Littoral et zones humides littorales : des espaces aux paysages nés de l’interaction entre faits de nature et faits de société

1En France et dans le monde, les espaces littoraux ont particulièrement été concernés par les transformations paysagères initiées par les activités anthropiques, notamment entre le XVIIe et le XXe siècles (Miossec, 2004). Ces changements s’illustrent sur la côte atlantique française avec le développement du tourisme et de l’économie de loisir qui entrainent un étalement urbain prononcé sur cette petite portion de territoire. À l’heure des changements globaux, les milieux littoraux sont amenés à changer. De nombreuses recherches s’intéressent alors à leur devenir, que ce soit vis-à-vis de la fluctuation de leur trait de côte et risques associés ou vis-à-vis de leur paysage. Les zones humides littorales (ZHL) représentent des objets d’étude adéquats pour aborder les transformations paysagères des côtes atlantiques au prisme de la relation entre nature et sociétés. Aménagées par le passé à des fins d’usages anthropiques, elles font désormais l’objet d’un souci de protection de leur caractère naturel avec l’apparition de nouveaux savoirs et regards qui leur sont portés depuis la seconde moitié du XXe siècle et qui ont conduit à leur patrimonialisation (Goeldner-Gianella et al., 2011).

2Aujourd’hui les ZHL, caractérisées par une topographie proche du niveau zéro, font face à un risque de submersion accru lié à l’élévation du niveau de la mer. Face à cet enjeu, de nouvelles formes de valorisation de la nature émergent telles que les Solutions fondées sur la Nature (SfN) basées sur les services écosystémiques (SE) que peuvent fournir les milieux naturels tels que les ZHL (zones tampon, milieux épurateurs, ressources en eau, et cetera) (ONERC, 2019). La mise en place de SfN questionne alors le patrimoine naturel de ces espaces dans son mode de gestion basé sur un état de référence choisi et dans une relation renouvelée à celui-ci. Le patrimoine naturel est défini comme la reconnaissance d’un ou plusieurs héritages socio-naturels à travers des valeurs qui leur sont attribuées par des individus ou groupes d’individus (Tardy et Rautenberg, 2013). Ce processus de patrimonialisation se poursuit par la valorisation de ces héritages qui deviennent réellement des objets patrimoniaux quand ils sont appropriés par les usagers et gestionnaires de ces espaces.

3Dans un contexte de changements globaux, les valeurs patrimoniales (plutôt fixistes) accordées à certains milieux naturels nécessitent d’être connues pour mieux accompagner ces changements. Se pose alors la question de ce que les sociétés souhaitent voir conserver dans un contexte de recherche d’adaptation de nos sociétés aux changements futurs. Dans ce cadre, la notion de patrimoine appliquée aux ZHL interroge la nature dynamique des espaces naturels protégés (ENP) et l’évolution paysagère des ZHL dans les années à venir. Elle questionne également son appropriation en révélant les relations entre sociétés et nature tissées au gré des siècles sur ces espaces. Le patrimoine peut ainsi être appréhendé comme un levier d’action face aux risques et changements futurs (Bachelart et Crépeau, 2021).

5Dans un premier temps, l’évolution des paradigmes et réglementations encadrant la protection de la nature en France présente le contexte réglementaire ayant contribué à la patrimonialisation des ZHL. Dans un second temps, la méthode scientifique, les sites investigués et leurs héritages socio-naturels protégés sont présentés. Par la suite, les attributs et valeurs associés aux patrimoines des sites étudiés sont analysés au regard des documents de gestion. Dans une dernière partie, les héritages socio-naturels protégés par la gestion mise en place sont confrontés aux dires d’acteurs (experts, décideurs et usagers) afin d’appréhender l’appropriation de ces patrimoines par les différents acteurs impliqués, et de révéler les controverses autour de la gestion de l'état de référence paysager souhaité.

La protection de la nature en France

6En France, différentes lois ont orienté la protection de la nature. Sans revenir précisément sur leur fondement et création, il est important de comprendre les différents paradigmes autour de la protection de la nature qui ont contribué à la formation d’une stratification des politiques patrimoniales sur certains territoires et de structures spécialisées telles que le Conservatoire du littoral et le Forum des Marais Atlantiques pour les espaces littoraux (figure 1). Les différentes politiques de protection de la nature dépendent des systèmes de valeurs et de représentations associés à la notion de nature. La nature peut être considérée comme un objet politique et social (Arnould et Glon, 2019).

7Du fait de la succession de différents paradigmes autour de la protection de la nature, le caractère de ce qui est protégé change. La diffusion du concept de biodiversité dans la sphère politique oriente la protection de la nature vers des espaces et espèces rares ou menacées avant de s’intéresser à l’ordinaire et la fonctionnalité des milieux avec une certaine anticipation de futurs déclins (Godet, 2010). Cette prise en compte se manifeste à travers le concept de trame verte et bleue issu de l’écologie du paysage et appliqué à des milieux déjà fortement anthropisés comme les villes. Plus récemment, la prise en compte des services rendus par la nature à l’être humain orchestre un changement éthique dans le rapport des sociétés (occidentales) à la nature à travers la notion de SE qui porte sur ces derniers un regard anthropocentré et utilitariste (Devictor, 2014). Cette notion génère une nouvelle finalité économique à la protection de la « nature », dont l’évaluation peut appuyer la protection de ces espaces (Binet et al., 2017). Plus qu’un apport concret à l’évaluation économique de l’utilité de protéger la nature qui reste difficilement réalisable, ce concept permet d’apporter des connaissances sur ces services et de les mettre en débat, en particulier leur application à la gestion des milieux naturels (Dufour et al., 2016). La justification des projets de SfN s’appuie largement sur la notion de SE.

8Influencée par la biologie de la conservation, la protection d’un milieu naturel implique le maintien d’un héritage socio-naturel avec un contrôle des activités humaines. Cet héritage est alors entendu comme un état de référence paysager, c’est-à-dire un état du passé à un temps t dont l’intérêt de protection a été justifié pour des raisons de biodiversité, d’usage esthétique ou autres (Godet et al., 2023). Ce choix repose à la fois sur des faits socio-naturels vecteurs d’héritages, et sur des faits sociaux et sociétaux en lien avec le projet de territoire souhaité et des demandes de la société. Il oriente alors la gestion des sites protégés. Sur les zones humides littorales, les paysages ouverts et humides de type prés salés sont reconnus comme un habitat prioritaire de conservation. Leur gestion nécessite la mise en place d’une « perturbation » sur ces milieux (fauchage, pâturage, et cetera) afin d’éviter leur fermeture par une végétation arbustive puis arborée. Cet état de référence, défini ici comme l’héritage socio-naturel qui a été choisi pour être conservé et sur lequel la gestion est basée, correspond à une période où l’activité agricole était présente sur ces milieux humides et se réfère à une époque contemporaine (souvent le début du XX^e siècle). Ils se situent souvent à des périodes antérieures à une intensification de nos aménagements et activités (Andreu-Boussut et Chadenas, 2023). Ces états de référence peuvent aussi se référer à d’autres temporalités parfois pré-humaines (Godet, 2023) telles que celle de la réserve naturelle Oostvaarderplassen aux Pays-Bas dont la gestion se base sur la réintroduction de mégaherbivores (Lorimer et Driessen, 2014), mais elles restent peu mobilisées sur les espaces littoraux.

Enquêter ce qui fait patrimoine : un regard sur les changements passés et futurs

Ancrage scientifique

« [m]atérialisations imaginaires et socio-environnementales disputées d'un réseau multiscalaire spatialement délimité dans lequel les êtres humains, les flux d'eau, les relations écologiques, les infrastructures hydrauliques, les moyens financiers, les organisations juridico-administratives et les institutions et pratiques culturelles sont définis, alignés et mobilisés de manière interactives à travers des systèmes de croyances épistémologiques, des hiérarchies politiques et des discours naturalisants » (Boelens et al., 2016).

12Empreint de la notion de waterscape (Hurst et al., 2022), l’analyse du paysage (aquatique) révèle la relation entre nature et sociétés et dévoile les systèmes de croyances, les hiérarchies politiques et sociales sources de controverses environnementales liées à la patrimonialisation de la nature et au devenir de ces espaces.

13Cette recherche s’inscrit ici dans le champ de la political ecology et plus particulièrement de l’historical political ecology (Mathevet et al., 2015). À travers cette démarche, les désaccords et controverses autour de la patrimonialisation de ZHL atlantiques se révèlent par la confrontation des discours d’usagers et de gestionnaires entre eux et au prisme de l’histoire environnementale des sites étudiés.

Contexte géographique

Estuaire et marais du Payré

15Le site de l’estuaire et marais du Payré (Vendée, 850 hectares) est entouré par deux pôles touristiques : à l’Ouest, le port de plaisance artificiel de Bourgenay (Talmont Saint-Hilaire) et à l’Est, Jard-sur-mer. Les marais du Payré sont d’anciennes vasières et schorres situés dans l’estuaire du fleuve. Ils ont été transformés en marais salants et à poissons dès le Moyen-Age par des moines de l’abbaye voisine du Lieu-Dieu. La structure particulière des marais à poissons est composée de « fosses » et de « cordes » en eau, puis de « bossis » en terre anciennement cultivés, aujourd’hui fauchés ou pâturés. Au Sud, le fleuve est barré par la flèche dunaire du Veillon. Des dunes perchées et boisées de pins maritimes et chênes verts se situent de part et d’autre de cet estuaire.

16La mosaïque de paysages de ce site est reconnue par son inscription et classement au titre de la loi de 1930 depuis 1975 (figure 3). Elle fait aujourd’hui l’objet d’une grande attention paysagère à travers un projet de classement Grand Site de France. Le parcellaire de trois marais et de prairies au niveau de l’abbaye du Lieu-Dieu ont été acquis par le Conservatoire du littoral, ainsi que des ensembles dunaires. L’ensemble du site du Payré est intégré au réseau Natura 2000 avec la Directive Habitat (ZPS) et la Directive Oiseau (ZSC). Les héritages socio-naturels protégés sont issus de l’exploitation piscicole, salicole et agricole de cette zone humide. Les endiguements successifs, au Moyen-Age, mais aussi plus récemment au XIXe siècle ont contribué à la formation du paysage aujourd’hui patrimonialisé.

Marais estuariens de Corsept

18Les marais de Corsept (Loire Atlantique, 1000 hectares) se situent sur la rive gauche (Sud) de l’estuaire de la Loire (Loire-Atlantique) entre les pôles urbains de Paimboeuf et de Saint-Brévin-les-Pins. On note de forts contrastes paysagers entre la rive Nord occupée par l’ensemble industrialo-portuaire de Nantes Saint-Nazaire et la rive Sud où cohabitent des espaces ruraux autour de Corsept et des ensembles touristiques sur la côte (St-Brévin les Pins, St-Michel-Chef-Chef, Pornic). Le paysage de ces marais estuariens est issu de l’asséchement par drainage (XVII^e-XX^e siècles) par le biais d’un réseau de canaux (étiers) à écluses permettant de réguler le niveau d’eau. Aujourd’hui, les étiers se jettent dans une douve collectrice créée en 1989 et dont les déblais ont servi à ériger une digue de 6,7 km de long isolant les marais des marées. La douve collectrice évacue les eaux dans la Loire via un exutoire unique au niveau de la confluence avec la Loire du ruisseau de la Franchais.

19Le site appartient au réseau Natura 2000 et est protégé au titre de la Directive Oiseau et de la Directive Habitat montrant la reconnaissance d’un patrimoine naturel riche lié à la présence de prairies humides, de prés salés/roselières et de vasières. Le Conservatoire du littoral s’appuie également sur une zone d’intervention et de préemption faisant partie de l’ensemble protégé « Estuaire de la Loire », reflet de la volonté de garantir la protection de ce patrimoine naturel.

Étangs et anse de Penfoulic

21Le site de Penfoulic (Finistère, environ 100 hectares) se situe à cheval entre les communes de Fouesnant et La-Forêt-Fouesnant, deux grands pôles touristiques du Finistère Sud avec la présence du port de plaisance Port-La-Forêt (2^e plus grand port de plaisance du Finistère), d’offres d’hébergements variées et d’une plage fréquentée : le Cap-Coz. Le cordon dunaire du Cap-Coz sépare la baie de La Forêt, dont est issue l’anse de Penfoulic, de la baie de Concarneau. Le site de Penfoulic est traversé par de nombreux vallons encaissés dans le Massif armoricain. C’est au niveau du fond de cette anse, en bordure du bois de Penfoulic, que deux étangs ont été créés avec l’endiguement de deux lais de mer. Le premier étang, nommé « vieil étang », a été édifié en 1840 afin d’élever des huitres et moules. Le second étang, nommé « grand étang », a été créé en continuité du premier pour servir d’élevage de poisson d’eau de mer. Afin d’éviter l’excès d’eau douce, le fleuve Pen An Len a été dévié vers un canal de dérivation (1878). L’ensemble de ces projets ont été entrepris par un seul propriétaire privé, M. De Poulpiquet, dont l’héritier possède encore le grand étang.

22La communauté de communes Le Pays Fouesnantais est le principal gestionnaire depuis 2018 (Figure 8). Les étangs et anse de Penfoulic acquis par le Conservatoire du littoral en 1982 ont fait l’objet d’une restauration : ce site, délaissé à son acquisition et fortement touché par l’ouragan de 1987, a été remis en état avec une replantation d’arbres, la sécurisation des sentiers pour le public, ainsi que la restauration de la digue et du canal. La gestion des milieux herbacés se réalise par pâturage ou par fauche et export des fourrages. Depuis 2018, la gestion de la partie boisée est attribuée à l’Office national des forêts (ONF) qui propose une régénération du boisement avec parfois du bois mort laissé sur place ; sur d’autres secteurs, il s’agit de laisser des milieux en libre-évolution ; et enfin sur les milieux humides, des interventions ponctuelles de création de petites mares sont envisagées afin d’accroitre la diversité des milieux naturels sur ce secteur.

Analyser les controverses autour de la reconnaissance et appropriation des héritages socio-naturels

• Un scénario avec la mise en défense des espaces naturels protégés (Payré).

• Un scénario de non-intervention (Penfoulic).

• Un scénario d’adaptation au changement climatique (réaménagement du site) (Corsept).

24Ainsi, de par la pluralité des formes et des dynamiques présentes sur ces trois zones humides littorales, une prudence est accordée à la comparaison dont le but principal est de mettre en lumière les similitudes et la diversité des trajectoires de patrimonialisation de zones humides littorales atlantiques.

26L’échantillonnage (tableau 1) s’est basé sur les différents usages recensés sur le terrain. Au moins une personne représentant chaque type d’usage a été enquêtée et les principaux gestionnaires ont été rencontrés.

Tableau 1 : Catégories d’acteurs et acteurs rencontrés (27 entretiens)

	Marais estuariens de Corsept	Estuaire et marais du Payré	Étangs et anse de Penfoulic
Gestionnaire principal de l’espace naturel	1	1	1
Gestionnaire de l’espace naturel qui a d’autres missions (environnement, urbanisme, et cetera)	1	3	2
Élus et anciens élus	2	0	0
Membres du Conservatoire du littoral	1	1	2
Membres d’association (naturalistes, habitants, associations de propriétaires de marais, et cetera)	1	0	2
Usagers (agriculteurs, pêcheurs, marin-pêcheurs, et cetera) et habitants pratiquant le site	4	3	2

27La grille d’entretien est structurée en trois thématiques :

• Les pratiques et usages de l’enquêté : pour le gestionnaire cela concerne ses actions de gestion mises en place sur le site.

• Le patrimoine du site : l’objectif de cette thématique est d’identifier ce qui fait patrimoine sur le site selon l’enquêté à travers des notions telles que « richesse », « identité », « menace » et « adaptabilité ».

• Les changements perçus : à travers cette thématique, les changements paysagers et de pratiques sont inventoriés selon la mémoire de l’enquêté.

28Les entretiens ont été retranscrits et ont fait l’objet d’une analyse thématique avec une grille d’analyse en trois parties. La première concerne les facteurs de changements selon la parole des enquêtés. Ceux-ci sont identifiés à l’aide des discours et ont été catégorisés selon leur nature : politique, « naturel », et cetera. La deuxième partie porte sur les valeurs associées aux paysages du site et à son patrimoine. Les valeurs paysagères attribuées aux sites ont été catégorisées selon 8 types de valeurs à partir de la typologie proposée dans l’ouvrage « Anthropologie politique du paysage » : productive, sacrée, esthétique, biologique, marchande, identitaire ou patrimoniale, loisir et habitat (Droz et al., 2009) (annexe 1). La valeur dite « biologique » a été complétée après analyse par les notions d’anthropocentrisme, écocentrisme, biocentrisme développées par la littérature scientifique (Amalric, 2019 ; Buijs et al., 2011 ; Godet, 2010). Le rapport à la nature est alors précisé selon le sens et les finalités de cette relation. Enfin, la dernière partie traite des devenirs paysagers souhaités ou non par les enquêtés à travers leur vision future de l’évolution des sites et de leur désir de changements.

29Parallèlement à cette analyse, la synthèse des documents de gestion (plans de gestions, rapports relatifs à la protection des sites, documents fournis par les gestionnaires, et cetera) met en évidence les raisons ayant contribué à la patrimonialisation des sites étudiés. Celles-ci sont analysées au prisme des huit catégories de valeurs mobilisées pour les entretiens.

30Les divergences de représentations et d’appropriations entre gestionnaires et usagers sont sujettes à controverses, en particulier lorsqu’il s’agit de définir la gestion et les réglementations à appliquer sur les ENP. Les controverses puisent leur force dans la plurivalence du patrimoine et des modalités de sa création. Il convient ainsi de mettre en lumière les paradigmes et valeurs associés à la création de ces patrimoines durant le XXe siècle avant de caractériser son appropriation actuelle.

La construction d’un patrimoine : entre réalités écologique, politique et sociale

31Dans un premier temps, les raisons de la patrimonialisation des trois sites sont identifiées par l’analyse des documents de gestion. Ensuite, l’appropriation collective de ces patrimoines à travers un système de valeurs pluriel est décrite à partir des entretiens.

Reconnaissance et valorisation des héritages socio-naturels à la lecture des documents de gestion

32Les arguments et composantes paysagères associés aux patrimoines font appel à une pluralité d’échelles spatiales. D’une part, la description des composantes écologiques et esthétiques qui ont valu la protection des sites se réalise à une échelle intra sites. D’autres part, les raisons de la patrimonialisation se justifient aussi à une échelle plus large par la confrontation des éléments patrimoniaux à ce qui les entoure.

Des éléments patrimoniaux reconnus pour leur intérêt « écologique » ou l’exceptionnalité de leur paysage

33Au sein des sites étudiés, les documents de gestion mettent en avant l’intérêt « écologique » des sites étudiés. Sur les trois sites, des arguments fonctionnalistes sont apposés pour justifier la protection de ces milieux naturels : zone de production primaire, zone de refuge, zone de nidification et de repos.

• • 11 AD 44, 235 J 17, Lettre de l’APEEL adressé au maire de Frossay au sujet d’une étude d’impact de l’a (...)

  Corsept : « La zone de Corsept assurant à elle seule 57% de la production benthique (nourricerie) de la rive sud de la Loire, il est impératif de rechercher les moyens de lui conserver son rôle biologique majeur »11.

• Payré : « Milieu excellent pour l’avifaune et la flore. Il s’y fait des nidifications intéressantes, on peut noter des échasses, parfois des avocettes venant d’Olonne ». (DREAL, 1975).

34Il est intéressant de remarquer que les fonctionnalités décrites sont majoritairement dirigées vers l’avifaune, figure incontournable de la mise en place des dispositifs de protection au XXe siècle.

35Ces sites sont peu valorisés pour la rareté de leur faune et flore. Cependant, c’est à travers leur qualité paysagère que le caractère exceptionnel des sites se dévoile. Sur Penfoulic, la rencontre du bocage et de la mer, couplée aux divers usages sur le secteur contribuent alors à la qualité esthétique des lieux. Sur le site de l’estuaire et marais du Payré, l’intérêt paysager est remarqué par l’originalité géologique (point de contact entre le Massif armoricain et le Bassin aquitain) contribuant à la présence de certaines formes géomorphologiques originales (dunes perchées) et une végétation particulière composée de boisements de chênes verts et de pins maritimes. L’histoire de ces sites est également valorisée au sein des documents de gestion, que ce soit l’aménagement de lais de mer pour Penfoulic (Cempama, 1999) ou bien les marais du Payré décrits comme un « paysage mi-marin, mi-terrestre, modelé par l’homme. Ils constituent un paysage dont le maintien est lié à l’activité humaine » (DREAL, 1975).

36Parmi les éléments ayant participé à la protection de ces sites, certains ne se rapportent pas aux sites en eux-mêmes mais à des éléments agissant à une échelle plus large.

Des éléments patrimoniaux reconnus par opposition à leur voisinage

37Les éléments paysagers composant le caractère naturel des ZHL sont souvent opposés à leur environnement anthropisé, que ce soit en raison de la promotion d’une économie poly-industrielle par le schéma directeur de l’Aire Métropolitaine Nantes Saint-Nazaire (SDAM) (Vigarié, 1971) ou d’une économie touristique. Les sites sont alors mobilisés comme exemples et boucliers face à l’urbanisation du littoral. L’utilisation des mots « coupure verte naturelle » (Cempama, 1999) (Penfoulic), « écharpe verte » (Dupont, 1978) (Corsept), ou « l’exemple » en tant que vestige d’un milieu naturel « non modifié », illustrent différentes formes d’instrumentalisation de ces milieux entre « espace vierge de toutes actions anthropiques » et boucliers face à l’urbanisation littorale générale mais aussi face à des projets locaux.

38En effet, sur l’estuaire de la Loire, la mise en place de Natura 2000 en 1996 intervient en même temps que le projet d’extension du port vers Donges-Est et n’est pas une mesure compensatoire mais bien une condition négociée en préalable à sa réalisation tout comme la rétrocession de terrains au Conservatoire du littoral en 2000 (Chadenas et al., 2009).

39À Fouesnant et à Talmont-Saint-Hilaire, ce sont deux projets de port de plaisance, respectivement le Port La-Forêt (1972 et le port Bourgenay (1985), qui font émerger certaines dissonances entre des volontés politiques en faveur de l’aménagement à des fins touristiques de ces portions littorales et une volonté de préservation du paysage et de ses composantes naturelles :

• Penfoulic : « Ce site est indispensable à la population locale et est à considérer comme une coupure verte naturelle. Il participe à la conservation d’espaces naturels à grande échelle. » (Cempana, 1999)

• Payré : « Projet de construction de 800 logements à proximité et dans le bois du Veillon, or, une partie de ce magnifique bois du Veillon « est l’exemple de ce que serait en de nombreux endroits la forêt littorale si l’homme ne l’avait pas détruite ou modifiée » (DREAL, 1975).

41L’ensemble de ces mises en patrimoine renouvelle les réseaux d’acteurs avec de nouvelles structures possédant les compétences relatives à la protection de l’environnement. L’objectif est alors différent, il s’agit de préserver le paysage dans un but écologique. La patrimonialisation de la nature et sa gestion induisent de nouvelles valeurs en lien avec la protection de l’environnement, qu’elles soient biologiques et esthétiques, et de nouveaux rapports producteurs de changements et souvent de conflits.

Des héritages socio-naturels reconnus et appropriés à travers les dires d’acteurs

42Les discours des acteurs insistent sur des composantes paysagères différentes caractérisant le patrimoine des sites selon la nature de l’enquêté (usagers /gestionnaire). Les discours des gestionnaires mettent l’accent sur les habitats écologiques du site, ils vont décrire et valoriser certaines associations végétales, certains écosystèmes pour leur rareté et leurs fonctionnalités. Les usagers vont plutôt aborder le site par son esthétisme. À travers cet esthétisme, un cadre de vie est apprécié à travers « la tranquillité », « le calme » ou encore « l’intimité » des lieux (tableau 2). Le patrimoine des sites étudiés est aussi confronté aux espaces alentour dans le but de montrer sa singularité et justifier l’importance de sa protection (site enclavé dans un espace urbanisé, spécificités paysagères qui ne se retrouvent pas ailleurs, et cetera).

43Les pratiques collectives sur ces zones humides littorales, que ce soit à travers les marais à poissons et la gestion en eau ou l’activité de pêche avec les pêcheries sur les bords de Loire, sont une composante majeure du patrimoine raconté. Sur le site des marais estuariens de Corsept, l’attention est majoritairement portée sur les prés de bords de Loire, les marais de fond de plaine alluviale sont rarement cités comme richesse ou comme lieu à visiter. Sur Penfoulic, les valeurs identitaires s’observent plus largement par la confrontation du présent au passé en décrivant des pertes : celles des paysages de bocage ou d’une économie de production (pêche et agriculture) remplacée par une économie de loisir (tourisme). En lien avec ces pratiques collectives et anciennes, des valeurs de production sont attribuées à ces paysages. Elles se révèlent par la lecture des oppositions face aux réglementations vues comme une contrainte pour l’installation d’une exploitation agricole, face à la nature des zones humides littorales considérées comme difficilement praticables ou enfin avec les SE rendues par les ZHL (en tant que zone tampon contre l’urbanisation) permettant la bonne exploitation conchylicole (tableau 2). Enfin, des valeurs marchandes sont attribuées au beau paysage, celui qui se vend, avec l’emploi de certaines expressions promouvant leur utilisation touristique telles que « caraïbes bretonnes » pour parler de l’anse de Penfoulic ou à travers une recherche de financement de la gestion de ces paysages pour un usage de loisir (tableau 2).

Tableau 2 : Valeurs associées aux paysages des marais estuariens de Corsept, des étangs et anse de Penfoulic et de l’estuaire et marais du Payré

	Citations	Sites
Biologique	« alors pour moi, c'est quand même un site qui est resté sauvage. C'est toute cette partie là entre Paimboeuf et Mindin. Elle n'est pratiquement pas construite très au bord. Donc il y a beaucoup d'oiseaux et. Je ne sais pas ce qui se passe au niveau de la vase. Il paraît que ça crée des, comment on appelle ça... ça absorbe le carbone, paraît-il. C'est comme une forêt. ça sert aussi de sites de reproduction de poisson. » (Corsept, habitant_1)	Corsept
	« Le fait aussi qu'on soit à la faille du Massif armoricain 800 hectares déjà, et ici en zone de bocage et là en début de plaine calcaire… [...] On a une richesse floristique exceptionnelle. [...] on est l’un des seuls estuaires libres [...] C’est tout le temps sous l'influence de la marée, donc ça, au niveau biologique, c'est exceptionnel et c'est assez rare » (Payré, gestionnaire 2)	Payré
	« Donc là on a la chance d'avoir un peuplement forestier à base de chêne sessile, on a du chêne pédonculé, mais on a beaucoup plus de chêne sessile. C'est relativement rare entre guillemets dans le Finistère » (Penfoulic, gestionnaire 3)	Penfoulic
Esthétique	« Pour ce site, c'est quoi pour vous ce qui fait sa richesse ? D'avoir une vue comme ça [montre la vue sur l'estuaire] » (Corsept, agriculteur 1)	Corsept
	« C'est une multitude de paysages, de diversité du paysage, de l'estuaire, de la mer et ses alentours à poissons, de la forêt, de la falaise, de la plage et de la prairie, d'un petit village encore. C'est cette diversité et ce côté très nature, préservée, très sauvage encore, je trouve, qui fait l'identité. [...] c'est le côté intimiste du secteur, c'est un petit secteur riche par sa diversité de paysages et de milieux » (Payré, gestionnaire_principal)	Payré
	« En fait, ce qui est unique, c'est quand on arrive à Penfoulic, […] on est au bord de l'eau, mais on a encore la vision de la terre. Et ce n'est pas comme dans certains endroits où on arrive au bord de l'eau, en face de soi on a l'océan, et puis voilà, on n’a pas de cailloux, on n'a pas de verdure. L'anse de Penfoulic en fait, elle est verte, elle est verte. » (Penfoulic, conchyliculteur 1)	Penfoulic
Habitat	« C'est ça [montre les pêcheries et le paysage] c'est ça, puis la tranquillité. t'es renfermé, t'es chez toi. t'as personne qui te fait chier de l'autre côté. T'as la liberté devant et puis c'est pas mal quand même. » (Corsept, pêcheur 1)	Corsept
	« c'était un lieu de bords de mer extrêmement divers. Le fait que ce soit très vallonné, qu'il y ait polyculture, élevage et des bois et les différents types d'activités, ces différents types d'activités créent une richesse » (Penfoulic, association 2)	Penfoulic
Identitaire ou patrimoniale	« Une pêcherie comme ça, un Parisien un coup il voulait me la payer 80 000 €. Même si tu m'en donnais 200 000€ je la vends pas.» (Corsept, pêcheur 1)	Corsept
	« On a des productions qui permettent pas d'en vivre, ça fait une complément. Pis c'est surtout lié au patrimoine » (Payré, saunier)	Payré
	« La richesse est en train de disparaître. Tous ces petits sentiers, toutes ces petites routes, le bocage quoi. Au détriment d'une urbanisation outrancière. [...] Pour moi, Fouesnant a perdu son âme et Beg-Meil […] Mais j'ai tellement la nostalgie d'une époque [temps où l’activité de pêche qui était l’économie principale de Fouesnant avec l’agriculture] » (Penfoulic, ancien marin-pêcheur)	Penfoulic
Marchande	« Pour entretenir un paysage, il faut aussi que derrière, qu'il y ait une activité, une économie, quelque chose qui le tient parce que c'est pas cohérent. [...] Et ça c'est une difficulté à laquelle on se confronte très durement, de plus en plus, c'est voir comment est-ce que finalement le paysage peut être rentable économiquement. Enfin en tout cas, à défaut d'être rentable, de s'autosuffire. » (Payré, gestionnaire 1)	Payré
	« C'est que c'est vrai que c'est beau quand même. C'est chouette. C'est calme, c'est chouette. C'est beau, d'ailleurs c'est ce qui attire les gens, c'est ce qui attire. Ils appellent ça la Riviera bretonne. » (Penfoulic, association 1)	Penfoulic
Productive	« Des grands espaces comme ça, la grande richesse c’est pour nous l’exploitation de pouvoir aller mettre des animaux, c’est vraiment très proche. » (Corsept, agriculteur 2)	Corsept
	« Ensuite, il y a une richesse exceptionnelle pour ce bassin ostréicole puisqu'on a un mélange d'eau de mer et d’eau douce. [...] En même temps, il y a cette surface de marais qui est une surface de tampon pour nous, pour éviter, je dirais, qu'il y ait trop d'urbanisation. » (Payré, conchyliculteur 1)	Payré

44Dans les discours des enquêtés, plusieurs facteurs d’évolution sont mentionnés pour justifier la patrimonialisation. Certains se réfèrent aux projets d’aménagement ayant conduit à l’anthropisation d’une partie d’un site tels que la création des ports de plaisance de La-Forêt (Penfoulic) et de Bourgenay (Payré). D’autres vont insister sur les changements liés aux caractéristiques littorales telles que les flux hydrosédimentaires ou les évènements tempétueux. Les évolutions agricoles, notamment les périodes de remembrement et la disparition des petites fermes, sont une dynamique fréquemment exprimée. La reconnaissance du patrimoine se fait ainsi par opposition aux dynamiques avoisinantes qui ont contribué à dégrader l’environnement, que ce soit lié à l’urbanisation à des fins touristiques (Penfoulic, Payré) ou bien lié à l’industrialisation pour l’estuaire de la Loire (port de Nantes-Saint-Nazaire, raffinerie de Donges, industrie d’engrais chimique à Donges).

45L’analyse des discours des usagers et acteurs révèle une appropriation du patrimoine à travers des systèmes de valeurs différents. Ce qui relève de la « nature » est opposé à ce qui relève de l’être humain.

« Ici il y a, pour nous une zone naturelle, C'est tout ce qui est à l'extérieur des digues [,ce qui] est inondé par la mer, l'homme n'intervient pas. Mais sinon, tout ce qui est endigué, c'est à l'intérieur et l'homme est toujours obligé de l'entretenir. Et c'est pour ça qu'on n'est pas toujours d'accord avec les associations parce qu'ils disent toujours "zones naturelles". Ce n'est pas une zone naturelle vu que ça a été créé par l'homme et c'est entretenu par l'homme. L'interprétation qu'ils en font, ce n'est pas la même que nous. Et ils voudraient bien nous voir partir. » (Payré, membre 1 d’une association de propriétaires de marais)

46La nécessité de protection de ces milieux face aux changements environnants fait consensus parmi les acteurs et usagers interrogés malgré une pluralité de valeurs associées à ces patrimoines. Néanmoins des points de cristallisation s’observent autour de la gestion des sites, complexifiée par la nature hybride des patrimoines et la vision dichotomique de la nature. La gestion peut alors être perçue comme contradictoire, en particulier lorsque celle-ci concerne la gestion hydraulique.

47Derrière ces propos, les états de référence paysagers protégés sur ces ZHL sont questionnés par leur passé et devenir. Cette seconde partie d’article examine la façon dont se construisent et confrontent les états de référence paysagers des sites étudiés. Sont-ils reconnus de la même façon par les gestionnaires et usagers ? Quelles représentations de la nature leur sont associées ? Comment sont projetés ces états de référence par les usagers et gestionnaires dans le contexte actuel de changements globaux ?

Controverses autour des patrimoines naturels : les états de référence paysagers mis en débat

48Le discours des usagers confronte les héritages paysagers à leur évolution passée et future. Il met alors en débat les états de référence par la critique de la gestion choisie par les gestionnaires. Les sites les plus caractéristiques sont utilisés en tant qu’exemple pour chacune des réactions analysées.

Des héritages socio-naturels reconnus, des fonctionnalités décrites différentes

« Le gabarit, ça fait des siècles et des siècles que ça existe. Il a été comme ça, c'est qu'il suffit à l'alimentation. […] Mais alors à partir du moment, le schorre ils appellent ça, à partir du moment où il se réduit il y a moins d'alimentation en eau des marais […] Alors, au moment où tout le monde veut en faire rentrer, il y a plus de gabarit, il n'y a plus assez d'eau pour tout le monde. Et ça, là c'est une grosse faute qu'ils viennent de faire. » (Payré, membre 2 d’une association de propriétaires de marais).

50Sur l’ensemble des sites, malgré la reconnaissance par les usagers de l’importance de protéger ces milieux, les réglementations, contraintes et gestions relatives aux différents dispositifs de protection sont pour certains usagers peu comprises et critiquées au regard de la nature hybride de ces milieux.

« Il y a toujours une réglementation nouvelle qui vient s'ajouter à la réglementation existante. Là, ils disent non, c'est un site Natura 2000. Ils ont l'impression qu'un site Natura 2000 on ne touche plus à rien alors qu’ici c'est un site entièrement artificiel ! Et s'il est comme il est, c'est parce que justement l'homme est intervenu, on a toujours travaillé dedans. » (Payré, membre 1 d’une association de propriétaires de marais)

52Ainsi, trois marais du Conservatoire du littoral ne sont pas contractualisés. L’enfrichement qui en résulte est alors fortement décriée par les exploitants de marais et reflète un attachement aux pratiques ancestrales qui s’effectuaient par le passé :

« C'est un site exceptionnel. Il faut tout faire pour protéger. Mais moi, je ne vois pas comment, parce que, en faisant comme le Conservatoire du littoral, en mettant toute cette partie sans rien dessus, on laisse presque à l'abandon. Et c'est ça sauver le marais ? Il y avait autant d'animaux, d'oiseaux, de canards, de toute espèce, avant que maintenant » (Payré, agriculteur)

53L’héritage socio-naturel ou état de référence reconnu par les propriétaires de marais correspond à celui des années 1950 et se rapporte à la gestion collective des eaux et au maintien des paysages ouverts des marais par leur exploitation (figure 10). Une certaine nostalgie des pratiques et traditions anciennes qui tendent à se perdre par le développement d’un usage de loisirs dans ces marais se discerne au sein de ce collectif :

« Il y a une liste d'attente pour acheter le marais. Dès qu’il y a un marais à vendre, Boum, ça y est il est vendu. C'est ce qui fait monter les prix parce qu’avant ça ne valait rien un marais. […] mais maintenant, c'est plus du marais de loisir, c'est moins du marais… [productif] » (Payré, agriculteur)

54Le point de crispation se situe dans la gestion d’un état de référence dont les fonctionnalités divergent. Les usagers de ces marais ont une vision anthropocentrée et utilitariste de la nature alors que les gestionnaires, à travers la valorisation des fonctions écologiques et esthétiques, ont un lien inclusif qui reste anthropocentré.

« c'est une difficulté à laquelle on se confronte très durement, de plus en plus, c'est voir comment est-ce que finalement le paysage peut être rentable économiquement. Enfin en tout cas, à défaut d'être rentable, de s'autosuffire. On se pose la question pour le pâturage notamment aujourd'hui, ça n'a rien à voir mais quand même un petit peu, on se retrouve à être obligé, sur certains secteurs, à devoir payer des agriculteurs pour mettre leurs animaux pour pâturer et entretenir certaines parcelles. » (Payré, gestionnaire principal)

55À travers les discours des usagers, la valorisation des pratiques qui se faisaient au début du XX^e siècle remet en question des modes de gestion mis en place pour conserver les héritages socio-naturels. L’évocation du passé et les divergences de points de vue sur la gestion révèlent une controverse autour de l’état de référence choisi par les gestionnaires. Ce choix est à la fois motivé pour des questions plus ou moins écologiques, dans le but de favoriser les fonctionnalités des milieux naturels et leur diversité, mais est aussi contraint par les moyens techniques, financiers et humains des structures gestionnaires sur l’ensemble des sites. Lorsque les enquêtés sont questionnés sur les devenirs envisagés sur le site, l’utilisation des évolutions paysagères passées et connues est aussi mobilisée et crée des visions prospectives différentes.

Des héritages socio-naturels confrontés à leur évolution future, des visions prospectives différentes

56Ce sont par les projections que se lisent des divergences de fonctionnalités accordées à cet état de référence. Les enquêtes menées sur Corsept sont majoritairement mobilisées pour ce point et complétées par le site de Penfoulic et du Payré afin d’illustrer des nuances.

57La commune de Corsept s’est engagée dans une réflexion avec le Conservatoire du littoral et le Département vis-à-vis du maintien ou non de sa digue en inscrivant ce site au sein des questionnements du projet LIFE adapto. L’idée principale est un projet de restauration avec le démantèlement ou le non-entretien de la digue afin de restaurer l’influence des marées sur le site. Basé sur un état de référence d’avant digue, ce projet implique de nombreux changements paysagers mais aussi des négociations avec les usagers, en particulier avec les agriculteurs qui avaient initialement souhaité la construction de la digue. De plus, le circuit de la Loire à Vélo passant au pied de la digue devra être adapté ainsi que l’accès à l’ensemble des pêcheries présentes sur la rive Sud depuis la digue. La prise en compte des conséquences sociales et économiques de ces changements paysagers n’est pas manifeste de la part des élus, la motivation est avant tout écologique :

« Quand on va revoir ici dans les marais toute l’eau revenir ça va choquer. Mais on aura un paysage tout à fait différent. Les agriculteurs, il va falloir qu’ils se recadrent par rapport à la nature, aux périodes ou faire des foins plus tard ou avancer je sais pas. Bref, s’adapter à la nature et non pas l’inverse. Et donc là cela peut être intéressant d’avoir des marais, tout ça. » (Corsept, élu)

58Les agriculteurs enquêtés n’ont pas mentionné ce projet mais leur retenue vis-à-vis des protections de la nature de ce site questionne l’acceptation de ce dernier dont la visée est principalement écologique : « [la protection naturelle] C'est bien et c'est mal parce que ça permet de préserver certainement une partie de la nature mais ça empêche, si quelqu'un voudrait s'installer ici, de faire une ferme. Il aura pas le droit de faire de bâtiment quoi. […] On n'a pas le droit de labourer les terres non plus. » (Corsept, agriculteur)

59La problématique de sédimentation soulevée dans de nombreux entretiens et archives constitue l’un des défis de ce projet de restauration. La digue et la douve collectrice des eaux des étiers ont été réalisées dans le but de faciliter l’évacuation des eaux des étiers des marais rendue difficile en raison de la sédimentation importante au niveau de la rive Sud. Aujourd’hui, la gestion hydraulique est floue, de nombreuses écluses permettant d’évacuer l’eau des marais dans la douve principale sont encore ouvertes par les riverains selon les marées (Corsept, ancien elu). Cette gestion n’est pas optimale car les étiers s’envasent. De nombreux enquêtés mettent en avant un paysage existant avant l’envasement du chenal Sud. Dans les visions du devenir de ce site, les usagers souhaitent cette gestion et le désenvasement des étiers en particulier du port de Corsept, voire même la réouverture du chenal Sud :

« Il a été question de rétablir le chenal sud. Ce serait pas trop difficile. […] Il n'y aurait pas besoin d'entretenir ce chenal. De l'autre côté, qu'on entretienne le chenal c'est normal puisqu'il passe des bateaux de fort tonnage qui certains remontent jusqu'à Nantes. Mais ici, c'est que des bateaux de pêcheurs ou les bateaux de plaisanciers. Donc il n'y a pas besoin d'avoir des profondeurs énormes. Donc ça serait bien. Mais là encore, il y a des discussions, il y a les écologistes, il y a les industriels… tout le monde dit son mot » (Corsept, habitant)

60Cet état de référence peut être mis en lien avec l’état d’avant digue sur le plan paysager. Néanmoins, il diffère dans la valeur qui lui est accordée : pour le gestionnaire, la restauration des paysages d’avant aménagement a une valeur biologique en tant que milieux estuariens fonctionnant avec les marées. Pour les habitants, c’est un usage et une relation à l’eau retrouvés. L’esthétisme et le cadre de vie priment ici sur la production, la digue ayant été érigée en partie suite à une demande des agriculteurs afin de les protéger de l’eau salée et d’embâcles transportés par l’eau. Excepté ce changement cité par quelques enquêtés, le patrimoine du site de Corsept est peu imaginé autrement que tel qu’il est aujourd’hui. 

63La description de ces patrimoines par les dires d’acteurs révèle les divergences de points de vue quant à leurs évolutions. Derrière ces divergences, ce sont des représentations sociales de la nature associées aux états de référence paysagers qui s’opposent et créent la controverse.

Discussion

64Sur les trois sites et leurs alentours, différents choix (ou non-choix) orientent la gestion future de ces patrimoines. Sujets à controverses, ces choix révèlent la pluralité des états de référence décrits par les gestionnaires et usagers des sites.

65Que ce soient les usagers ou les gestionnaires, le vocabulaire mobilisé pour décrire le paysage des sites est lié à la beauté des lieux mettant en valeur leur caractère verdoyant et aquatique, l’impermanence de leur paysage qui varie avec les conditions météorologiques et les marées. Les usagers mentionnent aussi l’ambiance des lieux décrite comme un cadre de vie tranquille opposé à un environnement urbanisé. Sur Corsept, les composantes paysagères liées à l’activité agricole dominent, valorisant pour l’usager la ruralité de ce secteur enclavé dans des espaces urbanisés (Paimboeuf, Saint-Brévin et Saint-Nazaire). Pour le gestionnaire, ce caractère rural est associé à une forme de naturalité d’un milieu naturel qui n’apparait pas trop dégradée. Tout comme le site de Corsept, la dimension paysagère, esthétique et « naturelle » du site de Penfoulic est associée au cadre de vie pour les usagers et, pour le gestionnaire, aux fonctionnalités écologiques et en tant que coupure naturelle face à un environnement urbanisé. Sur le site du Payré, la diversité des formes paysagères (paysage de rivage estuarien, paysage dunaire et paysage de marais) promeut un paysage « carte postale » par les gestionnaires et usagers. Le gestionnaire cherche à conserver la naturalité et l’esthétisme de ce paysage diversifié alors que l’usager met en avant l’histoire des pratiques et des traditions.

66La description des composantes paysagères associées aux états de référence révèle ainsi des représentations sociales différentes entre usagers et gestionnaires. Pour les usagers, elles sont majoritairement anthropocentrées autour de l’esthétisme et du cadre de vie qu’apporte la nature. Sur le site du Payré, elles sont également patrimoniales et fonctionnelles par la valorisation des traditions, usages et pratiques qui se sont développés sur ces milieux naturels. Pour les gestionnaires, majoritairement des sites Natura 2000 et du Conservatoire du littoral, les représentations sociales portées aux états de référence sont inclusives : la nature est issue de l’interaction entre les sociétés et les êtres humains. Sa gestion se concentre sur les éléments naturels. Pour d’autres, ces représentations sociales sont anthropocentrées autour de l’esthétisme et des SE qu’apporte la nature par le biais d’une approche fonctionnaliste. Peu de gestionnaires convoquent le paysage sensible (Barthon et al., 2019), excepté sur le site du Payré.

67Ici se dégage l’influence des paradigmes associés aux dispositifs de protection (figure 1). Le site du Payré est le seul à avoir un périmètre classé au titre de la loi de 1930. L’intention collective de ce dispositif est de conserver l’identité et la symbolique des paysages à travers une représentation de la nature dite « inspirée et domestique » (Dedinger et al., 2023). Les politiques et conventions des sites du Conservatoire du littoral et de Natura 2000 promeuvent l’éducation à l’environnement par la sensibilisation et l’accueil du public, et un maintien des activités productrices à condition qu’elles favorisent la biodiversité à travers de bonnes pratiques. Les paradigmes autour de ces dispositifs de protection portent sur la nature une représentation « civique et industrielle » (Dedinger et al., 2023). Les compromis patrimoniaux, négociés autour de règles de gestion, prennent en compte ces représentations véhiculées par les dispositifs de protection et les gestionnaires. Néanmoins, tout comme les marais de Brouage et du Fier d’Ars, ce n’est pas pour autant que ces règles ne sont pas réinterprétées par les usagers à travers leurs représentations de la nature (Dedinger et al., 2023). Appliqué aux sites étudiés, derrière les états de référence se cachent des configurations spatiales de l’espace rural du début du XX^e siècle que les gestionnaires des ENP souhaitent volontairement réhabiliter à travers un paradigme de conservation compositionnaliste (Barraud et al., 2019) car elles sont associées à une biodiversité riche, résultat non intentionnel de pratiques anciennes et (quasi) disparues (Marty, 2005). Les divergences de représentations sociales de la nature amènent une controverse quant au choix de l’état de référence et à son devenir d’autant plus que celui-ci est remis en cause par les opérateurs de projets de restauration. À travers ces projets, la stratégie de conservation change et s’oriente vers une approche fonctionnaliste des milieux par la mobilisation des SE pour lutter contre le changement climatique (régulation du niveau des mers, puits de carbone, et cetera) (Andreu-Boussut et Chadenas, 2023). Le projet de restauration de Corsept en est une parfaite illustration.

68Si l’intensité des échanges et des controverses diffère d’un site à l’autre, ce fait s’explique par l’histoire de ces territoires hydrosociaux et par les différents collectifs investis sur les sites étudiés. La bascule paysagère de la trajectoire de l’anse et étangs de Penfoulic se résume à la volonté d’une famille propriétaire, entourée et accompagnée par les services de l’État. En conséquence l’appropriation de ce site et de ses ressources notamment aquacoles est restreinte et peu collective en comparaison aux autres sites étudiés. Dans le cas de l’assèchement des marais de Corsept, même si l’initiative provient du suzerain des terres de Corsept, la finalité est collective à travers l’exploitation des terres agricoles et la gestion hydraulique des chenaux d’assèchement. De même, l’exploitation des marais à poissons et les marais salants du Payré repose sur un réseau d’acteurs regroupés collectivement pour gérer les eaux des marais. Sur ce site, ce collectif est encore actif et a pu être « réactivé » par les tensions soulevées par l’Opération Grand Site de France. Ces différents constats mettent en lumière le processus de construction de l’état de référence à travers le maintien d’une mémoire qui est racontée par le collectif.

69Les conflictualités relatives à la protection de l’environnement ont largement été étudiées dans la littérature scientifique que ce soit vis-à-vis de la mise en protection d’espaces naturels (Barthon et al., 2019 ; Cadoret, 2011), ou bien de projet de restauration (Germaine et al., 2019 ; Jørgensen et Malm Renöfält, 2013 ; Buijs, 2009). Ces études mettent en avant le rôle des territorialités et de l’attachement aux lieux dans l’émergence des conflits (Cadoret, 2017) mais aussi le rôle des représentations sociales portées sur la nature (Buijs et al., 2011). Cet article conforte ainsi ces analyses et apporte un autre regard en questionnant les états de référence paysagers conservés sur des ENP à travers les dires d’acteurs et représentations sociales associées. Cette notion révèle l’origine de controverses actuelles autour de la gestion de ces patrimoines naturels qui peut être synthétisée en trois sources : (i) une divergence de représentations sociales de la nature entre usagers et gestionnaires, (ii) une influence des différents paradigmes de protection de la nature sur la gestion mise en place et (iii) l’histoire environnementales de ces territoires hydrosociaux.

70Ces patrimoines de « résistance » (Berdoulay et Soubeyran, 2013) créés en opposition à des projets ou dynamiques engendrant un impact sur l’environnement, peinent à se renouveler dans un contexte de changements globaux. Si la résilience de ces espaces est abordée par le biais de projets ou réflexions d’adaptation face au changement globaux, ces derniers sont planifiés par hiérarchisation des enjeux avec une priorisation à la lutte contre la montée du niveau des mers (Vallette, 2019). Par son rapport bien souvent arrêté et centré sur un état passé, la notion d’état de référence peine à prendre en compte les images projetées de l’évolution du paysage de ces zones humides littorales ; et si elle tend à embrasser la conception « d’écosystème nouveau » c’est plutôt à travers une approche d’éco-ingénierie cadrante et utilitariste (Andreu-Boussut et Chadenas, 2023). Finalement, de par ses limites, cette notion montre la nécessité de transformer la façon de considérer les usages anciens et nouveaux dans la protection des milieux naturels et d’entrevoir de nouvelles formes de relations pour dépasser l’anthropocentrisme dominant de la conservation de la nature dans les sociétés occidentales. Les changements globaux peuvent alors être perçus comme une opportunité pour renouveler les consensus et compromis autour de la nature de ce qu’on souhaite protéger et la manière de le faire.

Conclusion

71Dans les trois cas d’étude, les patrimoines protégés sont issus d’usages anciens qui ont disparu ou qui peinent à se maintenir aujourd’hui et peuvent être qualifiés d’hybrides. De nombreuses actions de gestion sont mises en place pour les conserver et sont parfois couteuses dans le cas de restaurations des milieux. Les états de référence choisis par la gestion du patrimoine se réfèrent à la première moitié du XX^e siècle pour le site de Penfoulic et du Payré et les années 1990 pour le site de Corsept. Ces choix sont remis en question par les usagers dans leur fonctionnalité (cas de la gestion hydraulique du Payré) et leur temporalité (maintien ou non des digues sur le site de Penfoulic et de Corsept). L’évolution de ce patrimoine et sa gestion à l’échelle locale apparaissent peu liées au changement climatique. Les réflexions portant sur la gestion de ces sites avec l’intégration de mesures d’adaptation aux changements climatiques se portent à des échelles plus globales et sont illustrées localement par des sites pilotes (cas du projet ADAPTO).

72Au-delà de l’appropriation du caractère patrimonial de ces sites, les controverses environnementales portent sur deux aspects : d’une part sur le choix actuel de l’état de référence paysager à conserver ou du « type historique de dialogue homme-nature » (Beck et al., 2024) ; et d’autre part sur le devenir de ces espaces. L’analyse des dires d’acteurs sur les sites étudiés a permis d’identifier les verrous relatifs à la gestion de ces patrimoines dans un contexte de changements globaux. Ceux-ci sont d’ordre social avec des valeurs et représentations diverses entrainant des désaccords sur l’avenir du patrimoine naturel. Enfin ils sont aussi structurels avec des collectivités timides et peu outillées pour aborder l’adaptation d’objets hybrides, tels que la plupart des zones humides littorales atlantiques, au changement climatique.

73Les verrous relatifs à l’adaptation de ces patrimoines vis-à-vis des changements globaux peuvent être reliés au caractère hybride des objets étudiés, dont les matérialités sont indissociables des processus biophysiques et sociaux les ayant construites à travers le temps (Lespez et Dufour, 2021). En raison d’une vision dichotomique de la nature qui s’oppose à la culture dans les sociétés occidentales, les modes de protection et gestion associée, et les usages et pratiques actuels peinent à s’associer autour de la protection d’un espace « naturel » approprié. Ces constats amènent également à questionner la notion de patrimoine : comment prendre en compte les dynamiques socio-naturelles des espaces patrimonialisés dans un contexte de changement globaux ? Ils nous invitent à repenser les modes de protection de la nature existants à l’aune des changements globaux et à laisser une marge de liberté pour que cette dernière puisse s’exprimer et évoluer.

ANNEXE 1. Typologie de valeurs paysagères pouvant être attribuées à un paysage (Droz et al., 2009)

Valeurs	Description
Productive	« La valeur productive se réfère à la production primaire : agricole et sylvicole essentiellement. Cette valeur s'attache à tous les éléments vus ou perçus dans un paysage qui mettent en avant l'exploitation des ressources primaires ou biotiques. Elle est associée à une dimension économique évidente, mais ne s'y résume pas : une personne mobilisant cette valeur paysagère pourrait, par exemple, défendre l'exploitation non-rentable économiquement d'une forêt ou de terrains agricoles pour le bien du paysage. »
Sacrée	« La valeur sacrée se rapporte à tout ce qui touche au caractère "sacrée" de la nature et à un rapport entre l’être humain et la nature vécu sur un plan mystique. Appliquée au paysage, elle évoque, par exemple, le resourcement que procure la contemplation d'un paysage. C'est le paysage qui "regénère", par son harmonie, son calme, sa beauté, et cetera C'est elle qui est mobilisée lorsqu'une personne contemplant un paysage se sent en communion profonde avec la nature ou subjuguée par sa grandeur. »
Esthétique	« La valeur esthétique envisage le paysage sous l'angle de la beauté des formes. C'est le regard du peintre qui s'attache à la composition des éléments, l’harmonie des formes et des couleurs. Les autres valeurs paysagères utilisent les notions de beauté et d'esthétique, mais toujours en les reliant à une autre finalité : tel ou tel élément paysager sera "beau" pour ce qu'il évoque, parce qu'il symbolise un enjeu extérieur aux considérations purement esthétiques. La valeur "esthétique" c'est le discours du beau pour lui-même. »
Biologique	« La valeur biologique correspond au discours écologique. Elle se préoccupe de la diversité des espèces, des intérêts de la faune et de la flore. C'est elle qui fera voir une mare stagnante entourée de hautes herbes comme un biotope extraordinaire procurant un habitat idéal pour une foule d'insectes, de plantes rares et de batraciens. Elle se réfère à un enjeu placé dans le paysage : la préservation de la "nature". Elle inspirera tout autant le discours d'un docteur en botanique que celui d'un électricien aimant contempler les petites fleurs. Précisons que la valeur biologique concerne avant tout la nature dans le paysage. De ce fait, les discours qu'elle suscite contribuent parfois à brouiller les limites entre ces deux termes - nature et paysage - que nous avons évoqués. »
Marchande	« Le paysage à vendre. Cette proposition résume la valeur paysagère "marchande". Celle-ci envisage le paysage comme un élément de marketing, que ce soit dans le cadre du développement touristique que d'une région ou dans la promotion de produits "du terroir". Le paysage est considéré comme un moyen de créer de la valeur économique, sans que cela ne soit lié à une production de type primaire ou à une exploitation des ressources naturelles. Le paysage lui-même - en tant que représentation - est une ressource commercialisable. »
Identitaire ou patrimoniale	« La valeur identitaire et patrimoniale regroupe deux dimensions du paysage difficilement séparables : le paysage comme objet d'une projection identitaire individuelle et le paysage comme patrimoine collectif. Il s'agit en fait de deux formulations différentes du processus de construction identitaire basée sur un paysage. Cette valeur se matérialise dans la revendication d'un lien particulier avec le paysage d'une région - ou avec certains éléments paysagers - qui deviennent les symboles d'une identité locale, régionale ou même nationale. Cette relation au paysage peut être vécue comme un attachement personnel ou collectif, sur le mode de l'intime ou de l'officialité. C'est tout à la fois le paysage qui nous parle parce que l'on s'y reconnaît, et le paysage comme patrimoine à sauvegarder, comme monument historique comme un héritage reçu des ancêtres. »
Loisir	« La contemplation du paysage est fréquemment associée aux pratiques sportives ou de délassement : ski, marche en montagne, parapente, VTT, promenade du dimanche, et cetera. La valeur de loisirs envisage le paysage comme un cadre pour accomplir ces activités. Le paysage est là pour que l'on en profite, chacun à sa manière. C'est un espace de détente qui doit être accessible. Le promeneur appréciera le confort des chemins, les points de vue panoramiques. Le parapentiste imaginera la vue "d'en haut" et mêlera à son regard paysager l'évaluation des régimes de vent... »
Habitat	« La valeur d'habitat envisage le paysage comme un cadre de vie. Elle fera apprécier dans un paysage tout ce qui favorise ou signale la qualité de vie des habitants. Dans la gestion paysagère, elle fera privilégier un développement économique équilibré, l'aménagement général de la région, le développement des zones habitées, et cetera. Selon elle, le paysage doit contribuer à un environnement confortable où il fait bon vivre. »

Nous tenons à remercier l’ensemble des enquêtés qui nous ont accordé leur temps, offert leurs visions et points de vue, et qui ont ainsi considérablement contribué aux réflexions de cette recherche. Celle-ci n’aurait pas pu exister sans le soutien financier de l’Agence de l’Eau Loire-Bretagne et la région Pays-de-la-Loire, nous leur en sommes vivement reconnaissantes. Ce soutien s’est manifesté par la réalisation d’un projet doctoral mené à l’Université d’Angers et l’Institut Agro de 2018 à 2022 par Léa Paly. Enfin, nous tenons à remercier les évaluateurs pour leurs précieuses remarques ayant permis de clarifier et approfondir ce propos.