Introduction

1Un peu partout en Afrique noire, la gouvernance de l’orpaillage artisanal se caractérise par des pratiques informelles (Konan, 2022 ; Choquet, 2018). L’importance que revêt ce secteur dans les économies locales et nationales des pays pauvres limite toute tentative tendant à l’endiguer (Medinilla et al., 2020). Bien qu’étant une activité encline à l’illégalité, l'exploitation minière artisanale ne se fait pas dans un espace vide de gouvernance (Sangaré et al., 2016). Sous cette perspective, les actions de jouissance et de partage des gains entre les acteurs locaux sont fondées sur les normes produites par eux-mêmes (Konan, 2022). En tout état de cause, la grande partie de l’orpaillage échappe au contrôle de la législation formelle, poussant les parties prenantes à définir des cadres de régulation adaptés à la réalité des communautés vivant autour des sites miniers (Arnaldi di Balme et Lanzano, 2013). Cette adaptation est aujourd’hui au cœur de la gouvernance de proximité (Gilly et al., 2004) qui, malheureusement, reste confrontée aux nombreux défis relatifs à sa contribution au développement local et à la protection des écosystèmes. Par ailleurs, le fait que l’orpaillage artisanal informel est principalement orienté vers la rentabilité à court terme de quelques individus rend cette activité dangereuse et précaire au détriment de la durabilité sociale et environnementale (Kyale et al., 2021 ; Sangaré et al., 2016). Cet état des choses n’épargne pas la gouvernance de l’orpaillage en République démocratique du Congo (RDC). Depuis la libéralisation de l’exploitation artisanale des mines en 1982 (Majambu et al., 2023 ; Kamundala, 2013 ; Tshimanga Mulangala et Tshibanza Monji, 1985), la RDC connait une effervescence du secteur minier dans la quasi-totalité des provinces regorgeant des minerais. Conscient des impacts potentiels de cette activité sur l’environnement, le gouvernement congolais a amorcé des réformes sur le cadre institutionnel et juridique afin de contrôler son exercice et de minimiser ses impacts négatifs sur l’environnement en général et les aires protégées en particulier (Mazalto, 2008).

2Toutefois, comme dans d’autres pays africains, les retombées de ces réformes suscitent encore des doutes, étant donné que les impacts environnementaux des opérations minières demeurent inquiétants (Tolla, 2014). En effet, point n’est besoin de rappeler que le sous-sol de la RDC regorge d’importantes réserves des minerais parmi lesquelles celles d’or (De Putter et Decrée, 2013 ; Weinberg et al., 2013). Ces réserves sont découvertes non seulement dans le domaine foncier privé de l’État, mais également dans les aires protégées faisant partie du domaine public. Ces dernières, malgré la soumission de leur gestion aux principes de domanialité, sont exposées à l’exploitation artisanale de ce métal précieux (Kyale et al., 2019 ). Au regard des enjeux environnementaux actuels, l’impact de l’orpaillage artisanal sur l’érosion de la biodiversité dans les aires protégées demeure prépondérant (Majambu et al., 2023 ; Semeki et al., 2016 ; Edwards et al., 2014 ; Tolla, 2014). Les parcs nationaux de Maiko, de Kahuzi-Biega et de Garamba, la réserve de faune à okapis ainsi que les domaines de chasse de Rubi-Télé et de Bili-Uéré, situés dans les provinces du Sud-Kivu, du Maniema, de l’Ituri, de la Tshopo, du Bas-Uélé et du Haut-Uélé sont des cas de figure très touchés par cette activité au nord-est de la RDC (Mugisa, 2018 ; Edwards, 2014). Cet état des choses rend la gouvernance de l’orpaillage artisanal très complexe au regard de la législation forestière et minière en vigueur proscrivant une telle activité dans les aires protégées. Pendant que les aires protégées dans certaines régions du monde offrent aux États des opportunités de partenariats pour le développement (Giraut et al., 2004), les menaces qui pèsent sur celles de la RDC demeurent croissantes (Kyale et al., 2019 ; Semeki et al., 2016).

3Le domaine de chasse de Bili-Uéré (DCBU) qui a intéressé cet article est une aire protégée créée par l’Arrêté n°23 du 14 février 1974. Cette création est intervenue dans un espace non seulement habité par les communautés, principalement zande, mais aussi ayant fait l’objet des activités agricoles et minières développées depuis l’époque coloniale (Lamarre, 2020). Comme dans la quasi-totalité des aires protégées en Afrique coloniale et postcoloniale (Leumako Nongni et Djawa, 2023), les consultations des communautés locales n’ont pas eu lieu au moment de la création de ce domaine. S’étendant dans les territoires d’Ango, de Bondo (Bas-Uélé) et de Dungu (Haut-Uélé), ce domaine regorge de réserves d’or découvertes depuis les années 1920 (Lavreau, 1979 ; Vaes, 1956). Faisant face à l’activisme des groupes armés étrangers (Tubiana, 2019) et à la crise socioéconomique à laquelle elle est confrontée, la population du Bas-Uélé s’est tournée vers l’exploitation minière, en dépit de l’existence du DCBU. Cette invasion du DCBU par les activités anthropiques s’inscrit dans les dynamiques de cristallisation des pratiques locales de survie dans les aires protégées du bassin du Congo et la convoitise par divers acteurs des ressources que ces dernières regorgent (Kyale et al., 2019 ; Wafo Tabopda, 2009 ; Sournia, 1990). Ces dynamiques sont une manifestation non seulement de la dépendance des communautés riveraines des aires protégées aux ressources naturelles, mais également de la pauvreté à laquelle ces dernières font face et sont facilitées par l’accès quasiment libre (Weber, 1995) à certaines zones de ces espaces protégés. Sous cette perspective, les politiques de gestion de ces espaces, faiblement accompagnées d’actions de développement local, suscitent la divergence d’intérêts entre ceux qui sont censés protéger la biodiversité et ceux qui en dépendent. Tel que l’a souligné Blache (2018), « entre le développement et la conservation des aires naturelles, se développent les jeux de pouvoir, les conflits d’usage et la marginalisation des acteurs ». L’échec des politiques de protection de l’environnement sous l’angle de développement alimente un sentiment d’antagonisme et d’injustice sociale (Cadoret, 2017 ; Boissière et Doumenge, 2008). Ces luttes de pouvoir et conflits d’usage trouvent également leurs racines dans le processus de création des aires protégées dans certaines régions du monde, marqué par l’expropriation des terres appartenant traditionnellement aux populations locales (Sepúlveda, 2012 ; Dahou et Wedoud, 2007 ; Mengue-Medou, 2002). Ce processus de création des aires protégées apparait comme une violation des droits humains par la limitation d’accès à ces espaces (Leumako Nongni et Djawa, 2023). En dépit de cette expropriation des terres au profit de la conservation, l’État éprouve d’énormes difficultés pour gérer les aires protégées en Afrique noire. Dans le contexte d’une ruralité dominante, la gouvernance des aires protégées dans cette région du monde reste marquée par une imbrication entre les différentes formes d’autorités et de sources de droit (Cazalet, 2007). Le déficit de participation des acteurs locaux et de coordination entre les services étatiques en charge des forêts et des mines réduit sensiblement les efforts de conservation de la biodiversité dans lesdites aires (Doumenge et al., 2001). Chacun de ces services étant régi par des textes légaux spécifiques, on assiste souvent, dans la gestion des aires protégées, à une superposition de régimes juridiques, occasionnant par ricochet, les conflits d’usage (Fernandez, 2009). Cet état des choses n’épargne pas la province du Bas-Uélé. En effet, jadis grainier agricole du pays (Omasombo et al., 2014), le Bas-Uélé est aujourd’hui, le parent pauvre des politiques publiques mises en œuvre par l’État congolais. Des régimes politiques qui se sont succédés et des guerres qui ont secoué la sous-région et la RDC depuis plus de deux décennies ont appauvri la masse rurale du Bas-Uélé. Les entreprises agricoles qui ont existé dans le passé ont fermé leurs portes faute d’investissements et de routes carrossables (Omasombo et al., 2014). Recourir à l’orpaillage entretient l’espoir pour un lendemain meilleur (Tshibanza, 1986). L’orpaillage est perçu comme une activité, si ce n’est la seule, capable de faire face à une telle conjoncture socioéconomique (Konan, 2022). Ainsi, peut-on souligner que l’économie de la province et de la périphérie du DCBU est basée essentiellement sur les mines d’or. Par ailleurs, l’impression qui se dégage de l’effervescence de l’orpaillage dans ce domaine est que les services de l’État se montrent incapables d’y imposer l’application de la règlementation forestière et minière, étant eux-mêmes impliqués dans la mobilisation des recettes issues de cette exploitation. Plus de soixante-dix sites miniers d’exploitation artisanale sont implantés dans le DCBU avec des autorisations accordées par les services de l’État et les propriétaires terriens. Cette complexité des pratiques informelles voire illégales, couvertes par les services étatiques, nécessite d’approfondir des réflexions sur la gouvernance de l’orpaillage au Bas-Uélé. Cette dernière est marquée par des rapports de pouvoir entre les parties prenantes sur les ressources naturelles en général et l’orpaillage en particulier (Roussopoulos, 2017; Paulson et al., 2003). Par ailleurs, les analyses mettant en évidence les rapports de pouvoir, les intérêts formels et informels des acteurs ainsi que les différentes coalitions ponctuelles des acteurs font défaut dans la région en étude.

4Deux aspects de lutte pour la maîtrise de l’orpaillage méritent d’être analysés en vue d’éclairer la lanterne des acteurs préoccupés par les défis liés à la gestion des aires protégées dans le bassin du Congo. Le premier aspect concerne l’analyse des paradoxes observés entre la règlementation provinciale (arrêtés provinciaux) et la règlementation nationale (codes forestier et minier ainsi que le règlement minier). Il est question d’appréhender la coexistence de ces deux règlementations dans une aire protégée bénéficiant des restrictions des activités non compatibles avec la conservation de la biodiversité. Le second aspect met l’accent sur les luttes menées entre les services de l’État et les acteurs impliqués dans l’orpaillage, notamment les exploitants, les creuseurs et les négociants (Benjaminsen et Svarstad, 2009). En outre, depuis sa création, le DCBU reste le parent pauvre des recherches scientifiques, en dépit de son immense étendue du territoire (60 000 km²), faisant de lui, la plus vaste aire protégée de la RDC (Lamarre, 2020). Des recherches axées sur le lien entre la gouvernance de l’orpaillage et les nécessités locales de survie dans cette zone demeurent déficitaires. Cet article explore ce domaine en émettant l’hypothèse selon laquelle la gouvernance de l’orpaillage met à rude épreuve la législation forestière et minière dans le domaine de chasse de Bili-Uéré à cause des nécessités locales de survie des populations riveraines et des services étatiques œuvrant dans la précarité socioéconomique depuis des décennies. En d’autres termes, le postulat est que tant que les besoins de survie des acteurs directs et indirects de l’orpaillage se posent avec acuité dans une zone soumise aux conditions socioéconomiques misérables, l’application de la législation forestière et minière nationale demeure déficitaire dans la gouvernance de l’orpaillage dans cette aire protégée. Sous cette perspective, cet article vise à déterminer comment les exigences locales de survie remettent en question la législation nationale dans la gouvernance de l’orpaillage dans le domaine de chasse de Bili-Uéré. L’atteinte de cet objectif peut permettre aux parties prenantes de parfaire le plan d’aménagement de ce domaine et de proposer des stratégies de gestion et de gouvernance mieux adaptées aux dynamiques en cours (Kyale et al., 2019).

Approches méthodologiques

Milieu d’étude

5Le DCBU a été créé en 1974 par l’Arrêté n°23 du 14 février 1974. Avec une superficie d’environ 60 000 km², ce domaine est l’une des plus vastes aires de conservation continentale au monde. Il fait partie d’un grand complexe paysager comprenant d’un côté, le DCBU (au sens strict) et de l’autre, la Réserve de faune de Mbomu. L’aire protégée est située sur une zone de transition écologique (Lamarre, 2020). On y trouve des forêts tropicales humides au centre et à l’Ouest et des zones de mosaïque de savanes arborées et des galeries forestières à l’Est. Les espèces végétales présentes dans la région étudiée sont celles des forêts tropicales, majoritairement distribuées dans la région omni- et bas-guinéo-congolaise.

6Sa faune est variée avec une population de chimpanzés, d’éléphants, de buffles, de léopards, des lions, de rongeurs et de singes. Lamarre (2020) note qu’environ 93 % de l’aire protégée sont situés dans la province du Bas-Uélé, dont 50 % dans le territoire d’Ango et 43 % dans celui de Bondo ; près de 7 % restants se trouvent dans le territoire de Dungu, province du Haut Uélé (Figure 1). La limite Nord-Est de l’aire protégée marque la frontière avec la République Centrafricaine et le Sud-Soudan. Sa population riveraine vit de l’agriculture de subsistance, de la chasse, de la pêche, de l’exploitation minière artisanale, de l’élevage de gros bétail et de l’exploitation forestière (Lamarre, 2020). L’aire protégée subit plusieurs menaces dues au braconnage, à l’élevage de gros bétail par les Mbororo, à l’agriculture itinérante sur brûlis, à l’orpaillage, à l’activisme des groupes armés et à l’exploitation forestière. En dépit de sa vaste étendue, conformément à la nature de l’étude, seul le territoire de Bondo touché par l’orpaillage a intéressé les chercheurs. L’étude s’est intéressée particulièrement à la zone où les sites miniers sont installés dans le DCBU et sa proche périphérie (figure 2).

Collecte des données

7La collecte des données a mobilisé une triple entrée d’instruments méthodologiques comprenant la documentation, le discours (entretiens individuels et de groupe) et l’observation directe. Les documents exploités sont principalement composés de ceux produits par l’African Wildlife Foundation (AWF), l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), le gouvernement provincial, l’administration territoriale, les services publics déconcentrés des mines et de l’environnement. Les informations collectées dans ces documents ont permis de cerner la gouvernance minière dans la zone, les dynamiques et jeux des acteurs, les enjeux et intérêts des intervenants, l’état de l’application de la règlementation minière et forestière, la localisation des sites miniers et les activités économiques réalisées dans la zone. Toutefois, la question de la gouvernance de l’orpaillage dans le DCBU et sa périphérie étant complexe et multisectorielle, il a été nécessaire de recourir à la méthode d’enquête pour appréhender les perceptions des acteurs sur l’objet étudié.

8Les entretiens semi-structurés (Stoléru, 2012) ont été réalisés avec les acteurs principaux qui sont les exploitants, les creuseurs et les négociants œuvrant dans les sites miniers et les centres de négoce. Avec des personnes ressources, quelques entretiens ont été réalisés afin de comprendre davantage les enjeux multiples de gouvernance de cette activité. Ces personnes ressources sont composées des membres des organisations de la société civile intéressés par cette thématique, des agents et responsables des services clés des mines et des forêts (au niveau provincial, territorial et local) ainsi que des notables ou des chefs coutumiers des sites d’exploitation. Les informations issues de ces entretiens individuels ont permis de cerner les motivations réelles qui poussent les acteurs à remettre en question la règlementation minière dans la gouvernance de l’orpaillage dans le DCBU.

9Les groupes de discussion ont été animés avec des membres des communautés locales et des propriétaires des petits métiers exercés dans les sites d’exploitation minière (chasseurs, charbonniers, vendeurs de divers produits). Ces discussions de groupe ont éclairé les perceptions qu’ont les groupes susmentionnés sur l’exploitation artisanale de l’or et ses multiples impacts. Ces entretiens ont été réalisés dans le respect des exigences liées à la disposition, à la liberté d’expression et à la composition des membres des groupes (Gavard-Perret et al., 2011; Touré, 2010; Moreau et al., 2004).

10Pour localiser les sites d’exploitation artisanale d’or, l’usage du système d’information géographique a été important. Pendant les visites de terrain, les chercheurs s’étaient munis des récepteurs GPS pour prendre les coordonnées géographiques. Les cartes ont été produites pour localiser les zones à fortes activités minières. Au total, quatorze sites miniers ont été touchés par les investigations approfondies à l’aide d’entretiens et d’observation (figure 2).

11Chaque site minier a bénéficié, au préalable, d’un quota d’individus à enquêter en fonction de sa dimension et de la disponibilité de ces derniers (figure 3). Un échantillon total de 262 sujets (142 pour entretiens individuels et 120 pour les groupes de discussion) a été choisi dans ces 14 sites. Le choix des individus soumis aux entretiens était fait selon la technique de convenance consistant à retenir les enquêtés (creuseurs, négociants et administrateurs des sites miniers) qui ont marqué leur accord (Gavard-Perret et al., 2011). Les observations directes se sont basées sur la description des activités minières et leur ampleur. C’est pendant les visites de terrain que les coordonnées géographiques et les photos ont été prélevées.

12Avec ces différentes sources des données, il a été possible d’obtenir des informations susceptibles de faire un état des lieux sur la gouvernance de l’orpaillage dans le DCBU en mettant en exergue, les nécessités locales de survie ainsi que le cadre institutionnel et légal. Deux phases sont intervenues dans le processus d’enquête : la phase préparatoire et celle de réalisation des enquêtes proprement dites. La première a été concentrée sur l’amélioration des outils d’enquête et leur validation par l’équipe des chercheurs. La seconde a concerné l’enquête proprement dite intervenue aux mois d’avril et de mai 2021.

Traitement et analyse des données issues des enquêtes

13La compilation des données s’est faite par site minier et par axe d’enquête. Pour ce qui est des données quantitatives, les proportions et les liens de dépendance ont été dégagés entre les variables analysées. Avant de procéder à ces analyses, les données ont été saisies dans KoBocollect, puis transférées dans un fichier Excel et ordonnées par paramètre d’analyse. Cette tâche de traitement des données quantitatives a été facilitée par l’usage des logiciels Excel et R.

14Pour ce qui est des données qualitatives ou textuelles, l’analyse de contenu qualitative, directe et indirecte a été mobilisée pour identifier les facteurs contribuant à la violation des lois nationales sur la conservation de la nature et les mines au profit de l’exploitation de l’or. Cette technique, notent Van Campenhoudt et Quivy (2011), « offre la possibilité de traiter de manière méthodique, des informations et des témoignages qui présentent un certain degré de profondeur et de complexité, par exemple les rapports d’entretiens semi-directifs». Cette analyse a été utile durant le processus de traitement des données de cette recherche. D’abord, elle a permis aux chercheurs de repérer des idées pertinentes dans les opinions exprimées par les enquêtés pendant les entretiens et dans les documents analysés (Negura, 2006). Ensuite, elle a aidé à définir les catégories des réponses fournies par les enquêtés aux questions d’opinions et/ou ouvertes (Loubet del Bayle, 2000). Enfin, les unités d’analyse constituées des éléments correspondant aux énoncés ou messages à retenir dans les entretiens ont été définies. À partir de ces unités d’analyse et des catégories définies, des modalités pratiques pour le traitement des données brutes dans le progiciel Excel ont été obtenues. Les données géographiques de positionnement de sites miniers par rapport aux bassins versants hydrographiques et aux limites du DCBU ont été traitées à l’aide des logiciels ArcGIS10.8, Google Earth Pro et Global Map.

Origine et évolution de l’orpaillage dans le DCBU

Cadre règlementaire national de gouvernance de l’orpaillage

16La règlementation nationale est analysée sur deux axes principaux. Il s’agit d’une part, des exigences légales relatives au statut de l’exploitant artisanal des mines et des incompatibilités y afférentes et d’autre part, de la protection de la biodiversité et/ou de l’environnement dans l’orpaillage.

De la qualité de l’exploitant artisanal des mines et des incompatibilités de quelques groupes socioprofessionnels

18En plus, certaines catégories socioprofessionnelles ne sont pas éligibles pour exercer l’activité d’exploitation minière artisanale. Il s’agit entre autres des agents et fonctionnaires de l’État, des magistrats, des membres des forces armées, des agents de la police nationale et des services de sécurité, des employés des organismes publics habilités à procéder aux opérations minières (article 27). Cette disposition a l’avantage, en théorie, de prévenir non seulement le risque de la fraude et de l’évasion fiscale, mais également du financement de l’activisme des groupes armés attirés par la rente minière. Dans l’esprit du législateur, l’implication de ces acteurs affaiblit l’application de la règlementation minière et forestière dans le secteur minier. Visiblement, les ASM ont eu du mal à confirmer la présence physique de ces catégories socioprofessionnelles pendant les investigations. Toutefois, dans le passé, quelques officiers militaires et agents publics étaient actifs avant 2013 dans certains sites miniers notamment Séminaire. En effet, depuis qu’un militaire avait tiré sur une personne pendant la production d’un puits dans ce dernier site minier, la décision d’évacuer tous les militaires dans les sites miniers a été prise par la hiérarchie militaire. Cependant, ces déclarations manifestes des ASM cacheraient la réalité sur le terrain. Quelques personnes ressources et membres des communautés locales avec qui les chercheurs ont échangé ont fait savoir à ces derniers que les autorités au niveau national, provincial, territorial, voire local, sont présentes dans les mines. Certaines ont leurs puits jalonnant les filons d’or. D’autres agissent par l’intermédiaire de leurs femmes, leurs fils, leurs frères et leurs amis ou connaissances. C’est dans ce contexte précis que ces autorités, ayant leurs coopérants dans les sites miniers, sont informées à temps réel de tout ce qui s’y passe, notamment en cas de la production opérée dans des puits des exploitants ou creuseurs.

Difficile protection de l’environnement par l’orpaillage artisanal dans le DCBU

19Dans les sites miniers touchés par les investigations, la protection de l’environnement y reste le parent pauvre. En effet, l’autorisation de l’exploitation minière dans une aire protégée remet en cause, l’objectif pour lequel cette dernière a été créée, dès lors que l’orpaillage, dans le contexte actuel du DCBU, reste une activité encline à l’illégalité et au non-respect des normes d’exploitation à faible impact environnemental. Dans cette perspective, le Code minier expose à son article 6, alinéa 5 qu’il ne peut être octroyé de droits miniers ou de carrières dans une aire protégée, ni y être érigée une ZEA. Aussi, la coopérative minière et l’exploitant artisanal des mines doivent respecter les normes en matière de sécurité, d’hygiène, d’utilisation de l’eau et de protection de l’environnement qui s’appliquent à son exploitation conformément à la réglementation en vigueur (article 112 alinéa 1). En outre, la responsabilité du titulaire d’un droit minier et/ou des carrières est également engagée en cas de contamination directe ou indirecte du fait des activités minières ayant un impact sur la santé de l’homme et/ou entrainant la dégradation de l’environnement et se traduisant notamment par la pollution des eaux, du sol, de l’atmosphère et causant des dommages à l’homme, à la faune et à la flore (article 285). Le code de conduite de la coopérative minière ou des produits de carrières agréées et de l’exploitant artisanal insiste sur l’engagement de ce dernier relatif à l’atténuation de l’impact de ses activités sur la faune et la flore, ainsi que les cours et points d’eau. Il doit en outre rejoindre la zone d’exploitation artisanale par des routes dont l’impact sur l’environnement est réduit (art.1). L’usage des explosifs et du mercure est strictement interdit (article 2). L’article 3 du code insiste sur les opérations relatives à la restauration des écosystèmes et des contours du relief et à la reconstitution de l‘humus sur la surface des sites ou les opérations ont été achevées. Le défrichement par le feu, le déracinement, la coupe d’arbres hors site d’extraction sont des activités prohibées. Dans le fait, ces principes tendant à promouvoir la mine durable sont très peu connus par des exploitants. Des guides de vulgarisation desdits principes sont quasiment absents. Il se dégage des observations de terrain que ces dispositions légales ayant trait à la protection de l’environnement sont bafouées par les orpailleurs opérant dans le DCBU et sa périphérie. Cette situation présente des risques de compromettre les efforts fournis par l’État congolais dans le domaine de conservation de la nature. Dans tous les sites, les chasseurs, les agriculteurs, les charbonniers et les exploitants artisanaux de bois sont très actifs. Les puits restent non remblayés dans tous les sites miniers investigués. Environ 99 % des exploitants enquêtés utilisent le mercure comme ceux des autres provinces de la RDC (Nkuba et al., 2021 ; Nkuba et al., 2017). Dans la quasi-totalité de ces sites, l’on rencontre des drainages miniers acides polluant l’eau des rivières. Les sites miniers sont reliés par des routes de cinq à dix mètres de largeur. L’on est encore loin d’assister à une exploitation minière respectueuse de l’environnement dans le contexte actuel du DCBU.

21Cette lecture croisée des cadres légaux ouvre la voie aux éléments de vérification de l’état d’application de la règlementation sur l’orpaillage dans le DCBU. Certes, ce cadre, notamment la loi sur la conservation de la nature, accuse des limites qui sont parfois responsables de l’illégalité constatée. Jusqu’à présent, le décret qui devrait déterminer les objectifs de conservation pour chaque catégorie d’aire protégée n’est pas encore signé et publié dans le journal officiel de la RDC (article 30). Le projet de ce décret, élaboré sous l’initiative de World Resources Institute (WRI) n’a pas abouti à la signature, alors que sa validation par les parties prenantes dans chaque province de la RDC a eu lieu en 2018. Cela pourrait permettre au gouvernement de spécifier les activités à tolérer dans chaque catégorie d’aire protégée et d’évaluer toute l’étendue de violation de la règlementation par des structures étatiques et d’autres acteurs impliqués dans l’orpaillage. Une autre limite de la règlementation est celle relative à l’aménagement des aires protégées pour bien préciser les limites de chacune d’elles. L’un des grands problèmes rencontrés en RDC dans la conservation de la nature reste la quasi-absence de l’aménagement de la plupart d’aires protégées (Kyale et al., 2019 ; Doumenge et al., 2001).

Du dysfonctionnement des structures de gouvernance de l’orpaillage dans le DCBU

22Le secteur minier artisanal en RDC est encadré par les agents publics œuvrant au sein des services étatiques implantés aux niveaux national, provincial et/ou territorial et des organes non reconnus par la loi minière. Plutôt que de faire une identification exhaustive de tous les intervenants, une typologie composée de trois catégories d’acteurs étatiques intervenant dans le secteur (figure 4) a été faite: (i) services publics ayant des compétences définies dans le code minier et ses mesures d’application ; (ii) services publics impliqués en fonction de leurs missions fiscales ; (iii) services publics intervenant en fonction de leurs missions sécuritaires.

Services publics centraux ayant des compétences définies par le code minier

Organes provinciaux ayant des attributions dévolues dans le code minier

24Plusieurs institutions et services publics interviennent dans la gouvernance de l’orpaillage en province du Bas-Uélé. Les investigations ont noté d’abord le gouverneur de province chargé d'élaborer la politique minière provinciale, de superviser l’exécution des édits miniers et d’émettre un avis en cas d’institution d’une ZEA. Dans le fait, hormis les arrêtés provinciaux signés, la province n’est pas dotée d’une politique minière cohérente, moins encore d’un édit minier. L’instabilité institutionnelle qui a caractérisé la province depuis 2015 n’a pas permis aux gouverneurs qui se sont succédés d’asseoir une politique minière contenue dans un document. Les quelques propositions d’édits faits par les députés provinciaux n’ont pas abouti à leur adoption, moins encore, à leur promulgation par le gouverneur. Pour le ministre provincial en charge des mines, son rôle consiste à délivrer les cartes d’exploitant artisanal et de négociant et à superviser des activités des services du ministère des mines installés en province en collaboration avec les services techniques. Le Chef de Division provinciale des mines contrôle et surveille les activités minières en province, réceptionne les dépôts de demande d’agrément au titre des coopératives minières adressée au ministre, émet des avis de conformité préalablement aux décisions et actes du ministre provincial dans le secteur minier. Le contrôle censé être assuré par ce service présente des limites. En effet, conformément à l’article 125 du règlement minier, la Division provinciale des Mines s’assure, avant la transmission de la demande au Ministre provincial des Mines, que le demandeur d’une carte d’exploitant artisanal a compris l’intégralité des dispositions contenues dans la règlementation en matière de protection de l’environnement, de l’hygiène et de la sécurité dans les zones d’exploitation artisanale et le Code de conduite de l’exploitant artisanal repris dans le code de conduite de l’exploitant artisanal des mines. À cet effet, la division est chargée de vulgariser les textes concernés dans les dialectes de la Province. Toutefois, le contrôle effectué par ce service vise plus la recherche des infractions pour exiger le paiement des amendes au détriment de la gestion durable du secteur minier. Les agents de ce service sont très impliqués dans la vente des formulaires de demande de carte de négociant (20 USD), de demande d’autorisation d’exploitation (100 USD), de demande d’autorisation d’ouverture de chantier (déclaration) (50 USD), des lettres d’investigation (150 USD). Quelques agents envoyés aux missions dans les sites miniers s’arrêtent parfois au campement sans visiter les sites d’extraction des minerais parce qu’ils se font corrompre par les administrateurs des sites miniers. L’état de connaissance (faible) des exigences en matière de l’environnement que présentent les creuseurs et les administrateurs des sites miniers (ASM) atteste que lors du dépôt des formulaires de demande, ces derniers ne sont pas informés desdites exigences. Le Cadastre minier (CAMI) qui est compétent pour effectuer le bornage des zones d’exploitation artisanale est absent dans le Bas-Uélé. Ce dernier dépend de la Direction provinciale du CAMI basée dans la Province de la Tshopo. Cette absence de CAMI dans une province minière corrobore ce que Mazalto (2008) a noté en ces termes : « Dans certaines provinces minières, de nombreux dysfonctionnements sont dus à l’absence de représentants des nouveaux services publics spécialisés ». Le Service d’assistance et d’encadrement de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle (SAEMAPE) a pour rôle d’identifier des sites miniers artisanaux, des ZEA, et encadrer les exploitants pour qu’ils maximisent la production minière dans leurs sites. Ce service est aussi implanté dans les territoires et centres de négoce selon le cas. Dans la zone d’étude, outre le bureau provincial implanté à Buta, le territoire de Bondo connaît deux principaux responsables de ce service, dépendant directement de la province (à Buta). L’un se trouve au chef-lieu du territoire de Bondo pour contrôler les sites miniers situés dans les chefferies de Duaru et de Goa sur l’axe Yakpa ; l’autre est installé à Baye pour contrôler les sites miniers se trouvant dans la chefferie de Gaya. Leurs représentants (agents) sont aussi commis aux principaux sites miniers de la région. Le rôle joué par ces agents est essentiellement celui de surveiller chaque puits afin de prélever 5 % de la production minière.

26Par ailleurs, le fonctionnement des services centraux et provinciaux précités soulève d’énormes défis à relever dans le secteur de gouvernance de l’exploitation artisanale des mines dans le Bas-Uélé. D’abord, la logique voudrait que l’institution des zones d’exploitation artisanale soit précédée d’un véritable travail de recherche approfondie par le Service géologique national du Congo. Ce dernier (qui est en phase d’implantation dans les provinces) identifie les gisements qui pourraient faire l’objet d’exploitation industrielle ou artisanale. Même dans le cadre de l’exploitation artisanale, les facteurs techniques et économiques caractérisant les gisements sont nécessaires pour apprécier l’opportunité de leur mise en valeur en vue d’éviter de détruire l’environnement sans un rendement conséquent. Une fois la zone identifiée, intervient alors le CAMI pour borner les carrés miniers à octroyer aux coopératives minières (à raison de deux carrés de 84,95 ha chacun pour une coopérative regroupant au moins 20 exploitants) à la suite des demandes reçues et analysées par les services concernés cités ci-haut. Les autres instances pourraient alors intervenir pendant les opérations d’exploitation, de commercialisation et de transport des minerais. À l’heure actuelle, le Service géologique national du Congo est opérationnel pour accomplir cette mission mais il lui faut suffisamment des moyens pour mener les recherches géologiques et minières dans toutes les provinces. Les exploitants artisanaux œuvrent dans des zones non affectées à l’activité artisanale et certains agents incontrôlés des services de l’État octroient des autorisations de manière cavalière sans tenir compte des restrictions y afférentes notamment dans les aires protégées.

Services publics impliqués en fonction de leurs missions fiscales 

Les hommes en uniforme dans les sites miniers : de la sécurité des personnes à l’implication dans les activités minières

Quand les nécessités locales de survie limitent l’application de la règlementation nationale

Le sous-emploi et l’inefficacité de l’application de la règlementation dans le DCBU

Contradictions entre législations nationale et provinciale dans la gouvernance de l’orpaillage : une manière de sauver l’économie locale et provinciale ?

De la ruée vers l’orpaillage dans le DCBU : une réponse aux préoccupations socioéconomiques du milieu ?

33Pour les creuseurs, les facteurs les conduisant à exercer leur activité et s’y maintenir pendant plusieurs années sont légion (tableau 1). Majoritairement, l’exploitation artisanale de l’or est perçue par les creuseurs comme une source sûre de revenus. Occupant 85 % de la jeunesse active vivant dans la zone, l’orpaillage est devenu une alternative économique crédible pour les populations. Elle entretient dans le chef des pratiquants, un espoir quotidien sur le changement de la classe sociale (pauvre-riche). Dans le fait, cet espoir reste un leurre pour la plupart des creuseurs pendant qu’il en demeure une réalité pour les ASM, les commerçants et les négociants. En deuxième lieu, l’on note l’influence des amis du village, du quartier ou de la ville. En effet, quand certains jeunes voient leurs amis du milieu faire de l’argent à travers cette activité, il est difficile pour eux de rester indifférents. Ainsi, s’ils n’ont pas d’autres activités rémunératrices, la possibilité de faire de l’orpaillage devient grande. Dans cette même perspective, la famille des creuseurs a aussi une part de responsabilité dans la motivation des creuseurs. Les parents qui voient les enfants des autres prospérer dans les mines en achetant des biens meubles et immeubles à ces derniers, n’hésitent pas à encourager leurs enfants d’emboiter le pas de ceux-là qui font les mines. La déperdition scolaire dans la zone d’étude est fréquente. Parmi les creuseurs, l’on a noté également les orphelins. Devenus incapables de se prendre en charge pour les études, ils prennent alors la décision de devenir des mineurs. D’autres facteurs comme l’évangélisation et la non scolarisation ont également été cités, mais à des proportions faibles. Ceux qui ont eu pour motivation, l’évangélisation, sont pour la plupart, des chefs religieux ou « imams ». La circulation monétaire dans les sites miniers attire ces gens, car les creuseurs, les négociants et les ASM sont pour la plupart endoctrinés et/ou croyants. Cet endoctrinement les conduit à offrir aux pasteurs/imams, des offrandes et dons. Une fois la caisse de l’église renflée, les pasteurs/imams se lancent dans l’entreprise minière en devenant des PDG et/ou propriétaires des puits. En tout état de cause, la motivation des creuseurs est d’ordre socioéconomique. L’espoir de devenir riche dans une économie nationale en crise motive ces jeunes et adultes à recourir à cette activité. D’un axe routier à un autre, les avis des creuseurs sont quasiment les mêmes concernant les facteurs qui les motivent à recourir à cette activité (X = 9.2698, df = 4, p-value = 0.06).

Tableau 1 : Mobiles d’intérêt des creuseurs pour l’orpaillage

Mobiles d'intérêt/axes routiers	Baye		Yakpa		Général
	n	fr (%)	n	fr (%)	n	fr (%)
Source de revenu sûr dans le contexte de sous-emploi ou chômage	24	59	24	69	48	63
Influence des amis et familles	12	24	3	9	15	20
Décès des parents	2	5	5	14	7	9
Non scolarisation	3	7	1	3	4	5
Évangélisation			2	6	2	3
Somme	41	100	35	100	76	100

34Pour les négociants représentant 43 % de ceux œuvrant sur l’axe Baye et 35,5 % des cas travaillant sur l’axe Yakpa, le premier mobile qui les a poussés à entreprendre cette activité reste les conditions socioéconomiques précaires de leur vie. Une autre raison fondamentale est que cette activité paraît rentable (38% des négociants sur l’axe Baye et 35,5 % sur l’axe Yakpa). D’autres mobiles ont été avancés à savoir l’activité familiale, l’expérience des amis, l’initiation par un patron.

35Les communautés locales à leur tour sont présentes dans les sites miniers pour plusieurs raisons. Leur tout premier mobile est d’ordre alimentaire. En effet, certains produits alimentaires (manioc et ses feuilles, bananes, maïs et riz) consommés dans les sites miniers sont produits par les communautés locales. Elles sont considérées ensuite comme les propriétaires terriens. De ce fait, elles accordent des autorisations coutumières d’accès aux terres et organisent des rites traditionnels sur invitation de l’ASM avant et pendant les opérations minières. En contrepartie, elles bénéficient des avantages dans les sites miniers, notamment les exonérations des droits de douane sur leurs produits. Avoir les sites miniers productifs dans son village est une opportunité pour les membres de ce dernier. Cependant, les véritables problèmes de développement communautaire sont relégués au second rang dans le milieu d’enquête. Les propriétaires des sites miniers investissent très faiblement dans la construction des écoles et des structures sanitaires du milieu, faute d’engagements formels signés avec les communautés locales. Les quelques initiatives existantes viennent des particuliers qui font des affaires dans les sites miniers. Bien d’autres acteurs sont également présents dans les sites miniers pour tirer profit de leurs activités. Il s’agit des fournisseurs des produits manufacturés, des chasseurs, des charbonniers, des vendeurs de divers produits manufacturés et des groupes associatifs. Cette diversité d’acteurs dans les sites miniers est une réalité observée dans toutes les provinces minières de la RDC. Sous cette perspective, Kamundala (2013) souligne que « l’exploitation artisanale des mines demeure importante pour des milliers de creuseurs, des négociants et des intermédiaires ainsi que pour de petits commerçants qui vivent grâce à elle ».

36S’il y a des proportions élevées de gens qui ont estimé que ce sont les problèmes socioéconomiques de la vie et la rentabilité de l’activité qui les ont poussés à exercer cette activité, c’est suite aux faibles opportunités économiques d’ouverture et de développement des entreprises dans ce milieu. Mais aussi parce que l’agriculture qui employait autrefois les ruraux est abandonnée. De même, les routes sont en très mauvais état, ne permettant pas une évacuation assurée des produits agricoles vers des centres de consommation, notamment Buta, Kisangani, Isiro. Les jeunes gens qui sont au chômage dans des milieux urbains et partout ailleurs n’hésitent pas à s’engager dans cette activité pour assurer leur survie et celle de leurs familles. Sous cette perspective, les sites miniers regorgent des migrants venus de plusieurs régions du pays et du monde (Kyale et al.,2021; Konan et al. 2018).

37En effet, le marché d’emploi formel en RDC en général et dans le Bas-Uélé en particulier est difficilement accessible. Depuis l’échec de la politique d’ajustement structurel et l’effondrement de la plupart des entreprises formelles à la suite de la zaïrianisation, le peuple congolais s’est mis à développer des stratégies ou des initiatives d’entrepreneuriat privé afin de garantir leurs moyens de subsistance (Ankogui-Mpoko et al., 2009 ; Mazalto, 2008). Ces stratégies regroupent les activités à caractère économique qualifiées de petite économie marchande (Omasombo Tshonda, 1991), d’économie de la débrouille ou d’économie informelle (Lautier et al., 1991). Ainsi, Lautier et al. (1991) soulignent-ils : « Devant la faillite des politiques du développement, l’appel incantatoire au secteur informel chasse les démons […], soulage la pauvreté et est le lieu de formation de la main-d’œuvre ». L’émergence des sites miniers, généralement informels, est l’une des réponses à la situation de multiples crises. À cet égard, Kyale et al. (2017) notent que « le déclin économique, le chômage aiguisé et la pauvreté aggravée par les différentes guerres que la RDC a connues durant ces deux dernières décennies ont entraîné l’émergence des activités d’économie informelle. Dans certaines régions, celles-ci sont plus importantes et plus influentes que les économies formelles et constituent une réponse à la situation de la faillite de l’État congolais ». Ce sont les hommes qui, confrontés aux problèmes de survie ou aux difficultés liées à la conjoncture, cherchent ou se créent des emplois (Omasombo Tshonda, 1991). L’intérêt accordé à ce secteur est aussi lié à la disponibilité des ressources minières.

Gouvernance de l’orpaillage au centre de la coexistence des rapports formels et informels entre les acteurs

38Le DCBU constitue un champ, au sens de Bourdieu (1992), où les acteurs impliqués dans l’orpaillage sont en concurrence pour le contrôle des ressources naturelles. Les rapports qu’entretiennent ces acteurs dans leurs interactions sont de deux ordres. Ceux qui sont formels et ceux relevant des arrangements particuliers ou informels (figure 5). Les relations formelles sont celles qui sont règlementées par les textes légaux régissant le secteur minier. Il s’agit des relations de régulation de l’activité. Elles sont fondées sur les actes d’autorisation des activités, la perception des impôts, taxes et redevances d’une part, et sur le contrôle multidimensionnel des activités de chaque acteur principal (exploitant, creuseur, négociant). Les rapports du type informel concernent les arrangements entre les particuliers sans que le service de l’État soit intervenu. Ce sont des rapports contractuels. Ces rapports sont axés sur les achats et ventes des produits, les accords de financement, le partage des profits, les autorisations d’exercer les activités dans un site minier, le prélèvement des droits, l’octroi des faveurs, l’instauration de la discipline dans le site, la défense des intérêts des membres et la fourniture des biens et services (Kyale, 2009). L’on comprend que dans l’orpaillage, se cache un maillon d’acteurs publics et privés qui entretiennent entre eux, des relations formelles, voire informelles (figure 4). Souvent, ces rapports se traduisent par une lutte de pouvoir sur le contrôle des ressources naturelles dont le DCBU regorge. Ladite lutte oppose ceux qui sont censés appliquer la règlementation minière et forestière (pouvoirs publics) et ceux qui dépendent de l’orpaillage (communautés locales, exploitants, creuseurs, négociants), tous mobilisés pour en tirer des dividendes. Cette réalité corrobore le constat fait par Cazalet (2007) selon lequel, « le continent africain reste marqué par une ruralité dominante et par une imbrication originale entre différentes formes d’autorités et de sources de droit dans la gestion des ressources naturelles ». Par ailleurs, il sied de noter que dans certaines mesures, ces rapports se traduisent par des conflits opposant les acteurs autour des avantages issus de l’exploitation minière artisanale et de la conservation. Tubiana (2019) rappelle à ce sujet « qu’en Afrique subsaharienne, historiquement, la conservation de la nature semble davantage avoir été un facteur, sinon une cause, de tensions, essentiellement entre les administrations en charge, les projets de conservation eux-mêmes et les communautés locales, et souvent entre les communautés locales et les États ». Les plus récurrents des conflits portant sur l’expropriation ou le découpage unilatéral des sites miniers de Kanana et de Sambili Kpanga. Ces deux sites miniers, gérés par des allochtones, sont convoités par les natifs de la chefferie de Gaya. Ces derniers, dans leurs revendications, pensent que les étrangers profitent de l’or exploité dans leur milieu pour s’enrichir et construire ailleurs au détriment du développement local. Une autre dimension de contestation concerne l’interdiction d’ouverture des sites miniers dans la zone dédiée à la conservation dans le DCBU. Cette interdiction paraît injuste dans le chef des acteurs locaux car, dans leur imaginaire, la conservation apporte peu d’avantages matériels et financiers à l’intérieur et dans la périphérie du DCBU. L’on est ici en face d’un défi lié à la cohabitation de la logique conservationniste appuyé par l’État et ses partenaires nationaux et mondiaux avec la logique développementaliste soutenue par les acteurs locaux (Giraut, 2004). Le recrutement dans les Organisations non gouvernementales (ONG) et l’ICCN se fait, disent-ils, en faveur des migrants. Les acteurs locaux se voyant être marginalisés par les porteurs des projets de conservation et l’État développent une attitude de méfiance vis-à-vis de ces derniers. Ce constat a été également fait par Cadore (2017) en ces termes : « L’effort environnemental bénéficierait à des acteurs hors du territoire alors qu’il est supporté par des acteurs du territoire ».

Conclusion

39Cet article part du postulat selon lequel tant que les besoins de survie des acteurs directs et indirects de l’orpaillage se posent avec acuité dans une zone soumise aux conditions socioéconomiques misérables, l’application de la législation forestière et minière nationale demeurera déficitaire dans la gouvernance de l’orpaillage. En d’autres termes, les besoins locaux de survie des parties prenantes impliquées dans la gouvernance de l’orpaillage sont une explication prépondérante dans la faible application de la législation minière et forestière applicable dans les aires protégées regorgeant des minerais en RDC. Partant du cas du DCBU, les résultats de cet article montrent que ce dernier est au cœur des conflits d’usage entre les acteurs engagés dans l’orpaillage et les services étatiques commis à la protection de la biodiversité. En corolaire, l’on assiste à une coexistence paradoxale entre les pouvoirs étatiques et coutumiers, les pratiques formelles et informelles ainsi que la règlementation nationale et provinciale. Ces paradoxes sont dus aux logiques qui fondent les actions des acteurs impliqués dans l’orpaillage à plusieurs niveaux. Le premier niveau est celui des services publics provinciaux et locaux censés appliquer la règlementation. Le traitement infligé aux agents de l’État et la quasi-absence des unités économiques dans le Bas-Uélé ne permettent pas à ces derniers d’appliquer la règlementation minière et forestière à la lettre, au risque de sacrifier leur survie. L’orpaillage est ainsi perçu par eux comme une opportunité pour combler le déficit salarial et mobiliser des recettes fiscales pour la province et les entités territoriales décentralisées. C’est la base de l’économie locale et de la province. Les arrêtés provinciaux signés dans ce secteur ont servi d’illustration pour montrer à quel point, les lois nationales sont reléguées au second plan au profit des préoccupations socioéconomiques locales et provinciales. Le deuxième niveau est celui des acteurs principaux qui sont les creuseurs, les négociants et les ASM. Ces catégories socioprofessionnelles voient dans l’orpaillage, la source sûre de revenus et l’opportunité d’emplois. En effet, dans une province dépourvue d’entreprises formelles, l’exploitation artisanale de l’or reste le berceau de la main-d’œuvre en chômage. Elle est également perçue par ces acteurs comme un facteur qui contribue à endiguer la violence dans les centres urbains dès lors que certains délinquants s’y sont réfugiés. Le troisième niveau est celui des communautés locales. Ces dernières étant abandonnées par l’État dans les domaines des infrastructures routières et de l’agriculture, leur rempart actuel reste l’orpaillage. Elles y trouvent le débouché pour leurs produits agricoles et l’attraction des investisseurs qui les emploient dans les diverses activités minières. Enfin, il convient de souligner la faible capacité de l’ICCN à assurer un contrôle rigoureux dans cette dynamique d’orpaillage dans le DCBU. Ce dernier service technique du ministère de l’Environnement et Développement durable est dépourvu des moyens matériels, financiers et humains susceptibles de lui permettre d’accomplir sa mission régalienne. Sa survie dépend grandement des projets portés par des partenaires techniques et financiers tels qu’AWF, African Park Congo et USAID. Face à ces nécessités de survie, les acteurs impliqués dans la gouvernance de l’orpaillage ont développé des jeux des relations autour des enjeux liés à l’activité. Ces résultats prouvent donc que la question de gouvernance de l’orpaillage dans le DCBU est complexe car les jeux des acteurs sont définis à tous les niveaux. À chacun de ces niveaux, l’orpaillage repose sur une gouvernance de proximité très structurée, régie par la prédominance des règles informelles (Choquet, 2018; Sangaré et al., 2016). L’on assiste donc à la coexistence des pratiques informelles avec des règles formelles. Tel que l’a noté Fernandez (2009), « la protection des espaces naturels ne correspond pas à une politique transversale et intégrée, mais elle coexiste, de façon parfois tumultueuse, avec d’autres politiques en concurrence avec elle ». Cela est dû aux nécessités socioéconomiques locales des parties prenantes, abandonnées par l’État dans ses fonctions régaliennes. Une réponse holistique de la part de l’État et des autres partenaires au développement est donc nécessaire pour concilier les préoccupations socioéconomiques avec l’application de la règlementation minière et forestière. Parmi ces réponses envisagées, l’aménagement du DCBU occupe une place de choix. Ce dernier peut prendre plusieurs axes. Le premier pourrait concerner le zonage participatif pour faire connaître les limites de différentes zones du domaine à toutes les couches de la population riveraine. Le deuxième pourrait se focaliser sur la désaffectation d’une partie et l’affectation d’une autre. Enfin, la mise en place des infrastructures socioéconomiques de base pour désenclaver la zone d’étude est une préoccupation qui devrait attirer l’attention des gouvernants dans la définition et la mise en œuvre des politiques publiques.

Les auteurs témoignent de leur gratitude à AWF et African Parks Congo pour les fonds alloués aux activités de terrain ; au Conservateur en Chef Bernard Iyomi pour l’encadrement sans faille pendant les enquêtes. Le personnel d’AWF mérite d’être remercié pour l’efficacité de sa gestion logistique durant la période de collecte des données. Grand merci aux chercheurs attachés au CIFOR et aux évaluateurs anonymes de la présente revue pour avoir relu et suggéré des corrections à cet article.