité que certaines de ces solutions, même si elles sont souhaitables et nécessaires, contribuent à de la maladaptation et engendrent ou exacerbent des inégalités socioéconomiques et de qualité de vie entre individus, catégories d’individus ou régions en particulier si elles ne sont pas conçues et mises en œuvre en mettant l'accent sur la participation citoyenne, l'équité et l'inclusion. (Magnan, 2013 ; Van Gameren et al., 2014 ; GERARCC, 2018 ; Markkanen et Anger-Kraavi, 2019). Les solutions d'adaptation aux changements climatiques qui génèrent des inégalités peuvent être qualifiées de potentiellement problématiques et nécessitent un examen et un affinement plus approfondis (Agence européenne pour l’environnement, 2022). Par exemple, les solutions d'adaptation qui donnent la priorité aux communautés ou aux industries riches par rapport aux communautés à faible revenu ou marginalisées peuvent créer ou renforcer les inégalités (Kaiser et al., 2016 ; Winegarden, 2018 ; Gournay, 2020). De même, les solutions qui ne tiennent pas compte des expériences et des perspectives des peuples autochtones et d'autres groupes ayant des liens culturels et historiques uniques avec la terre peuvent exclure des voix importantes et perpétuer les injustices (Kaijser et Kronsell, 2014). Il est donc important d'aborder les mesures d'adaptation avec un regard critique et d'engager un dialogue et une collaboration continus avec diverses parties prenantes pour identifier et contrer les inégalités potentielles.

5Parallèlement, selon les Nations Unies, les inégalités socioéconomiques persistent au niveau mondial. Divers rapports, tels que le Rapport sur les objectifs de développement durable (Nations Unies, 2022) et Inequality in a Rapidly Changing World (Nations Unies, 2020), mettent en évidence les inégalités persistantes en matière de revenus, de richesse, d'éducation, de santé, d’origine ethnique, de handicap et d'autres indicateurs socioéconomiques entre les régions et les pays. Ces inégalités sont particulièrement prononcées pour les groupes vulnérables et marginalisés, tels que les femmes, les enfants, les autochtones, les personnes les moins nanties et les personnes handicapées. L'ONU appelle à une action urgente et concertée pour remédier à ces inégalités et promouvoir un développement plus équitable et durable pour tous. Concernant le Canada, les spécialistes de l’Observatoire québécois des inégalités expliquent, à l’aide, entre autres, d’indicateurs mesurant les inégalités économiques, qu’il y a « une tendance canadienne à la hausse des inégalités depuis le début des années 1980, qui s'est poursuivie dans les années 1990, puis s'est stabilisée dans les années 2000 » (Torres et al., 2021, p. 8). Bien que selon les données de Statistique Canada, le taux de pauvreté a baissé depuis 2015, entre autres, en raison des programmes de redistribution des gouvernements fédéral et provincial, il n'en demeure pas moins que sur le terrain, des inégalités demeurent et touchent davantage les personnes moins nanties (Noël, 2022). C'est aussi ce que constate Torres : « Après trois vagues de COVID-19, les besoins étaient toujours importants dans l'échantillon de personnes moins nanties, en particulier en matière de soutien financier, de soutien psychologique, de soins de santé et d'abordabilité du logement » (Torres, 2021b). Plusieurs spécialistes d’analyses socioéconomiques et de droit des travailleuses et travailleurs s'accordent pour dire que le Québec ne fait pas exception. Des disparités de plus en plus grandes relativement aux revenus sont observables même si le Québec a mieux résisté à la hausse des inégalités économiques dues à des normes sociales plus égalitaristes (L’Ériger, 2016) tels que l'égalité hommes-femmes enchâssée dans la Charte des droits et libertés de la personne du Québec (2023), l'éducation préscolaire, primaire et secondaire pour tous, ou encore des dispositifs institutionnels comme le congé parental (Margolis et al. 2021). Cela dit, les inégalités, qu'elles soient socioéconomiques, de qualité de vie ou d'opportunité, qu'elles soient directement ou indirectement liées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques, n’ont retenu que très peu l'intérêt des chercheur.es jusqu'à tout récemment (Markkanen et Anger-Kraavi, 2019 ; Coggins et al., 2021).

6Le dossier des inégalités liées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques (ACC) apparaissait de plus en plus, pour Ouranos, consortium en climatologie régionale et en adaptation aux changements climatiques, et ses partenaires, comme étant un enjeu à documenter, d'autant plus lorsqu'on met de l'avant la volonté d'accélérer l'adaptation. Il était donc pertinent, afin de bien accompagner les acteurs de l'adaptation, d'établir une base, pour repérer les concepts clés qui permettent d'explorer les mécanismes qui ont aidé à répondre à des enjeux semblables, d'évaluer les méthodes d'analyse utilisées, de faire ressortir les forces, les faiblesses et les controverses des idées établies dans le domaine. En conséquence, l'exploration des connaissances, réalisée en 2021, avait trois objectifs. Premièrement, de rendre compte de certaines conséquences des solutions d'adaptation aux changements climatiques sur les inégalités ayant été documentées principalement au Québec et au Canada. Deuxièmement, d'identifier des lacunes, c’est-à-dire d'autres solutions d'adaptation, lesquelles, même si elles ne sont pas repérées dans la littérature, engendrent ou pourraient potentiellement engendrer des inégalités. Troisièmement, de dégager des recommandations afin d’identifier des pistes qui permettraient une évaluation adéquate des solutions d'adaptation aux changements climatiques en fonction de potentielles inégalités engendrées.

Méthodologie

7Une revue de littérature sur le sujet de l’adaptation aux changements climatiques et des inégalités, principalement au Québec, mais pas exclusivement, a été effectuée en croisant plusieurs mots clés (tableau 1). Ils ont été utilisés dans les portails internet de revues scientifiques, les bases de données et les moteurs de recherches suivants : Cairn.info, Elsevier, Google, Google Scholar, MEDLINE, Research Gate et VertigO, initialement identifiés lors d’une lecture préliminaire. La période de recherche est comprise entre 2010 et 2021, sauf pour quelques documents de références incontournables qui provenaient d'avant 2010 comme Arsenault et al. (2004), Kelly et al. (2000) ou Cutter (2003). Cette première démarche a permis de repérer un peu plus d'une centaine de documents qui, à l’aide d’un tableau de critères d’inclusion et d'exclusion, ont été jugés pertinents pour cette exploration des connaissances (tableau 2). Comme l'adaptation aux changements climatiques implique de nombreuses disciplines, les documents analysés sont de plusieurs types et dans plusieurs domaines. Les articles scientifiques dans les domaines de l’environnement bâti, de la santé, de la sociologie, de la politique/gouvernance municipale, de l'assurance, de l’économie, de l’éthique, des sciences du climat, de la géographie, ont été inclus. Il en a été de même pour des documents internationaux (par exemple GIEC, 2014 ; GIEC, 2019), des documents gouvernementaux fédéraux et provinciaux (par exemple Santé Canada, 2020 ; Demers-Bouffard, 2021 ; Brown et al., 2021 ; Vodden et al., 2021), les synthèses existantes d’Ouranos (Ouranos, 2015), des documents municipaux (par exemple Ville de Sherbrooke, 2013 ; Ville de Montréal, 2019). Enfin, des documents qualifiés de littérature grise comprenant par exemple des rapports ou mémoires d'organismes communautaires ou d'acteurs clés dans l’adaptation aux changements climatiques au Canada ou au Québec (par exemple Williams et al., 2018 ; Front commun pour la transition énergétique, 2019 ; Oxfam, 2020 ; Torres, 2021a ; Torres et al., 2021) ont aussi été considérés. Au total, 124 documents sur près de 250 consultés ont été retenus.

Tableau 1 : Combinaisons de mots-clés utilisés pour la recherche dans les bases de données

Tableau 1 : Combinaisons de mots-clés utilisés pour la recherche dans les bases de données

Després (2021)

Després (2021), adapté de Bleau et al., 2018

8Dans le but de valider et/ou d’explorer des pistes de recherches qui sont peu documentées dans la littérature scientifique, des entretiens semi-dirigés ont été effectués auprès d'expert.es dans les domaines de la santé publique, l’agriculture, l’économie, l’érosion côtière, la sociologie, la politique et de l’architecture. Au total, huit entretiens d'une heure chacun ont été effectués, en virtuel, au cours du mois de juillet 2021. Sur ces huit personnes préalablement identifiées par les superviseures du projet soit une coordonnatrice de programmation scientifique en adaptation à Ouranos et la directrice générale par intérim de l'Observatoire québécois des inégalités, trois faisaient partie du personnel d’Ouranos, trois autres faisaient partie du personnel de l’Observatoire québécois des inégalités, une personne faisait partie du personnel de l’INRS et une dernière faisait partie de l'École de santé publique de l’Université de Montréal.

Cadres conceptuels

9Afin d'organiser les connaissances autour de la problématique des enjeux d’inégalités associées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques, quatre objets sont apparus comme essentiels à étudier : les inégalités, les solutions d'adaptation aux changements climatiques, la vulnérabilité et la justice climatique (figure 1). Les cadres conceptuels qui entourent ces sujets jouent un rôle essentiel dans la structuration des connaissances liées à des enjeux complexes, comme celui abordé dans cette recension. Le premier cadre est celui à proprement parler des types d'inégalités, et plus particulièrement les inégalités économiques, de qualité de vie et d’opportunité puisque ce sont ces types d'inégalités qui sont le plus souvent associés aux solutions d'adaptation dans la littérature et qui sont ressortis lors des entrevues. Le deuxième cadre est celui autour des solutions d'adaptation. Il s'intéresse aux types de solutions, dont les solutions incrémentales et les solutions transformationnelles. Ce cadre s'intéresse aussi à ceux et celles qui planifient ces solutions, ceux et celles qui les mettent en œuvre, ceux et celles qui en font le suivi et comment ce suivi est fait. Le troisième cadre est celui de la vulnérabilité, vue ici dans le contexte de la gestion des risques et qui permet d'évaluer les facteurs qui prédisposent certains individus, ou certaines régions, à subir des dommages dus à un phénomène ou à un évènement. Finalement, le quatrième cadre retenu est celui de la justice climatique qui est étudiée par plusieurs auteur.es et qui permet d'identifier des pistes pour évaluer les inégalités engendrées ou potentiellement engendrées et tente de les éliminer ou à tout le moins de les réduire.

Figure 1 : Cadres conceptuels utilisés pour organiser les connaissances autour de la problématique des enjeux d’inégalités associées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques

Figure 1 : Cadres conceptuels utilisés pour organiser les connaissances autour de la problématique des enjeux d’inégalités associées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques

Adapté d'E. Després (2021)

10Concernant les types d'inégalités, de plus en plus de chercheur.es et d'expert.es s'accordent pour dire que le concept d’inégalités est central afin d’assurer des solutions d’adaptation justes et inclusives (Coggins et al., 2021 ; Nazrul Islam et Winkel, 2017 ; Markkanen et Anger-Kraavi, 2019 ; Newell et al., 2021 ; Rochette, 2016; Williams et al., 2018). Bien qu'il existe plusieurs types d'inégalités, considérant les contributions scientifiques à ce sujet, la présente exploration des connaissances s'est concentrée sur cinq types d'inégalités, mais ce sont les trois premiers qui sont le plus souvent mis de l'avant :

  • Les inégalités économiques, qui se réfèrent aux disparités entre personnes et groupes de la société en matière de revenus et de patrimoine (Torres et al., 2021).

  • Les inégalités de qualité de vie qui se réfèrent au bien-être (Karimi et Brazier, 2016) et qui sont très près, parfois même agrégées aux inégalités sociales de santé (ISS) (Demers-Bouffard, 2021).

  • Les inégalités d’opportunité, qui se réfèrent aux possibilités et probabilités d’ascension sociale (Fillieule, 2018).

  • Les inégalités territoriales, à savoir, les inégalités rattachées aux disparités existantes d'actions publiques selon le lieu (villes, régions, quartiers, et cetera) où elles sont ou non mises en place (Dupuy, 2020).

  • Enfin, les inégalités de contributions, qui sous-tendent que les populations ayant le moins contribuées à l'augmentation des GES, cause principale des changements climatiques, sont celles qui en subissent le plus les conséquences (Guivarch et Taconet, 2020).

11Plusieurs chercheur.es mettent de l'avant certains défis d'ordre éthique inhérents à l’adaptation aux changements climatiques. Ils soutiennent que, pour avoir un portrait le plus complet possible en matière d'inégalités, il est primordial de considérer que l'addition des différents types d’inégalités, l'intersectionnalité, engendre une amplification des vulnérabilités vécues par un individu ou un groupe d'individus (Williams et al., 2018; Markkanen et Anger-Kraavi, 2019; Coggins et al., 2021).

12Relativement aux solutions d'adaptation, deux types font consensus, les solutions incrémentales et celles transformationnelles (Van Gameren et al., 2014 ; Ouranos, 2015 ; GIEC, 2018) (figure 2). Les solutions incrémentales sont celles qu'on retrouve le plus au Québec. Elles visent à faire certains ajustements pour réduire les conséquences négatives des changements climatiques. Elles entrainent des modifications tangibles de l'espace et/ou du lieu, qui permettent d’augmenter la capacité de faire face au climat changeant, tout en maintenant l’essence et l’intégrité d’un système ou d’un processus à une échelle déterminée (GIEC, 2014). Les solutions incrémentales comprennent les mesures physiques et structurelles (infrastructures grises et vertes), les leviers institutionnels et organisationnels et les savoirs et informations (Ouranos, 2015). Les premières prennent souvent la forme de mesures dites grises ou vertes. Par mesures grises, on entend des mesures liées à l’ingénierie et aux technologies. Elles peuvent être des plus simples comme l'installation d'auvents, aux plus complexes comme la construction de digues (Ouranos, 2015). Les mesures vertes, quant à elles, sont davantage liées à la nature, aux écosystèmes comme la plantation d’arbres ou l'aménagement de réseaux de corridors écologiques et d’aires protégées. Bien sûr, tout n'est pas gris ou vert au pays des mesures physiques et structurelles et plusieurs d'entre elles jumèlent l'ingénierie et la nature, c'est le cas des toits verts ou des places résilientes végétalisées qui servent d'espace de rétention lors de forte pluie et de parc ou de place publique le reste du temps. La deuxième catégorie de solution incrémentale est constituée des leviers institutionnels et organisationnels qui incluent des politiques publiques, des outils financiers, des normes, lois et règlements. Ces leviers, en fournissant des cadres, des incitations et des ressources nécessaires pour faire face aux défis climatiques, jouent un rôle clé dans la promotion, la planification et la mise en œuvre de l’adaptation. Peuvent être cités, à titre d’exemples, le Plan pour une économie verte 2030 au niveau provincial (Gouvernement du Québec, 2020), la Stratégie nationale d’adaptation pour le Canada (Gouvernement du Canada, 2022) ou encore la couverture d'assurance contre les inondations (Thistlethwaite, 2016). Enfin, les solutions incrémentales liées aux savoirs et aux informations se rapportent autant à la cartographie (inondation, chaleur, espèces envahissantes, et cetera) qu'aux systèmes d'alertes et autres outils d’information spécialisés qui viennent appuyer l’adaptation (MSSS, 2022 ; Ouranos, 2015). Ces solutions font également référence aux connaissances qui intègrent à la fois l'expérience (savoirs autochtones et traditionnels, savoirs des aîné.e.s) et la science, ainsi que les connaissances locales. Elles permettent d'accroitre la capacité d'adaptation et de réduire la vulnérabilité des communautés (Samson et al., 2013 ; Ayalon et al., 2022).

13Un deuxième type de solutions d'adaptation aux changements climatiques est constitué des solutions transformationnelles. Celles-ci impliquent des changements radicaux dans notre façon d'agir (par exemple, changer l'utilisation des sols ou relocaliser une population pour la protéger des risques liés à l'érosion côtière) ainsi que des changements dans notre façon de penser (par exemple, inclure l'acceptabilité sociale parmi les critères de sélection d'une solution d'adaptation) (Klein et al., 2014 ; Simonet, 2016). Alors que l'adaptation incrémentale vise à s'adapter aux impacts (plutôt négatifs) des changements climatiques et mise sur des actions visant à accroitre la résilience (réduire les vulnérabilités) des systèmes existants, l'adaptation transformationnelle cherche à mettre en place des altérations adaptables et progressives, au cœur même des systèmes qui produisent les vulnérabilités (Bleau et al., 2023). Toutefois, bien que, conceptuellement, la pertinence de l'adaptation transformationnelle est attestée, sa mise en place est laborieuse à démontrer, soit par manque d'exemples concrets, soit parce que les résultats demeurent difficiles à mesurer simplement (Ouranos, 2015). À titre d'illustration, il n'est pas simple de démontrer qu'une réorganisation effectuée dans un contexte local donné, sans lien visible avec les changements climatiques (par exemple les modifications d'un processus de planification en développement territorial), génère pourtant des (co)bénéfices considérables face aux impacts directs ou indirects des changements climatiques. L'obligation de consultation publique, dans ces modifications de processus pourrait, par exemple, donner un lieu d'expression à celles et ceux qui ne peuvent pas s'exprimer habituellement (gêne, faible littératie, et cetera.) et ainsi mener à la pratique d'un dialogue entre professionnel.le.s et usagers, qui pourrait conduire à des solutions d'adaptation au climat plus inclusives ; l'utilisation de données probantes provenant de plusieurs secteurs, dont l'environnement, l'économie, la santé et la sécurité publique, pourrait conduire à la protection ou la réhabilitation d'une portion de territoire évitant ainsi qu'une partie de la population habite dans cette zone et soit soumise à un risque futur d'érosion ou d'inondation causé ou exacerbé par les changements climatiques.

14Le troisième cadre conceptuel qui a permis d'organiser les connaissances autour de la problématique des enjeux d’inégalités associées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques est celui de la vulnérabilité. Ce cadre « est devenu peu à peu un concept central dans l’analyse des risques. Envisagé au départ comme une simple fonction de l’exposition aux aléas, le concept de vulnérabilité s’est affiné (Wisner et al., 2003 ; D’Ercole, 1994 ; Reghezza, 2006b). Une littérature abondante y est consacrée (Bankoff et al. 2004 ; Cannon, 2000 ; Pelling, 1997 ; Thouret et Chardon, 1994) » (Thomas et Bleau, 2017, p. 10). Généralement, les auteurs s'entendent sur le fait que la vulnérabilité est variable dans le temps et en fonction de différents éléments dont les principaux sont la sensibilité, l’exposition et la capacité d’adaptation (ou à faire face) (Thomas et Bleau, 2017 ; Ford et al., 2015 ; Ford et al., 2018). Susan Cutter et al., dès 2003, mettent de l'avant que les conséquences des évènements liés aux aléas climatiques sont à identifier non seulement à travers les processus physiques, mais par-dessus tout dans la difficulté des individus ou groupes d'individus à y faire face. La vulnérabilité est la précatastrophe, en d'autres mots, ce sont pour beaucoup les éléments qui caractérisent les systèmes socioéconomiques, c’est-à-dire le revenu, l'éducation, l'âge, l'état de santé, l'ethnie, et cetera, qui engendrent le risque potentiel (Cutter, 2003 ; Cutter et al., 2003 ; Oppenheimer et al., 2014). Kelly et Adger vont dans le même sens : « L'analyse de la vulnérabilité sert de point de départ pour trouver des moyens efficaces de promouvoir des mesures correctives susceptibles de limiter les impacts, en appuyant des stratégies d'atténuation et en facilitant l'adaptation » (Kelly et Adger, 2000, p. 325). Dans la présente exploration des connaissances, la vulnérabilité fait référence aux facteurs qui prédisposent certains individus, catégories d’individus ou régions aux inégalités dues à des solutions d'adaptation.

15Enfin, le cadre de la justice climatique, comme mentionné précédemment, permet d'identifier des pistes pour évaluer les inégalités engendrées ou potentiellement engendrées et tenter de les éliminer ou à tout le moins de les réduire. Selon Schlosberg (2012) et Coggins et al. (2021), il existe trois composantes qui semblent assurer une justice climatique lors de l’élaboration de solutions d’adaptation aux changements climatiques, soit : la justice distributive, qui permet d’identifier comment sont répartis certains éléments (richesse, savoirs, solution d'adaptation, et cetera) à travers la population ; la justice de reconnaissance, qui permet de rendre visibles certains individus ou catégories d’individus qui ne sont pas reconnus comme des acteurs participant aux processus de décisions (itinérants, jeunes, et cetera ) ; et la justice procédurale, qui permet d’assurer la capacité d’un individu ou d’une catégorie d’individu à participer équitablement aux processus politiques et institutionnels (Holland, 2017 ; Byskov et al., 2021 ; Newell et al., 2021). Enfin, l'intersectionnalité devient pertinente lorsqu'il est question de justice climatique, car elle fait ressortir la manière dont les changements climatiques et les politiques environnementales affectent de manière disproportionnée les personnes en fonction de leur situation sociale, économique, de leur genre, leur race, et cetera (Amorim-Maia et al., 2022).

Résultats

16Des enjeux d’inégalités affectant la population, principalement québécoise, mais pas exclusivement, ont été documentés pour les divers types de solutions d'adaptation aux changements climatiques (figure 2). Des enjeux d'inégalités présents au Canada ou ailleurs dans le monde dans des contextes socioécologiques similaires au Québec ont aussi été documentés. Ils ont été intégrés à l'exploration des connaissances puisqu'ils pourraient apporter un éclairage constructif sur la manière dont ils ont été identifiés et quels correctifs, quelles transformations ont dû être apportées aux solutions pour les rendre plus justes.

Figure 2 : Types de solutions d'adaptation aux changements climatiques ayant un potentiel impact sur les inégalités

Figure 2 : Types de solutions d'adaptation aux changements climatiques ayant un potentiel impact sur les inégalités

Adapté d'E. Després (2021)

Les solutions incrémentales, les inégalités potentielles et quelques pistes de réflexion

17Des enjeux relativement aux mesures technologiques ou d’ingénierie ont été repérés dans la littérature, particulièrement en lien avec les pratiques énergétiques résidentielles telles que le rafraichissement des espaces. Ces mesures, allant des plus complexes, comme la géothermie, aux plus simples, comme la ventilation mécanique, en passant par le rehaussement de l'isolation thermique des bâtiments, peuvent venir exacerber des inégalités économiques et de qualité de vie en raison de leur coût (de construction, d'achat ou d'utilisation), ou en raison du statut de l'usager (locataires ou propriétaires) (Kaiser et al., 2016 ; Demers-Bouffard, 2021).

18Concernant les mesures de verdissement, qui ont un effet régulateur sur le climat local en abaissant la température de surface et réduisent les impacts du ruissèlement urbain, certaines peuvent engendrer ou exacerber des inégalités économiques. Malgré leurs nombreux cobénéfices, les mesures de verdissement, par exemple la plantation d’arbres ou l’aménagement de parc, ont été associées à une potentielle création ou exacerbation d'inégalités économiques liées à l’augmentation des valeurs foncières, ce qu’on qualifie maintenant de gentrification verte ou d’écogentrification. En faisant une revue de littérature sur les espaces verts en milieu urbain aux États-Unis et en Chine, Wolch et al. (2014) ont démontré que la création de nouveaux espaces verts et la plantation d'arbres de rue mènent souvent à une augmentation de la valeur des propriétés. L'effet pervers est que cette même augmentation se répercute sur les taxes foncières et, dans certains cas, engendre une hausse des loyers. Cela entraine ainsi des inégalités économiques et une baisse de la qualité de vie pour les ménages à faibles revenus. Ils se retrouvent dans l'obligation d'allouer une part plus importante de leurs revenus aux dépenses liées au logement ou de devoir se relocaliser vers des quartiers où les loyers sont moins chers, mais souvent moins bien desservis en services. Anguelovski et al. (2018) soulèvent le même enjeu avec quelques parcs nouvellement aménagés dans d'anciens quartiers industriels de Barcelone. Quoique moins constaté au Québec, les mesures de verdissements ont également été associées à des inégalités de qualité de vie en raison de l'absence à proximité ou de la distance à franchir plus importante pour accéder à de tels espaces, pour certaines catégories de populations, en particulier la population récemment immigrante, certains groupes de minorités visibles, jeunes adultes, ménages à faible revenu et certains locataires (Pinault et al., 2021; Wolch et al., 2014, Auguelovski et al., 2018). En 2019, à Détroit, Sanchez et Reames ont effectué une étude sur l'accessibilité aux toits verts. Ils concluent que les individus ou groupes d'individus à faible revenu ou marginalisés ont une accessibilité faible, voire inexistante à ces infrastructures en raison du cout de construction et du statut souvent privé de telles infrastructures (Sanchez et Reames, 2019). Ceci étant dit, l'idée n'est surtout pas d'éliminer les mesures de verdissement ou les innovations technologiques qui permettent de s'adapter, mais plutôt de mettre en place des mécanismes qui tiennent compte des potentielles inégalités engendrées bien en amont de la mise en place de ces solutions d'adaptation. La littérature et les spécialistes interviewés nous fournissent d'autres options tout droit sorties de la justice distributive et qui favorisent par exemple davantage l’aménagement d’infrastructures vertes sur les toits et autour des bâtiments publics ou parapublics (bibliothèques municipales, universités, écoles, centres communautaires, et cetera) (Boucher, 2006; Sanchez et Reames, 2019).

19Toujours en lien avec les infrastructures vertes et les mesures de verdissement, on retrouve un autre enjeu d'inégalité de qualité de vie, cette fois en lien avec l'exposition aux allergènes (pollens, moisissures, champignons), dont la concentration croît, entre autres dans l’air, dû aux changements climatiques. Les individus présentant des problèmes cardiorespiratoires sont affectés disproportionnellement par ces allergènes (Demers-Bouffard, 2021). Ici aussi, des choix sont proposés pour atténuer les éventuelles inégalités, tels que la diversification des espèces végétales et la plantation d'arbres mâles et femelles. Les autorités municipales ont souvent eu tendance à privilégier la plantation d'arbres mâles afin d'éviter la production de fruits (pour des raisons de ramassage et de salubrité). Cependant, il convient de noter que les arbres mâles émettent du pollen, qui constitue une source d'allergie pour de nombreuses personnes. Pour contrer l'herbe à poux, autre allergène puissant, on observe dans la littérature qu’une formation au désherbage permettant la transmission de directives claires et régionalisées, tant des citoyens que des instances publiques, diminue de manière importante sa présence sur le territoire (Berrouard et Pourashraf, 2019).

20Relativement aux leviers institutionnels et organisationnels, des stratégies, politiques et programmes publics élaborés et mis en œuvre pour s'adapter aux changements climatiques peuvent engendrer ou exacerber des inégalités économiques, de qualité de vie et d’opportunité. Un membre du personnel d’Ouranos nous a donné comme exemple « qu’au Québec ce sont les ménages à faible revenu et les jeunes adultes qui ont, malgré leur exposition à la chaleur et au froid parce que leurs logements sont mal isolés, le moins accès aux programmes d’efficacité énergétique en raison de leur niveau de littératie, de leur ignorance de ces programmes » (entretien, octobre 2021). Des travaux démontrent que certains individus ou groupes d'individus (ainé.es, itinérant.es, nouveaux arrivant.es, et cetera) ont une présence politique bien moins importante que d'autres catégories, ce qui fait que leurs véritables préoccupations peuvent être passées sous silence (Arsenault et al. 2004 ; Markkanen et Anger-Kraavi, 2019). On retrouve également que, lors d’évènements climatiques extrêmes, ces mêmes individus ou groupes d'individus voient leur pouvoir politique diminuer, et ce, principalement dû au fait que des groupes plus éduqués et favorisés financièrement sont plus présents dans l'arène politique (Rochette, 2016; Nazrul Islam et Winkel, 2017). Par conséquent, ils pourraient être désavantagés relativement à certains programmes qui ne les auraient pas considérés. Il apparait essentiel de se tourner vers des processus participatifs pour répondre aux besoins et à la réalité des ménages à faible revenu (urbains et ruraux), de sorte à optimiser les avantages pour toutes et tous. Les travaux de Rochette (2016), qui s'intéressent davantage à l’analyse différenciée selon les sexes (ADS), concluent que les instances gouvernementales doivent tenir compte du fait que les changements climatiques n'affectent également pas les genres de la même façon. Ses travaux mettent aussi en évidence que l'intersectionnalité des facteurs de vulnérabilité exacerbe les impacts des changements climatiques.

21Certains outils financiers visant à protéger les ménages des impacts des changements climatiques peuvent engendrer ou exacerber les inégalités économiques et de qualité de vie principalement chez les ménages à faible revenu (Bureau d’assurance du Canada, 2019 ; Demers-Bouffard, 2021). En 2019, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) concluait que plusieurs propriétaires, à faible revenu, n’ont pas les moyens financiers pour mettre en place des mesures de protection contre les inondations. En conséquence, leur prime d'assurances est soit très élevée, ou l'assurance n'est tout simplement pas disponible. Cette limite financière pourrait donc engendrer ou exacerber des inégalités économiques (le fait de ne pas être en mesure de se payer un régime de protection), mais aussi de qualité de vie (le fait de subir des conséquences sur la santé physique et mentale) (BAC, 2019). En ce sens, « du fait de leur niveau de mobilité réduite, les personnes âgées constituent un groupe de population plus à risque de décéder en cas d’inondations parce que les évacuations sont souvent inadéquates » (Direction de la Santé publique de l’Estrie, entretien, novembre 2021).  Devant cet état des lieux, le Bureau d’assurance du Canada, tout comme Demers-Bouffard, considère que les programmes d’aide auraient tout intérêt à être pondérés afin de réduire le poids financier des ménages les plus défavorisés et les plus exposés (BAC, 2019 ; Demers-Bouffard, 2021).

22Concernant les savoirs et les informations, il s'agit de solutions d’adaptation qui servent souvent à informer ou communiquer les risques. Certaines mesures, par exemple la cartographie des zones inondables, peuvent, malgré leurs bénéfices, engendrer des inégalités économiques et de qualité de vie, particulièrement chez les individus à faible revenu. En 2019, aux États-Unis, Shr et Zipp (2019) ont montré à travers leurs travaux que le fait de rendre publique une cartographie de zones inondables peut provoquer une diminution des valeurs foncières plus importante pour les propriétés dont l'évaluation est plus basse. Bien que la cartographie des risques puisse aider les propriétaires et les acheteurs à prendre des décisions plus éclairées sur les risques et les impacts potentiels des catastrophes climatiques sur leurs propriétés, il peut également y avoir des problèmes liés à l'exactitude, à l'accessibilité et à la mise en œuvre de la cartographie des risques qui peuvent affecter son efficacité et ses résultats équitables (Hino et Burke, 2021 ; Gourevitch et al., 2023). De plus, des chercheur.es ont observé que des inégalités de qualité de vie et d’opportunité associées à la compréhension d'informations (cartographie de zones inondables, directives à suivre, formulaires à remplir, et cetera). Meyer et al. ont démontré que la langue et le format dans lesquels sont partagés les informations peuvent être un frein à la compréhension des outils de communication des risques, dont les d’inondations, réduisant ainsi la capacité d’adaptation de certains individus ou groupes d'individus (Meyer et al, 2012). Les systèmes d’alertes populationnelles utilisés lors de vague de chaleur extrême ou d'inondation par exemple ont également été reconnus comme présentant un risque d’engendrer des inégalités de qualité de vie liées à la difficulté de rejoindre certains groupes d'individus isolés ou en situation de vulnérabilité, par exemple, les personnes en situation d’itinérance, les personnes ne comprenant pas la ou les langues dans lesquelles l'information a été partagée, les personnes ne possédant pas d'appareil électronique comme un cellulaire, une tablette ou un ordinateur et les personnes se trouvant en régions éloignées (Demers-Bouffard, 2021 ; Mehiriz et al., 2018 ; Patrick, 2014). D'autres choix sont proposés par Lowe et al. (2011) dans le but d'assurer une justice distributive pour les personnes plus difficile à joindre. Ils mettent de l'avant la rédaction de messages spécifiquement pour les personnes vulnérables aux effets de la chaleur en proposant des moyens de communication dans plusieurs langues ainsi que l'utilisation d’images, de bandes audios, de pictogrammes afin d'atteindre celles qui ont une faible littératie. Ils proposent également de porter le message là où sont ces personnes en situation de vulnérabilité (dans les parcs, à l'école, dans la rue, et cetera). Boivin et al. recommandent d'adapter la stratégie de communication aux publics ciblés, particulièrement selon de leur degré de littératie climatique ou de leur niveau de fatigue climatique (Boivin et al., 2023 ; Pruneau et al., 2009). Enfin, relativement aux savoirs et aux informations, certains groupes d'individus subissent des inégalités territoriales liées aux disparités existantes relativement à la disponibilité et la qualité des données, que ce soit en matière d'analyse de vulnérabilité, de risque ou de solution d'adaptation (Dupuy, 2020; GERARCC, 2018).

Les solutions transformationnelles et inégalités potentielles

23Concernant les solutions transformationnelles relatives à l'adaptation aux changements climatiques, une des plus souvent rencontrées dans la littérature est la relocalisation. La relocalisation permanente de population est souvent liée aux inondations ou aux feux de forêt (Kuhl et al., 2014 ; Ouranos, 2015). Elle est le plus souvent réalisée en réaction à un ou des évènements successifs, mais parfois elle est utilisée en mode préventif. La relocalisation temporaire est aussi considérée comme une solution transformationnelle, mais certains la qualifient d'intermédiaire (Zant et al., 2023). Elle pourrait se manifester, par exemple, dans une région agricole, en faisant migrer temporairement des troupeaux pendant les sècheresses. Cette mesure permet de donner du temps pour trouver des solutions qui mèneraient à la transformation de l'agriculture dans cette région pour que cette dernière soit moins vulnérable aux changements climatiques.

24Ce type de solution n'est pas sans risques ou sans coûts. Examinant la littérature sur les impacts de la relocalisation due aux inondations ou aux feux de forêt, des études démontrent que certains individus ou groupes d'individus exposés de manière importante à un aléa climatique (par exemple les personnes qui résident près d'un cours d’eau, habitent en forêt ou dans un ilot de chaleur urbain) ou ayant une faible capacité d’adaptation (liée par exemple au manque de moyens financiers) peuvent être disproportionnellement affectés par ce type de solution (Willoughby et al., 2017). En plus des inégalités économiques potentiellement engendrées inhérentes aux dommages causés et à la perte de propriété, des inégalités de qualité de vie davantage liées à la santé physique et mentale ont aussi été recensées. Concernant les relocalisations, les études démontrent que les personnes à mobilité réduite, les communautés autochtones et les personnes âgées sont disproportionnellement affectées (Lowe et al., 2011; Stares et al., 2014). Pour ces dernières, Willoughby et al. ont démontré que, bien qu'il existe peu de recherches sur les effets d'une évacuation sur les résident.es des maisons de retraite, en Australie, à la suite d’inondations, les procédures d'évacuation pour les relocalisations semblent affecter négativement la survie des résident.es et ce, indépendamment de l'effet de la catastrophe (Willoughby et al., 2017). Ces chercheur.es soulignent qu’une collecte de statistiques de santé avant et après une relocalisation postcatastrophe ainsi qu'une meilleure communication entre les diverses instances publiques et privées engagées dans cette relocalisation sont des aspects fondamentaux pour assurer une adaptation juste et inclusive aux inondations (Willoughby et al., 2017 ; Saunders-Hastings et al., 2020). Une autre mesure d'adaptation transformationnelle a été recensée dans la littérature, il s'agit de l'implantation d'espace de liberté des cours d'eau. Elle vise à réduire l'impact des inondations sur les communautés en redonnant au cours d'eau son espace d'inondabilité et de mobilité. Cette solution a été recensée comme ayant la capacité d'engendrer des inégalités économiques, entre autres chez les agriculteur.trices à travers la perte de droit de culture et de la perte de revenu associée. (Biron et al., 2013 ; Belleau-Arsenault et Robert, 2014). À cet égard, un accompagnement approprié durant la démarche d’aménagement de ces espaces de liberté est un moyen qui est apparu dans la littérature (Conseils du statut de la femme, 2019).

25Certaines catégories de populations sont donc particulièrement vulnérables face aux inégalités engendrées par les solutions d'adaptation aux changements climatiques. C'est le cas des ménages à faible revenu, mais également des personnes âgées, des personnes à mobilité réduite, des personnes qui s’identifient comme femme, des personnes en situation d’itinérance ainsi que certaines communautés issues de minorités visibles et immigrantes ou habitant certaines zones géographiques du Québec (Jodoin, 2020 ; Demers-Bouffard, 2021).

26Plusieurs mécanismes permettent de repérer des enjeux d’inégalités économiques et de qualité de vie, tels que le suivi des valeurs foncières et les analyses distributives sur l’accessibilité physique et financière de certaines solutions d’adaptation (Anguelovski et al., 2018; Pinault et al., 2021; Shr et Zipp, 2019). Et dans ce contexte, certaines pistes de réflexion proposant des solutions d’adaptation alternatives ont été identifiées dans la littérature comme ayant le potentiel de réduire les inégalités; tel que l’engagement continu et l'intégration des divers points de vue des populations concernées (femmes, communautés 2SLGBTQ+, personnes issues de l’immigration, familles monoparentales, ainés, personnes avec des incapacités), des peuples autochtones, des gouvernements de différents paliers, et des principaux acteurs en adaptation aux changements climatiques (Rochette, 2016; Brown et al., 2021; Vodden et Cunsolo, 2021). L'intégration de diverses perspectives et sources de connaissances, comme les savoirs traditionnels autochtones, est également impérative pour une adaptation efficace (Adger et al., 2014; Williams et al., 2018).

27Malgré les progrès considérables réalisés au cours des dernières années, tant dans le domaine des solutions d’adaptation que dans celui des inégalités, la recherche sur les inégalités en lien avec les solutions d’adaptation aux changements climatiques est toujours confrontée à plusieurs défis. Effectivement, plusieurs lacunes ont été repérées à travers les lectures effectuées. Premièrement, même si elles ne sont pas repérées dans la littérature, nous pouvons supposer que d'autres solutions d'adaptation qui ont pour objectif d’adapter les infrastructures aux changements climatiques, engendrent ou pourraient potentiellement engendrer d'autres inégalités, par exemple, des solutions liées à l'ingénierie (isolation des bâtiments, objets connectés qui réagissent aux conditions climatiques, et cetera). On pourrait aussi faire l’hypothèse que les espaces bleus (piscine et plage publiques, fontaine, brumisateur) engendrent le même type d'inégalités que les infrastructures vertes. Certains secteurs d’activités comme l'agriculture, le tourisme et les loisirs présentent peu ou pas de documentation concernant les inégalités potentielles. Toutefois, nous pouvons supposer que les mesures d’adaptation en lien avec les loisirs, par exemple les solutions technologiques pour permettre les sports d'hiver extérieur comme le patinage, peu importe les conditions météorologiques, pourraient rendre les installations moins accessibles financièrement pour certains types de population, considérant le coût de ces mesures. Cela pourrait entrainer des inégalités économiques et une baisse de la qualité de vie.

28À cela s'ajoute un manque d'information au niveau de certaines régions québécoises qui sont moins étudiées, surtout les régions éloignées telles que les régions rurales ou la région arctique. Malgré les avancées dans les dernières années, la plupart des études se font au niveau urbain. En dernier lieu, de plus en plus de chercheurs soulignent que l’évaluation de l’efficacité des mesures d’adaptation pour réduire les impacts négatifs est plutôt rare et mériterait que plus d'efforts y soient consacrés. Selon Brown et al. (2021), cette déficience serait due à la nature plutôt récente de l'adaptation aux changements climatiques au Canada, et au fait que nous en sommes principalement à l'étape de mise en œuvre.

Limites

29Cette exploration des connaissances fait toutefois preuve de certaines limites. En effet, l’intégralité des solutions d'adaptation aux changements climatiques présentes au Québec n’a pas pu être analysée ou recensée, et ce, en raison d’une contrainte de temps, mais également parce qu'elles sont en constante évolution. Il existe effectivement d’autres solutions d’adaptation aux changements climatiques qui auraient été intéressantes d’inclure dans l’analyse, par exemple les mesures éducatives. De plus, bien que les entretiens effectués rapportaient les connaissances de plusieurs experts et expertes venant de différents domaines, certains spécialistes auraient pu sans doute ajouter davantage d’expertise concernant les enjeux d’inégalités en lien avec l’adaptation aux changements climatiques, notamment des spécialistes œuvrant directement avec les communautés autochtones. Deuxièmement, certains biais inconscients ont sans doute influencé la perception des enjeux d’inégalités repérés dans les entretiens ou dans les lectures. Par exemple, le biais de confirmation, qui inconsciemment nous porte à voir ce qui confirme nos croyances, aurait le potentiel d’influencer l’analyse des résultats puisqu’en analyse préliminaire, plusieurs enjeux d’inégalités avaient été préalablement identifiés (Nalty, 2016).

Recommandations et conclusion

30Il ressort tout de même de cette exploration des connaissances quelques pistes qui permettraient une évaluation adéquate et opérationnelle des solutions d'adaptation aux changements climatiques en fonction de potentielles inégalités engendrées. Entre autres, premièrement, de construire sur des acquis, puisqu'il existe des cadres d'analyse qui semblent intéressants à considérer. Deuxièmement, de soutenir le développement et le partage des connaissances transdisciplinaires en matière d’adaptation aux changements climatiques, y compris les savoirs traditionnels et locaux, afin qu’elle soit juste et inclusive. Troisièmement, de systématiser l'analyse des impacts des stratégies, politiques, programmes et mécanismes qui mènent à la planification, au financement, à la conception et à la mise en œuvre de solutions d'adaptation, tout en respectant les spécificités des milieux. Quatrièmement, de favoriser l’engagement d'un ensemble diversifié d'acteurs, à différents moments, selon des modes d'implication et de contribution différents, puisque cette participation multipartite semble présenter une avenue pertinente qui permet d'agir sur la réduction des inégalités en lien avec les solutions d’adaptation aux changements climatiques.

31Finalement, cette recension met en évidence le fait que de nouvelles approches intersectorielles, participatives et transdisciplinaires pour l’élaboration de solutions d’adaptation prenant en compte l’intersectionnalité des enjeux d’inégalités et de vulnérabilités sont essentielles afin de faire face aux changements climatiques de manière efficace et juste au Québec (Friel et al., 2008 ; Front commun pour la transition énergétique, 2019).

Reconnaissance territoriale

32L’échelle du territoire du Québec a été choisie dans cette recension pour des raisons stratégiques et pratiques. Nous reconnaissons que les terres dont il est question dans ce rapport font partie des territoires traditionnels non cédés des nations des Kanien’kehà:ka Anishinabeg, Atikamekw, Innus, Mi’kmaq, Hurons-Wendat, Abénaquis, Wolastoqiyik, Cris, Naskapis et des Inuit.

Ce projet d'exploration des connaissances sur les enjeux d’inégalités associées aux solutions d’adaptation aux changements climatiques a été réalisé grâce au soutien d'Ouranos et de l'Observation québécois sur les inégalités. Nous remercions particulièrement Lorène Cristini pour ses conseils avisés. Les auteures remercient également les relecteur.trices pour leurs précieuses remarques.

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Table des illustrations

Titre Tableau 1 : Combinaisons de mots-clés utilisés pour la recherche dans les bases de données
Crédits Després (2021)
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Crédits Després (2021), adapté de Bleau et al., 2018
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Titre Figure 1 : Cadres conceptuels utilisés pour organiser les connaissances autour de la problématique des enjeux d’inégalités associées aux solutions d'adaptation aux changements climatiques
Crédits Adapté d'E. Després (2021)
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Titre Figure 2 : Types de solutions d'adaptation aux changements climatiques ayant un potentiel impact sur les inégalités
Crédits Adapté d'E. Després (2021)
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nathalie Bleau et Emily Després, « Enjeux d’inégalités associées aux solutions d’adaptation aux changements climatiques : qu'est-ce qu'on en sait ? »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-Série 38 | Octobre 2024, mis en ligne le 18 juin 2024, consulté le 11 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/45250 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12er0

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Auteurs

Nathalie Bleau

Nathalie Bleau est titulaire d’une maitrise en aménagement du territoire. Elle est coordonnatrice scientifique dans l'équipe de coordination de la science de l'adaptation et responsable de l'adaptation des milieux de vie chez Ouranos (Consortium en climatologie régionale et en adaptation aux changements climatiques, Montréal, Canada). Ses travaux visent à soutenir et stimuler le développement de connaissances scientifiques et empiriques, afin de contribuer à construire et renforcer l'adaptation aux changements climatiques des milieux de vie, adresse courriel : bleau.nathalie@ouranos.ca

Articles du même auteur

Emily Després

Emily Després est chercheure indépendante et titulaire d'une maitrise en science de l'environnement. Elle s’intéresse aux défis communautaires liés à l’adaptation aux changements climatiques et favorise les approches transdisciplinaires, locales et intersectionnelles axées sur la sensibilisation, l'éducation et la collaboration. Emily a travaillé avec des gouvernements, des ONG et des communautés, mettant en œuvre des stratégies d’adaptation aux changements climatiques afin de renforcer la résilience climatique, adresse courriel : emilydespres01@gmail.com

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