Introduction

1Le Plan national santé environnement 2004-2008 marque, en France, un tournant dans la lutte contre les pollutions présentant un impact sanitaire, avec la création de l’Observatoire des résidus de pesticides traduisant une forte volonté des pouvoirs publics de réduire l’utilisation de ces produits (Guichard et al., 2017). Dans la dynamique du Grenelle de l’Environnement (2007), le premier plan Ecophyto (ou Ecophyto 2018) est lancé, parallèlement aux plans « Ambition Bio » et « Haute Valeur Environnementale ». Il a pour objectif de faire évoluer les pratiques et les systèmes agricoles et non-agricoles vers une réduction de 50% de l'usage des pesticides à l'horizon 2018, si possible. Peu après, la Directive européenne 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaure « un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable » (JOUE, 2009). Toujours en vigueur, elle vise la réduction de l'impact des pesticides sur la santé humaine et l'environnement, ainsi que la mise en place de la lutte intégrée (via notamment l’utilisation de méthodes alternatives non chimiques). Cette directive impose notamment à chaque État-membre la mise en place d'un plan national d'action, d’un dispositif de formation des utilisateurs professionnels et d'une inspection du matériel d'épandage. Sur le constat de résultats insatisfaisants (Guichard et al., 2017), une mission parlementaire est confiée au député Potier en 2014. Elle conclut que plusieurs conditions nécessaires à la réduction de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sont en place, mais que l'ensemble des conditions suffisantes ne sont pas réunies (Potier, 2014). Sur cette base, le plan Ecophyto II est publié en 2015, confirmant l’objectif de réduire de moitié l’utilisation des produits phytosanitaires en 10 ans (d’ici à 2025), avec un objectif intermédiaire de -25% à l'horizon 2020. Confortant plusieurs actions « socle » du plan Ecophyto 2018, il intègre de nouvelles mesures comme l'expérimentation de certificats d’économie de produits phytopharmaceutiques (CEPP), qui vise à inciter les distributeurs à promouvoir auprès des professionnels des actions permettant de réduire les usages, ou la mise en place d’un dispositif global de phyto-pharmacovigilance, afin de mieux cibler les actions de réduction des risques. En 2018, le Gouvernement français décide un « plan d’action sur les produits phytopharmaceutiques et une agriculture moins dépendante aux pesticides », comportant notamment des mesures supplémentaires d’accompagnement des agriculteurs, ainsi que l’objectif d'abandonner l’usage du glyphosate d’ici 2022. Sous le nom d'Ecophyto II+, ce plan est publié en 2019. Le relais est pris en 2024 par la stratégie Ecophyto 2030. Elle confirme l’objectif de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires de 50% (d’ici à 2030), tout en se plaçant dans le respect du principe « Pas d’interdiction sans solution ».

2Ainsi, en conformité avec la Directive européenne 2009/128/CE, depuis 2009, tous les professionnels français exerçant une activité en lien avec les pesticides, quel que soit leur statut ou leur secteur d’activité, ont l’obligation de détenir le « Certificat individuel de produits phytopharmaceutiques » (ou Certiphyto). Ce certificat initial (appelé « Primo-formation ») atteste de connaissances suffisantes pour vendre, conseiller ou utiliser les pesticides en sécurité et réduire leur usage. Il devait être renouvelé au bout de dix ans pour les agriculteurs (puis il sera exigé au bout de cinq ans à compter de 2016), pour tenir compte des évolutions réglementaires, techniques et scientifiques (certificat appelé « Renouvellement »). En s'appuyant sur les thèmes de formation imposés par la Directive européenne 2009/128/CE dans son Annexe 1, la Direction générale de l’enseignement et de la recherche (DGER) du Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire (MASA) a émis des recommandations concernant les principales aptitudes et connaissances à acquérir dans le cadre du Certiphyto (DGER, 2013). En 2024, cette même Direction a demandé une attention particulière « aux organismes de formation quant aux contenus de formation à élaborer et à dispenser », appelant au respect du programme fixé par arrêtés, « tout en veillant à souligner l’enjeu de la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques » (DGER, 2024). Globalement, les aptitudes et connaissances à acquérir s'articulent autour de trois volets : « Réglementation et sécurité environnementale », « Santé sécurité applicateur et espace ouvert au public » (appelé « Santé Sécurité » ci-après), « Réduction de l'usage, méthodes alternatives ». Les contenus pédagogiques diffèrent partiellement en fonction des publics-cible, à savoir les « opérateurs », les « décideurs » (exploitants), les « décideurs » (prestataires de services), les « conseillers » (à l'utilisation des pesticides) ou les « vendeurs » (de pesticides). L'organisation des sessions par les organismes de formation est également précisée, en particulier les volumes horaires selon les trois volets et les cinq publics-cible (DGER, 2022).

3Après la mise en place du programme de formation Certiphyto (entre autres mesures), on pouvait espérer des pratiques phytosanitaires plus adaptées. Or, malgré des moyens engagés importants, les résultats se sont révélés pour le moins décevants. Dans leur rapport à l'Assemblée nationale, Descrozaille et Potier (2023) dressent l'état des lieux de l'usage et de l'impact des produits phytosanitaires en France, comparent les différents indicateurs, analysent les échecs et (rares) succès des plans Ecophyto successifs pour conclure à « une décennie (presque) perdue ». Sur la période 2009-2013, l’indicateur retenu pour le suivi du plan a enregistré non pas une diminution mais une augmentation de la consommation nationale de pesticides de 5 % (Guichard et al., 2017). Les quantités de substances actives vendues ont continué de croitre jusqu'en 2018, pour subir une forte baisse en 2019 (en raison d’achats anticipés fin 2018 dans la perspective de l’augmentation du taux de redevance pollutions diffuses) et de nouveau augmenter en 2020 et 2021. Selon Guichard et al. (2017), l'échec du plan Ecophyto 2018 renvoie à une situation de « verrouillage sociotechnique » autour des systèmes de production spécialisés et intensifs en intrants chimiques, qui freine le développement des alternatives aux pesticides. Tous les acteurs ont adapté leur stratégie à l’existence de la solution « pesticides », et la stratégie de chacun renforce celle des autres. Ainsi, personne n’a vraiment intérêt à remettre en cause les tendances de fond auxquelles il s’est adapté.

4Pour autant, Descrozaille et Potier (2023) reconnaissent deux avancées dans les pratiques phytosanitaires : le réseau des fermes DEPHY (pour « Démonstration Expérimentation Production de références sur les systèmes économes en pHYtosanitaires »), et le retrait des molécules les plus dangereuses (cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques – CMR). Le dispositif DEPHY rassemble des exploitations agricoles engagées dans une démarche volontaire de réduction de l'usage de pesticides en développant des techniques innovantes. Couvrant l’ensemble des grandes filières de production françaises, il comptait en 2015 près de 190 groupes d’une dizaine d’exploitations agricoles, animés chacun par un ingénieur réseau à mi-temps. Le soutien à cette action pour les réalisations 2009–2014 en a fait l’un des postes les plus consommateurs des financements Ecophyto. Les moyens humains mobilisés représentaient environ 120 équivalents temps plein. Une évaluation des fermes DEPHY 10 ans après le lancement du réseau a montré une réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques à hauteur de 26%, sans incidence significative sur le rendement et sur le revenu agricole (Cellule d’Animation Nationale DEPHY Ecophyto 2023). Mais Descrozaille et Potier (2023) considèrent comme une « déception de taille » le fait que le réseau DEPHY n'ait pas constitué le point de départ d’une dynamique nationale de changements des pratiques. Durant la même période (2009-2021), la part des quantités de substances actives vendues classées CMR a diminué de moitié, passant de 29,2 % à 11,3 %. Il faut souligner que cette réduction n'est pas due à la dynamique Écophyto mais au cadre réglementaire des autorisations de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, dans le cadre de la mission dévolue à l’ANSES. C'est pourquoi, selon Descrozaille et Potier (2023), la réduction des CMR ne peut être considérée stricto sensu comme un indicateur du plan Ecophyto.

5En tant qu'action du plan, on peut donc s'interroger sur l'adaptation et l’efficacité de la formation Certiphyto. Ansaloni (2017) a restitué la genèse des réglementations qui ont donné naissance aux formations Certiphyto, puis la façon dont elles ont été mises en œuvre (Ansaloni, 2017). Selon lui, « pour les agents de l’administration agricole, l’ouverture à la concurrence n’était pas un choix, mais une nécessité. Poursuivant un objectif particulièrement ambitieux mais dépourvus de ressources, ils n’avaient d’alternatives que d’externaliser la gestion de l’action publique (précisément les formations préparant à l’obtention du certificat d’usage des pesticides) en mettant en concurrence leurs fournisseurs, profitant par là même de leurs ressources ». Au vu de l'absence de régulation étatique établie par Ansaloni (2017), nous avons donc évalué le dispositif Certiphyto au prisme de ses déterminants socio-politiques. Nous avons conduit le projet de recherche Vit’All (ou « Validation d'un score de climat de sécurité en agriculture par l'évaluation d'une action de formation »), dont un des objectifs était d'évaluer un score de climat de sécurité (Grimbuhler et al., 2024 ; Grimbuhler et Viel, 2019) auprès d'agriculteurs suivant une formation Certiphyto. Notre position d'observateurs dans ces formations a permis dans une approche socio-politique d'analyser le contenu et le déroulé du Certiphyto (et en particulier son volet « Santé Sécurité »), et d'émettre des recommandations pour une refonte partielle, afin d'encourager un meilleur usage des pesticides.

Matériel et méthodes

Formations Certiphyto : volet « Santé Sécurité »

Formation des formateurs

6En tête de réseau, l’Institut national de Médecine agricole (INMA, Tours, France) est chargé de la formation des formateurs Certiphyto pour le volet « Santé Sécurité », par convention signée avec la DGER. Cette convention porte sur des actions (formations de formateurs, journée d'actualisation des connaissance organisée tous les trois ans pour les formateurs) et des supports pédagogiques (uniquement un diaporama au début). Le volet « Santé Sécurité » du Certiphyto s’est considérablement enrichi au gré de l’évolution des connaissances et de la règlementation tels que le règlement « Classification, Étiquetage, Emballage » (ou CLP pour « Classification, labelling, packaging »), la règlementation « Cancérogène, Mutagène, Reprotoxique » (CMR), l’ajout ou la modification de tableaux de maladies professionnelles liées aux pesticides, les nouveaux résultats scientifiques. La durée initiale (7 heures) de cette formation de formateurs a ainsi été portée à 10 heures en 2020. Une « mallette pédagogique » actualisée (2 diaporamas audio, 11 films pédagogiques, 3 jeux interactifs et un « Mémo » - livret regroupant les différentes législations concernant le risque phytosanitaire) est remise aux futurs formateurs comme support pour leurs propres enseignements (INMA, 2024).

7Le déroulé préconisé par l'INMA pour une Primo-formation (annexe 1) s'appuie sur les recommandations pédagogiques du MASA (DGER, 2013). Après un rappel sur les objectifs et l'organisation du Certiphyto, la nature, l'identification et l'analyse du risque chimique en entreprise sont expliquées. Une partie médicale est consacrée aux différents modes d’intoxication possibles par les pesticides et les effets possibles sur la santé en exposition aigue et chronique, à court et à long terme. La conduite à tenir en cas d’intoxication accidentelle dans le cadre professionnel est donnée. Enfin, les maladies professionnelles et le Fonds d’Indemnisation des Victimes de Pesticides (FIVP), ainsi que les démarches administratives inhérentes, sont présentés. La dernière partie, la plus importante de la formation, est consacrée à la prévention du risque phytosanitaire dans l’entreprise en évoquant particulièrement la prévention primaire (suppression du risque ou réduction des expositions), secondaire (protection collective et base phytosanitaire) et en dernier lieu tertiaire (équipements de protection individuelle).

8Les ressources pédagogiques d'une formation Renouvellement sont identiques à celles de la Primo-formation (mais le diaporama est réduit de 143 à 65 diapositives) car le nombre d'items abordés est plus restreint (annexe 1). Il est demandé aux formateurs « de faire évoluer les contenus de la formation dispensée aux professionnels au regard des évolutions résultant d’une part des travaux de recherche dans les domaines notamment des innovations technologiques, de la santé, de la sécurité et d’autre part de la réglementation » depuis leur dernière formation (DGER, 2015). Ces nouveautés scientifiques, techniques et réglementaires peuvent être nombreuses, car la Primo-formation de certains apprenants remonte à une dizaine d'années. Les échanges avec les participants sont encouragés pour qu'ils fassent part de leur expérience, et des difficultés qu'ils rencontrent depuis leur formation initiale.

Formations Certiphyto

9Les sessions de formation Certiphyto sont organisées sur le territoire national par des organismes de formation publics ou privés (chambres d'agriculture, maisons familiales et rurales, organismes de formation professionnelle, coopératives agricoles, et cetera) après habilitation par la Direction régionale de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Forêt (DRAAF) du siège social de l'organisme (DGER, 2022). La participation d’au moins un formateur aux actions de formation de l'INMA est obligatoire pour le maintien de l’habilitation de son organisme de formation. Sur le terrain, le formateur est le concepteur du déroulé pédagogique de sa formation, et il peut compléter le diaporama par des films et des jeux interactifs, sous réserve de respecter le cadre horaire et le contenu pédagogique imposés (DGER, 2022 ; DGER, 2013). Ainsi, pour le volet « Santé Sécurité » d'une Primo-formation, le formateur dispose de 4 heures pour une formation « décideurs » (exploitants - responsables de chantiers, chefs d’équipes ou de culture, et cetera) et de 7 heures pour une formation « opérateurs » (salariés) (tableau 1).

Tableau 1 : Thèmes et volumes horaires de la formation Certiphyto selon le statut des apprenants et le type de certificat

Durée des séquences	Décideur exploitant		Opérateur
Thèmes de formation	Primo formation	Renouvel-lement	Primo formation	Renouvel-lement
Réglementation et sécurité environnementale	4 heures	2 heures	3 heures	2 heures
Santé sécurité applicateur et espace ouvert au public	4 heures	2 heures	7 heures	3 heures
Réduction de l'usage, méthodes alternatives	5 heures	3 heures	3 heures	2 heures

DGER, 2022.

Recueil et analyse des données

10Entre 2022 et 2023, les formateurs de 125 sessions Certiphyto (« opérateurs » et « décideurs »), impliquant 1411 agriculteurs de la France entière, ont accepté de participer au projet de recherche Vit'All. Dans le cadre de la présente étude, un sous-ensemble de 40 formations « décideurs » exploitants (14 Primo-formations et 26 formations Renouvellement) ont fait l'objet d'un enregistrement après l'accord des formateurs et des 488 apprenants concernés. Les 40 enregistrements recueillis ont été retranscrits en autant de verbatims grâce au logiciel d'intelligence artificielle Whisper - Open AI (Radford et al., 2023).

11Deux médecins du travail ont analysé qualitativement le contenu de ces verbatims à l'aide d'une grille d'analyse abordant principalement le respect de la chronologie de la formation et les points essentiels concernant la santé et la prévention (annexe 2). La saturation des contenus a été atteinte au bout de huit verbatims Primo Accédant et huit verbatims Renouvellement. De son côté, un ergonome a mesuré la durée de chacun des trois volets du Certiphyto en écoutant les enregistrements et en s'appuyant sur les notes prises au cours des formations. À partir des verbatims, la présence de chacun des items « Santé Sécurité » du référentiel INMA (et non la pertinence de leur contenu) a été évaluée.

12Les recommandations en termes organisationnels et pédagogiques émises par la DGER (DGER, 2022 ; DGER, 2013), ainsi que l’analyse des messages délivrés et des supports de formation remis par l'INMA lors des 40 formations de formateurs, ont permis d’identifier le « prescrit » de l’utilisation de pesticides par les agriculteurs (Rabardel et al., 1998). En effet, la DGER (relayée par l’INMA) constitue en termes ergonomiques le « prescripteur », qui définit par avance les attentes transmises aux formateurs pour organiser, réaliser et régler la formation Certiphyto afin d’assurer le meilleur fonctionnement dans la présentation du volet « Santé Sécurité ». La formation Certiphyto « prescrite » a été comparée à la formation Certiphyto « réelle », telle qu'observée à travers les enregistrements et les verbatims, pour conduire à des recommandations tant sur la forme que sur le fond afin d'améliorer les formations auprès des agriculteurs.

Résultats

Déroulé des sessions Certiphyto, volet « Santé Sécurité »

13La formation Certiphyto, obligatoire pour pouvoir utiliser des pesticides, ne soulève pas un grand enthousiasme chez certains participants : « Et du fait que je passe par cette formation qui me sert à rien puisque je sais tout. Oui, mais il me faut le papier. Il me faut le papier pour pouvoir justifier mon aventure conventionnelle auprès de mon établissement […]. Ce sont des produits dangereux, pareil, je les connais tous ». (Vaucluse, novembre 2022)

14La durée moyenne d’une Primo-formation (pauses, repas et test final d'une heure inclus) est de 14 heures 54 minutes (minimum 11 heures 55 minutes, maximum 16 heures 40 minutes) (figure 1). Le temps moyen accordé aux trois volets est de 9 heures 39 minutes (Réglementation et sécurité environnementale : 4 heures 16 minutes ; Santé sécurité applicateur et espace ouvert au public : 3 heures 11 minutes ; Réduction de l’usage, méthodes alternatives : 2 heures 12 minutes), inférieur aux 13 heures préconisées (tableau 1).

15En ce qui concerne la formation Renouvellement, la durée moyenne (pauses et repas inclus), est de 7 heures 14 minutes (minimum 6 heures 20 minutes, maximum 8 heures 34 minutes) (Figure 2). En éliminant les pauses et les aspects administratifs, le temps moyen accordé aux trois volets est de 4 heures et 44 minutes (Réglementation et sécurité environnementale : 1 heure 58 minutes ; Santé sécurité applicateur et espace ouvert au public : 1 heure 30 minutes ; Réduction de l'usage, méthodes alternatives : 1 heure 16 minutes), inférieur aux 7 heures préconisées (tableau 1). Le volet « Réduction de l'usage », méthodes alternatives (en jaune sur la figure 2) est en moyenne plus court que les deux autres volets, car il n'a pas été abordé dans 5 de ces 26 formations.

16Dans les figures 3 et 4, la présentation effective au cours des formations des différents items figurant dans les diaporamas INMA Primo-formation et Renouvellement (annexe 1) est rapportée. Les items sont regroupés en quatre sections : « Approche générale du risque chimique » (couleur violette), « Identification du danger des produits phytosanitaires » (couleur jaune), « Effets des produits phytosanitaires sur la santé » (couleur bleue), et « Prévention du risque phytosanitaire » (couleur verte).

17Au cours des 14 Primo-formations enregistrées (figure 3), les deux items principalement abordés dans la section « Approche générale du risque chimique » sont constitués de la définition du risque et des obligations de l’employeur en matière de risques professionnels (12/14). Dans la section « Identification du danger des produits phytosanitaires », les pictogrammes, les mentions de dangers, les conseils de prudence, les produits CMR et la fiche de données de sécurité (FDS) figurent en bonne place (≥ 13/14). Les 4 items les plus abordés dans la section sur les « Effets des produits phytosanitaires sur la santé » sont le dispositif Phyt’attitude (réseau de toxicovigilance en agriculture piloté par la MSA depuis 1991) (14/14), puis les voies de contamination, les effets d’une contamination par les produits, et la cohorte AGRICAN sur les cancers en milieu professionnel agricole (12/14). Les maladies professionnelles et le FIVP représentent les parties les moins envisagées. Quand un tableau de maladie professionnelle est présenté, c’est le plus souvent celui de la maladie de Parkinson, rarement ceux des hémopathies malignes (tableau régime agricole 59 créé en juin 2015), ou de la prostate (tableau régime agricole 61 créé en décembre 2021). Dans la section « Prévention du risque phytosanitaire », sont principalement présentés le local de stockage des phytosanitaires (13/14), le tracteur et sa cabine de filtration (11/14), les délais de rentrée, et les équipements de protection individuelle (EPI) par le biais des filtres des masques respiratoires (11/14).

18Lors des 26 formations Renouvellement enregistrées (figure 4), la thématique « Approche générale du risque chimique » est à peine prise en compte puisque tous les items ont une fréquence < 10/26. Les points les plus expliqués aux apprenants dans la section « Identification du danger des produits phytosanitaires » concernent les pictogrammes (22/26) et les produits CMR (24/26). Les items de la section « Effets des produits phytosanitaires sur la santé » les mieux présentés n'atteignent qu'une fréquence de 16/26 pour la déclaration des intoxications par le dispositif Phyt’attitude, et de 15/26 pour les voies de contamination et la conduite à tenir en cas d’incident à la suite d’une exposition. Enfin, dans la section « Prévention du risque phytosanitaire », le choix de la protection en fonction du risque se détache nettement (19/26).

19L'analyse sémantique des verbatims montre que l'ordre du déroulé préconisé par l’INMA (annexe 1) est globalement respecté dans les Primo-formations, mais beaucoup moins dans les formations Renouvellement au cours desquelles on retrouve rarement un fil conducteur.

20En termes d'outils pédagogiques, les diaporamas de l'INMA constituent l'outil pivotal. Cependant, il s'agit très souvent de versions anciennes (avec éventuellement ajout ou modification de diapositives par les formateurs), alors que des enregistrements audio sont disponibles dans les versions plus récentes, dispensant le formateur (s'il le souhaite) du commentaire de la diapositive dont le contenu peut être complexe. L'utilisation des autres supports pédagogiques (films, jeux) était limitée, pour ne pas dire rare. Néanmoins, certains films (tel que « Fluorescéine AGRI_MSA Bretagne 2018 ») étaient présentés en formation Renouvellement, alors qu'ils ne figurent pas parmi les recommandations INMA. Enfin, certains films présentés provenaient d'une autre source que l'INMA (vidéos Arvalis, Syngenta, et cetera).

Contenu pédagogique des formations Certiphyto, volet « Santé Sécurité »

21Un premier constat concerne l'ajout fréquent d'aspects techniques et réglementaires, sortant du cadre « Santé Sécurité » car inscrits dans un autre volet du Certiphyto. En tête, les zones de non-traitement (ZNT) sont systématiquement abordées et longuement discutées : « Les zones non traitées, je vous ai dit ce matin, il y en a quatre. Quatre ZNT. Alors, la ZNT cours d'eau, c'est celle-là qui vous embête, on va dire, le plus. Avec la ZNT riverain » (Savoie, décembre 2022). Les circuits d’autorisation de mise sur le marché des produits reçoivent aussi à tort une attention particulière : « Aujourd'hui, ce que les firmes travaillent, c'est les produits de biocontrôle. Pourquoi ? Parce qu'homologuer un produit de biocontrôle, c'est beaucoup moins compliqué qu'homologuer un produit classique » (Savoie, décembre 2022). D'autres thématiques hors-champ, plus familières aux formateurs (souvent techniciens ou ingénieurs), sont aussi régulièrement abordées : matériel de transport et réglementation afférente, devenir des effluents, stades d’application des produits, prix des produits, résistances aux adventices (avec la polémique récurrente du glyphosate), fermes DEPHY (exploitations agricoles engagées dans une démarche volontaire de réduction des pesticides dans le cadre du plan Ecophyto) et cultures alternatives, contrôle des pulvérisateurs, distances de sécurité des riverains (DSR), et cetera.

22La section « Approche générale du risque chimique » apparaît comme le parent pauvre du volet « Santé Sécurité » dans son contenu pédagogique. Il y a souvent confusion entre danger (le potentiel à causer un dommage aux personnes) et le risque (la probabilité d’être exposé(e) au danger, ou le croisement entre danger et exposition) : « Le risque, ça peut arriver, tandis qu'un danger, c'est imminent […]. Le danger, il est là » (Vaucluse, novembre 2022).

23L'évaluation du risque chimique (obligatoire pour tout exploitant ayant au moins un salarié ou un apprenti) est largement sous-représentée alors qu'elle est placée au sommet des obligations de l'employeur dans le diaporama de l'INMA, afin d'éviter à l'opérateur « la gestion de sa propre prévention ». Ce n'est pas faute de moyen d'évaluation facilement accessible aux agriculteurs, tel que le logiciel SEIRICH présenté en formation INMA, outil simple et gratuit remplissant parfaitement cette fonction.

24La section « Identification du danger des produits phytosanitaires » possède elle aussi ses approximations et oublis. Les « phrases de risque » (anciennes annotations composées de la lettre R suivie de deux chiffres, ayant figuré sur les étiquettes des produits jusqu’en 2010 pour les substances chimiques et 2015 pour les mélanges) sont souvent encore utilisées en lieu et place des « mentions de danger » réglementaires (avec un code débutant par H pour « hazard » puis 2 pour les dangers humains) : « Ceux qui sont classés R36, R41, ceux qui ont des risques, à long terme sur l'utilisateur, c'est pas de 4 heures de rentrée et ça va jusqu'à 48 heures pour les CMR » (Hérault, novembre 2022). La présentation et l’utilisation de l’étiquette et des FDS de produits sont rapidement évoquées, alors que leur analyse permettrait aux agriculteurs de devenir acteurs de leur prévention, notamment dans le choix des produits en fonction de leur dangerosité. Les messages spécifiques qui devraient être délivrés dans la formation Décideurs - exploitants, tels que l’évaluation du risque, l’identification et la substitution des CMR, le choix du produit, et l’organisation du chantier, restent noyés dans la masse d'informations et sont insuffisamment mis en exergue.

25La section « Effets des produits phytosanitaires sur la santé » révèle un déséquilibre entre toxicité aigüe et toxicité chronique. La toxicité aigüe des produits, les voies de contamination, la distribution des toxiques dans l’organisme, la conduite à tenir en cas de projection ou d'accident ne sont que très peu voire pas du tout évoqués. Les échanges sont rares en ce domaine :

« Vous avez eu de la chance. Moi j'ai été deux fois contaminé, peut-être une troisième fois, mais bon. Je ne sais pas si j'ai fait une bêtise, mais je n'ai pas été malade. Première fois, contamination liée à une calibration de pulvé [pulvérisateur], donc une pulvé qui était propre, qui était rincée […]. Et ce qui s'est passé, c'est que moi j'avais l'habitude de porter des gants, vous savez les gants en vinyle, les petits gants de chirurgien, qui sont des gants assez pratiques […]. Après avoir recalibré, au lieu de me laver les mains comme j'aurais dû faire, j'ai enlevé mes gants et j'ai fumé une cigarette […]. Gros maux de tête et fatigue chronique pendant 24 heures, comme si j'avais attrapé le Covid. Au bout de 24 heures, ça revient, pas de souci » (Lot-et-Garonne, novembre 2022)

26En revanche, la toxicité à long terme est plus longuement abordée, mais souvent sous le prisme d'histoires ou de vécus, voire d'avis personnels (alors que des données consolidées existent) :

« Il y en a qui sont morts. Ou qui sont malades. Et on a tous autour de nous, je pense qu'on a tous autour de nous, quelqu'un qui... Et c'est pas parce qu'il a trop pris le soleil uniquement. C'est pas parce qu'il a forcé sur la bibine uniquement. Non, non. Les produits phytos, c'est clair que ce sont des produits qui sont dangereux" […]. Vous avez aussi les effets à long terme, dans un délai de quelques semaines à 40 ans, ce qu'on appelle les toxicités chroniques […]. Là c'est pareil, on est en plein dedans, attention, maladie de Charcot, soi-disant maladie orpheline, moi dans un périmètre de 5 km autour de chez moi, j'en connais 1, 2, 3, 4, 5, 6 » (Gers, avril 2023)

27Parmi les données consolidées, figure la cohorte AGRICAN qui constitue d'ailleurs un des items du prescrit INMA. Mais elle est souvent présentée sans l’interprétation correcte (et complexe) des indicateurs statistiques et sans le regard critique sur les avantages et les inconvénients de ce type d'enquête épidémiologique. Cela laisse libre cours à des interprétations erronées, écartant formateurs et agriculteurs du discours initial et réduisant ainsi la place donnée à la prévention. Parmi les autres sources d'information pertinente, le réseau de vigilance Phyt’attitude et le dispositif des maladies professionnelles (à part dans certains cas la maladie de Parkinson) sont peu, ou pas abordées du tout :

« La seule maladie professionnelle des agriculteurs, c'est la maladie de Parkinson. - C'est reconnu ? - Reconnue maladie professionnelle. C'est la seule. Pour l'instant. Il y a deux dossiers qui sont en attente. - Il n'y a pas... Alzheimer ? - Alors Alzheimer est en attente, mais il y en a un qui a dépassé Alzheimer, c'est le cancer de la vessie. La prostate. Alzheimer, c'est aussi publié pas mal aux agriculteurs » (Vaucluse, novembre 2022)

28Pourtant, dans le régime agricole, il existe 16 tableaux de maladies professionnelles liées au risque pesticides et en particulier : les tableaux n°58 (maladie de Parkinson) depuis 2018, n°59 (hémopathies malignes) depuis 2019, et n°61 (cancer de la prostate) depuis 2021. Profiter de la formation pour expliquer clairement le mécanisme d’une reconnaissance en maladie professionnelle et de la déclaration au FIVP constituerait une réelle plus-value pour l'agriculteur.

29Dans la section « Prévention du risque phytosanitaire », les neuf principes généraux de prévention (Tableau 2) sont peu abordés dans leur ensemble (surtout dans le Certiphyto Renouvellement), et pas dans le bon ordre. Le focus porte sur l'aval (et non sur l'amont, avec une prévention primaire jamais définie, ni même évoquée) : « Quand j'étais jeune en BTS, mes profs m'expliquaient comment il fallait faire pour préparer un traitement mais ils m'expliquaient pas comment il fallait se protéger ils étaient comme moi plus réactifs, ils le faisaient pas » (Gers, avril 2023). Ainsi, les EPI constituent souvent et indument le premier message de prévention bien avant le choix du produit, l’organisation du travail et la protection collective. Pire, des EPI (tablier, gants, masque) sont parfois remis en cadeaux aux participants, brouillant considérablement le message. Les risques liés à l’habillage et au déshabillage ne sont pas assez présentés, pas plus que la notion de zones contaminées ou contaminantes, malgré la disponibilité de deux films et d'un jeu, dédiés à la procédure d’habillage, d’entretien des EPI et de la cabine de tracteur.

Tableau 2. Neuf principes généraux de prévention (art. L. 4121-2 du Code du travail français)

Éviter les risques : supprimer le danger ou l'exposition au danger

Évaluer les risques : apprécier l’exposition au danger et l’importance du risque afin de prioriser les actions de prévention à mener

Combattre les risques à la source : intégrer la prévention le plus en amont possible, notamment dès la conception des lieux de travail, des équipements ou des modes opératoires

Adapter le travail à l'homme : tenir compte des différences interindividuelles, dans le but de réduire les effets du travail sur la santé

Tenir compte de l'évolution de la technique : adapter la prévention aux évolutions techniques et organisationnelles

Remplacer ce qui est dangereux par ce qui l’est moins : éviter l’utilisation de procédés ou de produits dangereux lorsqu’un même résultat peut être obtenu avec une méthode présentant des dangers moindres

Planifier la prévention en intégrant technique, organisation et conditions de travail, relations sociales et environnement

Donner la priorité aux mesures de protection collective : n'utiliser les équipements de protection individuelle qu'en complément des protections collectives si elles se révèlent insuffisantes

Donner les instructions appropriées aux salariés : former et informer les salariés afin qu’ils connaissent les risques et les mesures de prévention

Discussion et recommandations

Discussion

30Les limites de la formation Certiphyto résultent d’un système de contraintes initié par l’autorité politique : contrainte pour le système de formation agricole (au sens large) devant former un grand nombre de professionnels sans en posséder nécessairement les moyens ; contrainte pour les formateurs dont on espère que l’omniscience et l’adaptabilité permettent de transmettre un corpus de connaissances spécialisées et évolutives; enfin, contrainte pour les agriculteurs qui doivent suivre un programme de formation qu’ils n’ont pas choisi pour obtenir le « papier » Certiphyto. C’est donc sous l’angle politique, organisationnel et technique que nous avons abordé le dispositif Certiphyto. L'approche scientifique retenue a permis de vérifier l’adéquation entre la mise en œuvre et les objectifs déclarés du dispositif, en analysant ses contraintes et ses effets réels. Elle a conduit à la production d'une connaissance évaluative orientée vers la prise de décision à partir du recueil de perceptions des acteurs en formation (Wentzel et Pasche Gossin, 2020). La dimension évaluative ne concernait pas une éventuelle posture évaluative des chercheurs mais procédait d’une volonté de recueillir et d'analyser des jugements de valeur portés par les apprenants interrogés. Penser l'élaboration curriculaire de la formation Certiphyto aurait nécessité une approche plurididactique (Prévost et al., 2018), associant la didactique professionnelle et la didactique des Questions socialement vives (Simonneaux, 2008), à la didactique disciplinaire. Aborder les registres socio-épistémologiques (choix des références) et didactique et pédagogique (choix des contenus et des processus d'enseignement) aurait requis l'observation et/ou l'entretien avec des acteurs nationaux et européens, bien au-delà du cercle des formations Certiphyto.

31Les très nombreuses heures d'enregistrement (40 formations de 1 ou 2 jours) retranscrites en verbatims ont permis de dépasser la singularité de chaque formation et d'identifier un écart important entre « prescrit » et « réel » dans les formations Certiphyto à destination des agriculteurs.

32Sur le plan quantitatif, la durée moyenne des sessions est inférieure aux référentiels, ce qui est étonnant car l'ampleur du programme pédagogique nécessite largement les quotas horaires alloués. Une analyse plus fine par volets du Certiphyto montre que ces déficits sont surtout observés pour le volet « Réduction de l’usage, méthodes alternatives », et dans une moindre mesure pour le volet « Santé sécurité applicateur et espace ouvert au public » (les volumes horaires du volet « Réglementation et sécurité environnementale » étant globalement respectés). Cette hétérogénéité observée objective un constat fait par Ansaloni en 2017, après 23 entretiens semi-directifs menés auprès de responsables de la filière agricole : « Certains prestataires ont largement escamoté le programme défini par la réglementation, privilégiant les thèmes avec lesquels ils étaient familiers ("réglementation", "prévention des risques pour l’environnement" notamment). D’autres, plus innovants, ont été négligés – notamment le thème "prévention des risques pour la santé" » (Ansaloni, 2017).

33Sur le plan qualitatif (pour le seul volet « Santé Sécurité » analysé), l'écart au prescrit est quasi la règle. Des items sont abordés alors qu'ils ne le devraient pas et inversement des items prescrits sont passés à la trappe. L'analyse sémantique des verbatims montre des déroulés pédagogiques variables, une section « Approche générale du risque chimique » particulièrement sous-développée, des principes généraux de prévention ne recevant pas l'attention qu'ils méritent, des préoccupations techniques et réglementaires envahissantes, et cetera.

34Au vu de cet échantillon de 40 formations Certiphyto, le respect des prescriptions pédagogiques ministérielles et l'unicité du contenu de formation sur le plan national sont loin d'être garantis. Plusieurs explications (techniques, pédagogiques et politiques) à ces hétérogénéités peuvent être mises en avant. Tout d'abord, il est indéniable que l'accumulation des connaissances et des réglementations depuis la mise en place du Certiphyto a conduit à des référentiels INMA (diaporamas) logiquement plus complets, sans que les durées d'enseignement n’augmentent. Les formateurs subissent cette contrainte majeure, et il leur est très difficile de dégager des messages simples de prévention de la masse d'informations et de dégager un temps suffisant pour les échanges. Ajoutons l'hétérogénéité des exploitants (en termes d’activités, pratiques et expériences agricoles) participant à une même session, qui complique grandement la tâche des formateurs, et oriente parfois ces derniers vers des sujets techniques qu'ils maitrisent mieux ou des exemples issus de leur propre vécu. La refonte pédagogique du Certiphyto apparaît donc comme une absolue nécessité (et fait l'objet de recommandations ci-dessous).

35La grande disparité des formations Certiphyto pose également la question de l'organisation des formations au sein des organismes. Par exemple, les formateurs ne sont pas tous obligés de suivre la formation INMA car la réglementation n'impose qu'un seul formateur par organisme (DGER, 2022). La transmission horizontale entre formateurs s'exerce alors comme substitut d'une formation à l'INMA. Cela peut conduire à une perte de contenu pédagogique, à l'utilisation de diaporamas INMA non actualisés et à un faible recours aux autres supports pédagogiques. Par ailleurs, la meilleure volonté des formateurs ne peut pas faire face à la complexité croissante du bon usage des pesticides et de son enseignement. L'intervention de formateurs d'horizons divers au cours d'une même formation paraît inéluctable pour garantir la délivrance de messages pertinents et persuasifs.

36Enfin, le contexte politique de la mise en place du Certiphyto exerce toujours son influence. Le désengagement de l'administration agricole tant dans la définition, que l’habilitation et le contrôle du Certiphyto a laissé le champ libre aux organismes parapublics et privés. En l’absence de régulation étatique, « chacun a élaboré sa formation non pas tant en fonction des dispositions réglementaires, pourtant précises […], mais en fonction de ses référents techniques et de ses pratiques pédagogiques (quand elles existaient) » (Ansaloni, 2017). Nos observations sur 40 formations abondent dans le sens de cette hétéronomisation de l’action étatique.

37À notre connaissance, le dispositif Certiphyto n'a fait l'objet d'aucune évaluation scientifique. Pourtant dès 2014, la mission interministérielle d’expertise sur « l'évaluation du dispositif de délivrance du certificat individuel phytopharmaceutique [Certiphyto] » faisait le constat de « la complexité du dispositif » et « d’une gouvernance complexe faisant intervenir différentes institutions dont le rôle mérite d’être clarifié » (Andral et al., 2015). Elle soulignait « l'hétérogénéité, non seulement de la qualité des organismes de formation, mais aussi du niveau des formateurs ». Elle appelait « à améliorer le dispositif de formation (qui lui parait devoir être plus axée sur la pratique et sur l'échange d'expérience), ainsi que le contrôle et l'habilitation des organismes de formation, pour faire du Certiphyto un certificat de qualification professionnelle ». En 2016, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) dans son autosaisine sur les « Expositions professionnelles aux pesticides en agriculture » formulait des recommandations allant dans le même sens : « Renforcer, étendre, et évaluer de façon systématique l’efficacité des formations financées par les fonds publics, incluant la formation Certiphyto et la formation Certibiocide » et « Prendre en compte toute la variété des déterminants de l’exposition dans les dispositifs de formation existants (y compris Certiphyto) et donc inclure de façon systématique dans la formation sur les expositions des personnes la notion prioritaire de réduction d’usage avant le port des EPI » (Laurent et al., 2016).

Recommandations

38À l'évidence, les pistes d'amélioration du Certiphyto ne manquent pas et peuvent être déclinées à plusieurs niveaux. L'analyse des verbatims recueillis dans cette enquête scientifique permet de proposer des recommandations tant sur l'organisation que le contenu pédagogique des formations Certiphyto, mais exclut de fait toute proposition sur la gestion de l'action publique (hors de portée de ce type d'enquête). Ces recommandations devront bien sûr être discutées par les parties prenantes, déclinées en objectifs opérationnels et éventuellement appliquées et validées selon les agendas propres à chaque organisation (DGER, INMA, organismes de formation).

39Les recommandations que nous formulons sur l'organisation des formations Certiphyto sont les suivantes :

• Exiger des organismes de formation Certiphyto qu'ils assurent la formation continue de leurs agents, pour acquérir ou maintenir des compétences pédagogiques et techniques (obligation de suivre la formation INMA pour chacun d'entre eux).

• Encourager l'intervention de professionnels des différents domaines concernés (infirmier(e)s ou médecins MSA, agriculteurs, et cetera.). Cette recommandation figurait déjà dans le rapport de la mission interministérielle d’expertise (Andral et al., 2015).

• Diffuser plus largement les outils pédagogiques de l'INMA et en parallèle imposer l'utilisation de leurs dernières versions en formation Certiphyto.

• Diversifier les supports et méthodes pédagogiques afin que la formation Certiphyto soit plus axée sur la pratique et l'échange d'expérience.

40En ce qui concerne le contenu des formations Certiphyto nous portons les recommandations suivantes :

• Insister sur le respect global des volumes horaires, du déroulé et du contenu pédagogiques, tels que prescrits par la DGER et l'INMA.

• Définir un programme socle simplifié sur les principaux items de la formation « Santé Sécurité », en se recentrant sur des messages concrets et applicables dans la vie quotidienne des agriculteurs pour travailler en sécurité.

• Utiliser les volumes horaires dégagés pour passer d'une transmission verticale à une transmission horizontale, basée sur les études de cas, les ateliers pratiques et les échanges entre participants.

• Mettre l'accent sur les neuf principes généraux de prévention en privilégiant la prévention primaire, l'organisation du travail et l'évaluation du risque (ce décentrage par rapport aux EPI et la notion prioritaire de réduction d'usage figuraient déjà dans l'avis ANSES (Laurent et al., 2016)).

• Recentrer les effets sanitaires sur la toxicité aigüe des produits phytosanitaires et les gestes d’urgence en cas de contamination ou d’intoxication (plutôt que sur les études épidémiologiques à long terme).

• Mieux expliquer les procédures de reconnaissance (maladies professionnelles indemnisables en lien avec l’utilisation des pesticides) et de déclaration (FIVP, Phyt’attitude).

Conclusion

41L'évolution des connaissances et des pratiques, ainsi que les enjeux sanitaires, sociétaux et environnementaux imposent une refonte des formations Certiphyto pour contribuer à la réduction attendue de l'usage et du risque des pesticides en France. Toutefois, la complexité du dispositif, l'implication d'acteurs multiples, et les résistances au changement constituent autant d'obstacles qui nécessiteront la participation de tous, et en premier lieu des agriculteurs. Au-delà d'une formation mieux adaptée à leurs besoins, gage de pratiques plus adaptées, d'autres retombées positives sont envisageables. Au niveau des territoires et à court terme, les caisses de la MSA pourraient tisser un lien étroit avec les organismes de formation à l'occasion d'une formation Certiphyto réactualisée et recentrée, permettant de construire des actions de prévention ciblées et conjointes auprès des agriculteurs. À moyen terme, les recommandations pourraient conduire à une meilleure reconnaissance des maladies professionnelles indemnisables en lien avec l’utilisation des pesticides, et à une meilleure connaissance des circonstances d’exposition ou d’intoxication aux produits phytosanitaires. A long terme, une meilleure formation Certiphyto ne peut qu'encourager des attitudes, comportements et pratiques plus vertueuses en matière de sécurité et de santé au travail, avec des bénéfices individuels pour les agriculteurs et collectifs pour la MSA.

ANNEXE 1. Référentiel Certiphyto INMA (déduit des recommandations pédagogiques de la DGER) pour les Primo-formations et les Renouvellements.

Présentation du service SST de la MSA
Primo-formation	Renouvellement
Approche générale du risque chimique
Six idées reçues Qu'est-ce qu'un risque ? Qu'est-ce qu'un agent chimique ? Différentes sources d'exposition en agriculture Les obligations de l'employeur en matière de risques professionnels Les 9 principes généraux de prévention L'approche spécifique de prévention du risque chimique Un outil d'évaluation du risque chimique	Six idées reçues Qu'est-ce qu'un risque ? Différentes sources d'exposition en agriculture Les obligations de l'employeur en matière de risques professionnels
Identification du danger des produits phytopharmaceutiques
Que contient un produit phytosanitaire ? Deux sources principales d'information L'étiquette du produit : des éléments d'information Les pictogrammes de danger La mention d'avertissement Les mentions de danger H (Hazard Statement) Les phrases additionnelles Les conseils de Prudence (Precautionary Statement) Film - L'étiquetage Les produits CMR Identifier les produits CMR à partir de l'étiquette Que faire si un produit CMR est identifié ? La Fiche de Données de Sécurité ou FDS Sources d'informations	Que contient un produit phytosanitaire ? L'étiquette du produit : des éléments d'information Pictogrammes, mentions et phrases Film - L'étiquetage Les produits CMR Identifier les produits CMR à partir de l'étiquette Sources d'information
Effets des produits phytopharmaceutiques sur la santé
La contamination par les produits Les effets d'une contamination par les produits Conduite à tenir en cas d'accident aigu : Projection Ingestion Les effets à long terme supposés des pesticides sur la santé Etude AGRICAN Résultats expertise collective INSERM 2021 Des restrictions à l'exposition aux produits phytopharmaceutiques Déclaration des intoxications Les maladies professionnelles «composants» le risque chimique Les tableaux de maladies professionnelles TRA58 - Maladie de Parkinson TRA59 - Hémopathies malignes TRA61 - Cancer de la prostate La procédure de reconnaissance en agriculture : qui fait quoi ? Le fonds d'indemnisation des victimes de pesticides Quelques exemples de retombées concrètes	La contamination par les produits Les effets d'une contamination par les produits : l'intoxication Conduite à tenir en cas d'accident aigu Projection Ingestion Les effets à long terme supposés des pesticides sur la santé Etude AGRICAN Résultats expertise collective INSERM 2021 Des restrictions à l'exposition aux produits phytopharmaceutiques Quelles démarches ? Question : L'utilisation des produits phytosanitaire peut-elle impacter ma santé ? Maladies professionnelles et indemnisation
Prévention du risque phytosanitaire
Limiter le danger, les questions à se poser lors du choix du produit Film - Identifier et analyser les situations exposantes L'exposition aux produits phytopharmaceutiques L'exposition directe aux produits phytopharmaceutiques L'exposition indirecte aux produits phytopharmaceutiques L'intoxication peut être indirecte Réduire les expositions Aménager la base phytosanitaire Le local vestiaire Quelques exemples de vestiaires : • Le local de stockage des produits phytopharmaceutiques • Quelques exemples de stockage des produits phytopharmaceutiques • Le classement des produits phytopharmaceutiques Aire de préparation de la bouillie Quelques exemples d'aires de préparation de la bouillie Quelques exemples d'aires de préparation mobiles L'aire de remplissage et de lavage du pulvérisateur Quelques exemples d'aires de remplissage et de lavage du pulvérisateur Pour un aménagement réussi Choisir le matériel, l'entretenir et le préparer Film - Le pulvérisateur et ses équipements Le pulvérisateur et ses équipements Le pulvérisateur "portatif" Le matériel d'incorporation Le matériel de nettoyage Film - Le tracteur et sa cabine de filtration Préparer le chantier de traitement : les questions à se poser Film - Organiser le chantier de traitement Film - EPI "Les gestes pro" La protection individuelle se raisonne Film - A chaque situation sa protection EPI «phyto»... quelques nouveautés La protection du corps Les tenues de protection de la norme phytosanitaire Les types de protection de la norme chimique L'entretien des tenues de protection réutilisables La protection des mains Les niveaux de protection de la norme phytosanitaire La protection respiratoire Les différents types de filtres Les filtres anti-gaz Pourquoi choisir un filtre A2P3 ? Quand changer un filtre ? La protection des yeux La protection des pieds Protocole d'évaluation pour la rentrée La collecte d'EPI usagés Les obligations de l'employeur vis-à-vis des EPI Les réflexes d'hygiène Film - Les EPI, pour quoi faire ?	Limiter le danger, les questions à se poser lors du choix du produit Réduire les expositions Exposition aux produits phytopharmaceutiques Exposition directe aux produits phytopharmaceutiques Exposition indirecte aux produits phytopharmaceutiques Exposition aux poussières de semences traitées Le matériel d'incorporation Côté réglementation Film - Le tracteur et sa cabine de filtration Préparer le chantier de traitement : les questions à se poser Film - Organiser le chantier de traitement Film - EPI "Les gestes pro" Film - A chaque situation sa protection EPI "phyto"... quelques nouveautés Choisir sa protection en fonction du risque Question : Comment les EPI sont-ils renouvelés ? L'entretien des EPI et tenues réutilisables L'entretien des cartouches de filtration Les réflexes d'hygiène Film - Les EPI, pour quoi faire ?
Conclusion
Les étapes du traitement phytosanitaire Leviers d'action Dix messages clés

ANNEXE 2. Grille de lecture pour l'analyse des verbatims.

Quelle est la chronologie des différents points abordés lors du Certiphyto – identification des pages ? La réglementation générale et sécurité environnementale ; La prévention des risques pour la santé; La réduction des usages et méthodes alternatives.

Quelle est la chronologie des différents points abordés lors du Certiphyto plus spécifique sur le volet santé au travail ? Identifier la chronologie des éléments présentés. Identifier les items abordés Est-ce la même hiérarchisation que celle proposée par l’INMA ? Identifier les pages pour chaque thème Identifier les items manquants Identifier les erreurs Prévention et Santé sur les différents items abordés lors de chaque Certiphyto

Estimez-vous que le formateur exprime un avis personnel ? Il ne faut pas que le formateur soit en connivence avec les agriculteurs. Donner un « avis » sur la posture du formateur

Les auteurs remercient les agriculteurs et les formateurs qui ont participé à cette recherche. Le projet Vit'All a été financé par la Caisse Centrale de MSA (France), dans le cadre de l'appel à projets de recherche 2020, et de son axe « Mesurer l’efficacité d’actions de prévention réalisées par la MSA ». Elisabeth Marcotullio a dirigé l’Institut National de Médecine agricole de 2014 à 2022. Les autres co-auteurs ne déclarent pas de lien d’intérêt.