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2025

Dynamiques climatiques en milieu sahélien sénégalais : perceptions locales et facteurs socioéconomiques associés dans le nord du Sénégal

Climate dynamics in the Senegalese Sahelian environment: local perceptions and associated socioeconomic factors in northern Senegal
Issa Mballo

Résumés

Le changement climatique constitue une menace dans les zones rurales d’Afrique subsaharienne qui dépendent principalement du secteur primaire. Les populations tentent de s’adapter mais les modalités d’adaptation dépendent de la manière différenciée dont les individus perçoivent le changement. La présente étude analyse les perceptions du changement climatique des populations rurales du nord du Sénégal et identifie les facteurs socioéconomiques associés à celles-ci. Au préalable, elle compare les mesures météorologiques et les perceptions du climat dans la zone d’étude. Elle s’appuie sur un questionnaire administré auprès de 905 ménages et sur des données météorologiques de 1990 à 2021 de la station de Saint-Louis. Cette étude mobilise plusieurs méthodes dont le calcul d’indices standardisés des précipitations et des températures et la régression logistique binaire pour déterminer les liens entre facteurs socioéconomiques et perception du changement climatique. L’analyse comparative des données a montré globalement une certaine divergence entre les mesures et les perceptions climatiques. Les résultats des régressions logistiques binaires indiquent que les variables telles que le niveau d’alphabétisation du répondant, son sexe, son appartenance ethnique et le niveau d’insécurité alimentaire qui sévit dans certains ménages affectent la perception climatique des individus et des ménages.

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Texte intégral

Ce travail a été réalisé dans le cadre du projet de Perception des Évolutions Environnementales et Mobilité des Populations en Afrique Sub-saharienne (PEEMPASS) financé conjointement par les Fonds Nationaux de la Recherche suisse (FNS) et belge (FRS). Nous remercions également nos collaborateurs scientifiques et administratifs ainsi que les populations des différentes localités enquêtées.

Introduction

1Le changement climatique constitue un défi majeur et complexe dans les sociétés actuelles (Hameso, 2018). La fragilité de l’agriculture face au changement climatique varie selon les régions et leur dépendance directe de l’environnement (précipitations, températures, et cetera) (Balasha et al., 2021). Son dérèglement est une menace pour le bien-être des populations rurales (IPCC, 2023), car il compromet l’agriculture, l’élevage et la sécurité alimentaire (Yegbemey et al., 2020). En Afrique subsaharienne, les petites exploitations familiales, dépendantes à la physionomie de la saison des pluies, sont fortement affectées et vulnérables car elles vivent principalement de l’exploitation des ressources naturelles (Vissoh et al., 2012; Kabore et al., 2019).

2Les effets des catastrophes climatiques, qu'elles soient lentes ou soudaines, érodent directement la capacité des communautés vulnérables à maintenir un revenu et un mode de vie traditionnel et résilient. Si l'on ajoute à cela la faible capacité des individus à développer des moyens de subsistance alternatifs, les impacts climatiques entraînent une augmentation de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire (Sarzana et al., 2022). La dépendance des activités locales au climat entraine une curiosité de la part des populations impactées directement ou indirectement à mieux comprendre les évolutions climatiques afin de développer des stratégies. Elles perçoivent ainsi le changement climatique selon leurs expériences acquises au fil des années.

3L’intégration des perceptions climatiques aux observations météorologiques constitue une piste de recherche intéressante pour développer une meilleure compréhension du changement climatique en Afrique subsaharienne (Guodaar et al., 2021). La justification la plus partagée est que les perceptions affectent les réponses d’adaptation de populations vulnérables. Une personne qui ne perçoit pas de changement est probablement celle qui ne développe pas directement une réponse d'adaptation et la manière dont se fait une éventuelle perception à des conséquences sur les modalités d’adaptation. Une étude de Djohy et al. (2021) réalisée au Bénin révèle que les stratégies d’adaptation développées par les populations rurales en général et les éleveurs en particulier face aux dérèglements climatiques traduisent globalement leur perception au pays. Les résultats révèlent également que les éleveurs ont perçu une augmentation de la température moyenne et un prolongement de la saison sèche, ce qui correspond aux observations météorologiques. En revanche, leur perception d’une diminution des extrêmes pluviométriques, d’une augmentation des extrêmes thermométriques, d’une fin précoce de la saison pluvieuse, d’une installation de plus en plus tardive de la saison des pluies et d’une durée plus courte de la saison des pluies est contraire aux observations météorologiques.

4De l’analyse de vastes enquêtes réalisées au Vietnam, Cambodge, Ouganda, Nicaragua, Burkina, Maldives et Pérou, il ressort que les perceptions individuelles des évènements environnementaux à évolution lente (sécheresses) diminuent la probabilité de migrer. À l’inverse, les perceptions des évènements à court terme (inondations, ouragans) semblent associées à une probabilité plus grande de migrer, mais ces résultats sont statistiquement non significatifs et restent à confirmer (Koubi et al., 2016).

5Mais au final, le choix de migrer ou de rester relève de l’individu ou du ménage et dépend de ses caractéristiques socio-économiques ainsi que de la vulnérabilité qui pèse sur le ménage ou des facilités aux déplacements (Black et al., 2011). Ainsi, les perceptions de l’individu en matière de changements environnementaux et de sa propre vulnérabilité à la variabilité du climat sont d'autres facteurs liés à la décision de migrer (Izazola et al., 1998; Hunter, 2005). Une analyse des représentations et des perceptions des individus du changement climatique et des risques qui lui sont associés permet de renforcer la capacité d’adaptation des territoires et des sociétés face à ce phénomène. Une meilleure compréhension de la manière dont se construisent les représentations sociales du changement climatique aide également à la mise en place de stratégies efficientes de sensibilisation des citoyens.

6Sans équivoque, les études s’accordent sur le fait que la grande majorité des populations ouest-africaines perçoivent le changement climatique (Brou et al, 2005 ; Akponikpè et al., 2010; Idrissou et al, 2020; Guodar et al., 2021; Cissé et Diop, 2022).

7Lorsque des comparaisons entre perceptions et données empiriques ont été menées, les résultats ont révélé tantôt une concordance, tantôt une incohérence des deux types de données selon les paramètres climatiques ou encore les sites étudiés. Au Burkina, les résultats de DeLongueville et al. (2020b) ont montré que les perceptions sur les précipitations ne reflètent pas les observations météorologiques. Les populations considèrent le changement climatique comme la plus grande menace des activités agropastorales. Au niveau individuel, la perception de la pluviométrie est souvent fondée sur sa distribution journalière. Par exemple, la recrudescence des jours secs pendant l’hivernage est perçue comme une année déficitaire pour les individus. En revanche, sous l’angle météorologique, les quantifications sont réalisées, sur la base des données mensuelles ou annuelles. Il y peut donc y avoir une discordance entre la perception individuelle et les données météorologiques.

8De plus, il est très courant de remarquer des différences de perception entre les ménages dont les activités dépendent directement du climat telles l’agriculture et ceux dont le travail y est indirectement, voire pas du tout lié (Akponikpè et al., 2010). La perception de ce deuxième groupe s’avère plus imprécise.

9Le cas du Sénégal s’avère particulièrement intéressant dans le contexte de recherche qui vient d’être évoqué. La littérature sur les tendances climatiques au Sénégal s’est intéressée aux connaissances empiriques locales ou aux mesures météorologiques mais pratiquement jamais sur leur comparaison. À l’instar d’autres pays de l’Afrique subsaharienne, le Sénégal figure pourtant parmi les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Son économie rurale dépend de l’agriculture et de l’élevage qui sont fortement sensibles aux facteurs climatiques (Gaye et al., 2015). Les secteurs de production tels que l'agriculture, l'élevage et la pêche emploient 70 % de la main-d'œuvre et contribuent à 15,3 % du Produit Intérieur Brut (PIB) (Jalloh et al., 2017). Le stress hydrique entraîne des conséquences néfastes sur la sécurité alimentaire du pays. Selon les projections, le pays pourrait perdre jusqu’à 8 % de son PIB d’ici 2030 en raison des effets des changements climatiques (Diagne et al., 2023).

10La façon dont les paysans perçoivent l’évolution du climat est donc déterminante dans la mise en place des stratégies d’adaptation. Reste à identifier les variables les plus pertinentes pour comparer perceptions et mesures dans le nord du Sénégal. La pluviométrie et la température semblent particulièrement indiquées car elles constituent les deux paramètres climatiques sur lesquels les individus peuvent porter une appréciation sans instrument de mesure.

11La présente étude, réalisée dans la région de Louga en 2022, indique que les paysans (69 % des répondants) de la région affirment quasi unanimement une tendance à la baisse de la pluviométrie et remarquent un raccourcissement (90 % des répondants) de la saison pluvieuse (Cissé et Diop, 2022). Cette étude montre aussi que les populations enquêtées répondent avec un taux de 87 % qu’il existe une hausse des températures ces dernières années.

12Cette étude cherche à déterminer le rôle des facteurs socioéconomiques sur la perception du changement climatique à l’échelle des ménages de la zone d’étude. Elle analyse la concordance ou non entre la perception et les données mesurées. Les résultats sont présentés en deux grands axes : une comparaison entre perceptions et mesures climatiques d’une part, et d’autre part l’identification des facteurs sociodémographiques qui influencent la perception au niveau individuel et au sein des ménages enquêtés (figure 1).

Figure 1 : Conceptualisation de l'objectif de l'étude

Figure 1 : Conceptualisation de l'objectif de l'étude

13Cette étude s’inscrit directement dans la ligne de celles de Kaboré et al. (2019), de DeLongueville et al. (2020b) et de Guodaar et al. (2021). Le premier article compare les mesures aux perceptions des ruraux au Burkina sans déterminer les facteurs associés aux perceptions. Les résultats ont montré que les personnes interrogées ont perçu une augmentation des températures et une aggravation des conditions pluviométriques entre 1988 et 2007, ce qui correspond aux conclusions d'études précédentes mais ne correspond pas aux tendances observées dans les données pluviométriques. 

14Le deuxième analyse les perceptions du changement climatique au Burkina Faso et indique que les caractéristiques socio-économiques des ménages influencent les perceptions locales du changement climatique et l’adoption d’une pratique d’adaptation. Mais aucune comparaison entre mesures et perceptions n’y est réalisée.

15Le troisième compare les perceptions locales aux évidences scientifiques au nord du Ghana et détermine les variables (âge, éducation, attachement à un espace, situation patrimoniale) qui influencent la perception d’un changement climatique. Ce dernier article s’approche donc le plus de notre démarche, mais les début et fin de la saison des pluies et la fréquence ou non d’épisodes secs ne sont pas traités bien que ces facteurs jouent un rôle déterminant dans les activités agricoles. Nous partons de l’hypothèse que dans les ménages atteints par l’insécurité alimentaire, les populations ont tendance à expliquer les mauvaises récoltes ou encore la raréfaction des ressources végétales comme une conséquence du changement climatique.

Matériels et méthodes

Présentation du site de l’étude

16Cette étude a été conduite dans les campagnes des régions de Saint-Louis et de Louga au nord du Sénégal. Ce sont deux régions situées dans le domaine climatique sahélien caractérisées par une faible pluviométrie (moyenne annuelle inférieure à 300 mm). Le site est limité au nord et à l’est par le fleuve Sénégal, à l’Ouest par l’océan Atlantique et au sud par les régions de Thiès, de Diourbel, de Kaffrine et de Matam (figure 2).

Figure 2 : Carte de situation de la zone d’étude

Figure 2 : Carte de situation de la zone d’étude

17Sur le plan ethnique, la région est occupée par deux grandes communautés ; les wolofs et les peuls qui s’activent principalement dans l’agriculture et/ou l’élevage et dans une moindre mesure dans la pêche. Les populations des régions de Louga et de Saint-Louis sont estimées respectivement à 1 152 654 habitants et à 1 180 143 habitants (ANSD, 2023).

Collecte de données

18La collecte de données de perception a été réalisée entre décembre 2021 et juin 2023 dans six départements et concerne l’échelle temporelle 2000-2020 (figure 3). Nous avons fait un premier tri des régions sur la base de critères tels que la vulnérabilité climatique et la mobilité des populations. La vulnérabilité climatique est liée à la forte dépendance des activités agricoles et pastorales sur la physionomie de la saison des pluies. L’aridité qui caractérise la région nord du Sénégal a été un critère déterminant dans le choix des régions de Saint-Louis et Louga. L’objectif étant de recueillir la perception sur climat par les populations rurales et les stratégies d’adaptation, nous avons établi une typologie des communes dans ces deux régions en exploitant différents Plans Locaux de Développement (PLD). Ces documents officiels présentent les potentialités et contraintes naturelles, sociales et économiques des communes au Sénégal. Au total, nous avons enquêté dans 905 ménages ruraux répartis dans 18 localités de la zone d’étude.

19Les enquêtes ont porté sur 494 hommes et sur 411 femmes répartis dans la région d’étude. Dans chaque ménage enquêté, seulement une personne a répondu à nos différentes questions. Nous distinguons dans cette population, trois catégories d’âge : 15-30 ans (250 individus), 31-60 ans (535 individus) et 61 ans et plus (120 individus). Les enquêteurs ont veillé au respect d’un équilibre du genre et des catégories d’âge des personnes à interroger. Toutes les personnes ont répondu aux différentes questions posées ; aucun refus n’a été noté. Cela s’explique par l’annonce préalable de l’enquête grâce à une collaboration de chefs de villages et par le fait que les populations sont ouvertes aux études, car elles espèrent que des solutions palliatives peuvent en découler pour le bien de la communauté. Les différentes thématiques abordées dans le questionnaire sont : les caractéristiques des ménages enquêtés, les perceptions sur l’évolution du climat (pluviométrie et températures), sur la sécurité alimentaire et sur l’intention de migrer des populations. Soulignons que la question migratoire ne sera pas traitée dans cet article.

Tableau 1 : liste des variables socio-démographiques et climatiques utilisées

Thèmes

Variables

Perception climatique

Pluviométrie annuelle, dates de début et de fin de l’hivernage, fréquence des épisodes secs, intensité de la chaleur en saison sèche et en saison des pluies.

Caractéristiques socioéconomiques (modèle 1)

Sexe, niveau d'étude, activité principale, éthnie et groupe d’âge.

Perception sur l’insécurité alimentaire/ménages (modèle 2)

Stock de nourriture épuisé, carence de repas équilibrés, faiblesse des moyens financiers, réduction du nombre de repas journalier et journée sans cuisine.

20Les données climatiques ont été obtenues auprès de la Direction régionale de Développement rural (DRDR) de Saint-Louis et de l’Agence Nationale de l’Aviation civile et de la Météorologie (ANACIM). La première source nous a fourni les données de pluviométrie journalière (2007-2021) à la station de Saint-Louis et la seconde celles de la pluviométrie et des températures (maximales) mensuelles sur la même station Saint-Louis (1990-2020). Les données de températures maximales ont été choisies afin d’apprécier le réchauffement climatique en saison sèche et en hivernage. Ce choix s’explique par le fait que notre variable de perception « Intensité de la chaleur » correspond à la variable mesurée « températures maximales ».

Méthodes de traitement des données collectées

21Les données climatiques mesurées ont été utilisées pour calculer des Indices Standardisés des Précipitations (ISP) et sur les données annuelles de la station de Saint-Louis et pour produire des graphiques d’évolutions des températures annuelles minimales et maximales. La formule suivante a été utilisée : ISP = (Pi-Pm) /S et IST = (Ti-Tm).

22Pi= cumul de la pluie pour une année i, Pm = moyenne annuelle sur la série considérée, S = écart type des cumuls annuels sur la même période.

23Ti= température moyenne pour une année i, Tm = température moyenne annuelle sur la série considérée, S = écart type des cumuls annuels sur la même période.

24Les dates de début et de fin de l’hivernage ont été définies pour l’ensemble de la zone sur la base des données de la station de Saint Louis avec la méthode de Sivakumar (1988). Selon cette méthode, le début de la saison des pluies à un endroit donné est la date postérieure au 1er mai où la pluviométrie totale sur trois jours consécutifs est ≥ 20 mm à condition qu’elle ne soit pas suivie d’une période sèche dépassant 7 jours. Le dernier jour est celui au-delà duquel, à partir du 1er septembre, est observée une pause pluviométrique de plus de 20 jours (Sivakumar, 1988).

25Les fréquences de réponses issues des enquêtes ont été analysées d’abord et ensuite comparées aux mesures météorologiques afin d’analyser leur convergence ou divergence en fonction des variables. Les régressions logistiques ont permis d’identifier les variables socioéconomiques (sexe, activité principale, niveau d’étude et ethnie) qui influencent les différentes perceptions des variables climatiques dans la zone d’étude. Dans un premier temps, nous avons réalisé des tests de régression pour examiner l’impact des facteurs socio-économiques sur la perception pluviométrique et sur les températures. Dans un second temps, nous évaluons également l’influence des indices d’insécurité alimentaire dans les ménages enquêtés sur les perceptions climatiques. L’intégration des variables d’insécurité alimentaire est déterminante aussi dans la perception des individus enquêtés. Ces différentes démarches ont permis de caractériser les ménages, de comparer les mesures météorologiques aux perceptions, d’identifier les facteurs socioéconomiques et d’insécurité alimentaire associés à la perception.

Caractéristiques socio-économiques des personnes interrogées

26La majorité des individus interrogées (74 %) sont nés sur place. Les répondants se différencient selon leur niveau d’éducation scolaire et leur activité principale. Le répertoire des personnes interrogées est composé de 58 % d’illettrés (en langue française), de 37 % de personnes de niveau intermédiaire (moyen-secondaire) et de 5 % de personnes ayant atteint le niveau supérieur (université). Ce sont pour la plupart des agropasteurs (309 répondants), des éleveurs (46 répondants), des pêcheurs (38 répondants), des salariés (25 répondants) et des actifs de petits métiers locaux (56 répondants).

Tableau 2 : Fréquences des variables socioéconomiques

Variables

Total, N = 905

Sexe

Femmes

411 (45%)

Hommes

494 (55%)

Groupes d’âges

15-30 ans

250 (28 %)

31-60 ans

535 (59 %)

61 ans et plus

120 (13 %)

Niveau d'études

Illettré (e)

529 (58%)

Intermédiaire

337 (37%)

Supérieur

39 (5 %)

Ethnie

Wolof

602 (66 %)

Peul

224 (25 %)

Maure

33 (4 %)

Autres

46 (5 %)

Activité principale

Agriculteurs

309 (34%)

Eleveurs

46 (5 %)

Métier-local

211 (23,5 %)

Autre

339 (37,5 %)

27Les répondants se distinguent également à travers le niveau d’insécurité alimentaire qui sévit dans leurs ménages. Ils sont issus de ménages frappés par un épuisement des stocks de nourriture (80 % des répondants) ou par la réduction du nombre de repas journaliers (49 % des répondants) au courant de l’année. Les productions sont consommées durant environ 2 à 3 mois selon les ménages après la récolte et par conséquent les populations sont tentées de trouver de petits métiers journaliers (maçonnerie, exploitation de bois) ou encore de recourir à la rente migratoire pour assurer la sécurité alimentaire au sein des ménages.

28Les ménages ayant des émigrants aussi bien à l’intérieur du territoire national qu’à l’extérieur bénéficient d’envois d’argent pour compenser les pénuries alimentaires. Il existe une frange de femmes qui migrent saisonnièrement en Mauritanie ou dans les grandes villes du Sénégal pour trouver des ressources additionnelles au profit des ménages. Les ménages vulnérables socioéconomiquement sont parfois assistés par la solidarité villageoise (prêt ou don de kits alimentaires) et l’entraide locale. Dans certains ménages, les populations développent des cultures maraichères dont les produits sont commercialisés dans les marchés locaux.

Résultats et discussions

Résultats concernant la pluviométrie

29Dans cette section, nous analysons et comparons la perception du changement climatique aux mesures météorologiques dans le nord du Sénégal. Les observations concernent les mesures pluviométriques et thermiques au niveau de la station de Saint-Louis.

Observation pluviométrique à la station de Saint-Louis de 2000 à 2020

30Le Nord-Sénégal a connu de très fortes fluctuations pluviométriques tant du point de vue de la répartition intra-annuelle qu’en termes d’évolution interannuelle (Gaye, 2017). L’analyse des données de mesures révèle globalement une alternance entre séquences globalement sèche ou humide de la pluviométrie à Saint-Louis. Plus spécifiquement, la figure 3 (A) montre une période globalement déficitaire durant la décennie 1990-2000 et la période 2014-2019. Quant à la séquence 2001-2013, elle est globalement excédentaire, donc humide.

Figure 3 : Indices Standardisés des Précipitations et dates de début/fin hivernage à Saint-Louis de 1990 à 2020

Figure 3 : Indices Standardisés des Précipitations et dates de début/fin hivernage à Saint-Louis de 1990 à 2020

31L’analyse de la figure 3 (B) montre une installation tardive de l’hivernage dans la zone d’étude. L’hivernage le plus hâtif a été observé le 29 juin de l’année 2010. Durant le reste des autres années de notre série chronologique, les premières pluies sont enregistrées entre le 13 juillet (2020) et le 22 août (2018).

32Quant à la fin de la saison des pluies, les mesures indiquent une fin globalement normale selon les critères de Sivakumar (1988), car les dernières pluies sont essentiellement notées au-delà du 20 septembre. Les dernières pluies sont enregistrées entre le 10 septembre et le 26 octobre. La durée moyenne des précipitations à la station de Saint-Louis est d’environ trois mois selon la série chronologique analysée.

Perception des évolutions pluviométriques

33L’analyse du tableau 2 indique que 60 % des enquêtés ont perçu une diminution de la pluviométrie durant la période 2000-2020 tandis que ceux ayant noté la variabilité des précipitations moyennes annuelles représentent 19 %. Par variabilité, nous entendons une oscillation des précipitations moyennes d’une année à l’autre durant une séquence.

Tableau 3 : Perception de la pluviométrie par les populations du nord du Sénégal

Variables/Modalités

Augmentation

Stable

Variable

Diminution

Total

Pluviométrie

19

2

19

60

100

Variables/Modalités

Plus tôt

Stable

Variable

Plus tard

Total

Début tardif/hivernage

6

1

15

78

100

Fin précoce/ hivernage

68

3

19

10

100

34L’analyse du tableau 2 montre également un début tardif des précipitations selon 78 % des enquêtés tandis que le début précoce n’est relevé que par 6 % des enquêtés. Le rôle déterminant de la saison des pluies sur l’agriculture et l’élevage fait que les agriculteurs y sont très attentifs. La perception indique une fin précoce de la saison des pluies dans la région selon 68 % des enquêtés tandis que la fin tardive n’est relevée que par 10 % des personnes interrogées. Nos échanges avec les populations laissent comprendre qu’elles perçoivent le début et la fin selon leur calendrier cultural habituel. Le changement climatique est perçu mais pas encore intégré dans les habitudes culturales, les gens continuent avec les mêmes pratiques culturales. Malgré les efforts étatiques de développement de semences certifiées, de mécanisation et de multiplication de structures d’assistance aux paysans dans leur chaine de production agricole, il existe toujours des agriculteurs qui cultivent des semences non certifiées et qui travaillent manuellement.

Confrontation entre la perception pluviométrique et les données pluviométriques

35L’analyse comparative montre globalement une divergence entre la perception et les mesures pluviométriques pour la période 2000-2013 (période globalement humide) à la station de Saint-Louis. Toutefois, on note une concordance entre perception (diminution des précipitations selon 60 % des enquêtés) et mesures des précipitations entre 2014 et 2020 (période sèche) dans la région d’étude.

36Pour ce qui est des dates de début de l’hivernage, aussi bien les mesures, que les perceptions indiquent un début tardif. Cependant, les mesures ne concordent pas avec les perceptions sur la fin de la saison des pluies. Les mesures révèlent un retrait normal des précipitations tandis que la perception montre une fin précoce. Cette divergence peut s’expliquer par le fait que les populations ont tendance à percevoir un arrêt précoce dès que l’hivernage ne couvre pas le cycle de leurs variétés culturales. Ce résultat sur la fin de l’hivernage confirme les travaux de Idrissou et al., (2020) qui indiquent une perception globale d’une fin précoce (82 % des individus) alors que les tendances météorologiques montrent plutôt une fin de saison tardive au Bénin. Il en est de même pour les résultats obtenus par Djohy et al. (2021) qui indiquent aussi que la grande majorité des éleveurs (93,7 %) a perçu une fin de plus en plus précoce de la saison des pluies au cours des 40 dernières années au Bénin. Cependant l’analyse des données pluviométriques enregistrées a révélé une fin normale (45 %) et parfois tardive (35 %) dans la zone soudanienne, et une fin normale (55 %) et parfois tardive (22,5 %) dans la zone sud-soudanienne. La perception des éleveurs sur la fin de la saison des pluies était donc contraire aux résultats de l’analyse des données pluviométriques. Qu’en est-il du rapport entre mesures et perceptions sur les températures ?

Résultats concernant les températures

Observation sur les températures

37L’analyse des observations météorologiques révèle une variabilité interannuelle des températures maximales à la station de Saint-Louis en saison sèche et en hivernage (figure 4). En hivernage, les températures maximales sont globalement excédentaires de 2000 à 2009 et déficitaires de 2010 à 2020. L’année 2015 a été la plus déficitaire et donc la plus confortable tandis que celle de 2008 a été la plus excédentaire en hivernage selon la série climatique étudiée. Cependant, durant la saison sèche, l’analyse révèle une alternance entre années déficitaires et excédentaires ; l’évolution est très irrégulière. La variation temporelle des températures affecte les rendements agricoles des paysans et par conséquent installe une insécurité alimentaire dans plusieurs ménages ruraux. Par exemple, dans la vallée du fleuve Sénégal, les températures de l’air élevées lors de la floraison peuvent réduire la fertilité des plantes (CIRAD, 2015).

Figure 4 : Indices standardisés des températures maximales en hivernage et saison sèche à la station de Saint-Louis de 2000 à 2020

Figure 4 : Indices standardisés des températures maximales en hivernage et saison sèche à la station de Saint-Louis de 2000 à 2020

38La température moyenne annuelle des maxima est de 34°C en hivernage et de 35°C en saison sèche à la station de Saint-Louis de 1990 à 2020. Les températures maximales sont globalement plus élevées en saison sèche qu’en hivernage qui bénéficie de la mousson. Les résultats des analyses de mesures de températures révèlent une variabilité et une absence de tendance au réchauffement en saison sèche. Les températures moyennes annuelles des maximas sont inférieures ou égales à 36 C durant la saison sèche à Saint-Louis.

Perception des températures

39Les résultats montrent une perception d’une augmentation des températures en hivernage comme en saison sèche selon respectivement 71 % et 63 % des enquêtés. Quant à la diminution de la chaleur, elle est perçue par 20 % des enquêtés (saison sèche) et 10 % (saison des pluies).

Figure 5 : Perception sur les températures en hivernage et saison sèche

Figure 5 : Perception sur les températures en hivernage et saison sèche

40La perception montre donc globalement une tendance à un réchauffement dans la région d’étude. Le réchauffement climatique est perçu en hivernage comme pendant la saison des pluies par les populations interrogées.

Confrontation entre la perception des températures et les données thermiques

41Globalement, les résultats indiquent une divergence entre les mesures et les perceptions sur l’évolution des températures dans le nord du Sénégal. Les mesures ont révélé une oscillation des températures maximales en hivernage et en saison sèche tandis que les perceptions ont montré une augmentation des températures et donc une tendance à un réchauffement.

42Les perceptions sur le climat sont souvent influencées par plusieurs facteurs personnels et environnementaux (Niles et Mueller, 2016). Les populations perçoivent souvent la variabilité climatique à travers les effets néfastes ressentis sur leurs activités telles que agropastorales (Yashele et Mosombo, 2017) ou le caractère confortable ou non du temps.

43La différence entre ce qui est observé et ce qui est perçu est révélé par plusieurs études précédentes (Amadou et al., 2015) ; (Ehiakpor et al., 2016). D’après l’étude de Osbahr et al., (2011), la perception des changements climatiques serait parfois basée sur les besoins directement reliés au quotidien plutôt que sur la réalité (Karam et Gérard, 2023). À partir de ce moment, le travail consiste à exploiter la perception des populations sur les évolutions climatiques (variables pluviométriques et thermiques) en lien avec les caractéristiques socioéconomiques des ménages enquêtés.

Influence des déterminants socio-économiques sur les perceptions climatiques

44Les facteurs socio-économiques jouent un rôle déterminant dans la perception des enquêtés sur les évolutions climatiques (tableaux 3 et 4). La modélisation permet d’identifier les pesanteurs sociales et économiques (notamment l’activité et la précarité) qui affectent la perception sur l’évolution du climat (Katé et al., 2014).

Rôle des variables socio-économiques sur la perception du changement climatique

45Les résultats du premier modèle (tableau 3) montrent que le niveau d’éducation des individus a un impact sur la perception d’une diminution de la pluviométrie annuelle. Les individus illettrés (OR = 2,21), de niveau moyen-secondaire ou intermédiaire (OR = 2,33) ont majoritairement perçu une baisse de la pluviométrie que les personnes ayant atteint le niveau universitaire.

46L’analyse du tableau 3 montre aussi que l’augmentation des épisodes secs durant l’hivernage est généralement perçue par des agriculteurs (OR = 2,10) qui sont généralement des paysans wolofs (OR = 1,44). Les fréquences indiquent que 69 % des agriculteurs ayant perçu une augmentation des séquences sèches durant la saison des pluies sont des wolofs qui pratiquent une agriculture pluviale extensive ou irriguée au niveau des aménagements de la Société d’Aménagement et d’Exploitation des Terres du Delta du Fleuve Sénégal (SAED). Ils cohabitent avec une communauté peule, plus présente dans l’extrême nord-est de la zone d’étude, qui s’active sur l’élevage extensif. Du fait de l’aridité de la région, les éleveurs transhument vers le sud du Sénégal pour trouver de meilleures conditions de pâturage.

47La perception d’une installation tardive de la saison des pluies correspond comme nous l’avons vu à la tendance mesurée. Elle est significativement associée à l’activité agricole et à l’appartenance ethnique des populations (tableau 3). À première vue surprenante, les agriculteurs (OR = 0,63) ont moins perçu un début tardif que les individus actifs sur des métiers locaux (artisanat, commerce, entre autres) ou dans l’élevage et la pêche. Ainsi, les wolofs (OR = 0,55) principalement agriculteurs ont moins perçu un début tardif que les Peuls principalement actifs dans l’élevage. Ces derniers sont des agropasteurs très attentifs à la saison des pluies qui oriente le calendrier de la mobilité pastorale dans la région. Les personnes ayant une formation élevée ont cependant plus de difficultés à percevoir le phénomène en raison d’une plus grande distance probable entre leurs activités et l’environnement.

48Quant à la « Fin précoce » de la saison pluviale, notre hypothèse était que les personnes perçoivent une fin précoce si et seulement si l’hivernage ne couvre pas le cycle des variétés culturales. La régression logistique montre que la perception d’une fin précoce n’est associée à aucune des différentes variables explicatives de notre modèle. Par conséquent, les variables n’expliquent pas directement la perception d’une fin précoce des précipitations.

Tableau 4 : Facteurs socioéconomiques associés à la perception pluviométrique

Pluviométrie

Diminution

Hausse des épisodes secs

Début tardif

Fin précoce

Variables

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

Sexe

 

 

 

 

 

 

 

 

Femmes

 

 

 

 

Hommes

1,31

0,055*

0,95

0,8

1,22

0,2

1,21

0,2

Activité principale

 

 

 

 

 

 

 

 

Métier-local

 

 

 

 

Agriculture

1,24

0,3

2,10

<0,001***

0,63

0,030**

1,02

>0,9

Autre

0,97

0,9

1,20

0,3

0,75

0,2

1,05

0,8

Elevage

0,93

0,8

1,61

0,2

1,53

0,4

1,06

0,9

Pêche

1,15

0,7

1,45

0,4

1,35

0,5

1,53

0,3

Niveau d'études

 

 

 

 

 

 

 

 

Supérieur

 

 

 

 

Illettré (e)

2,21

0,021**

1,88

0,074*

1,50

0,3

1,13

0,7

Intermédiaire

2,33

0,015**

1,33

0,4

1,94

0,076*

1,17

0,7

Ethnie

 

 

 

 

 

 

 

 

Peul

 

 

 

 

Autre

0,53

0,020**

0,97

>0,9

0,60

0,10

0,57

0,037**

Wolof

0,87

0,4

1,44

0,044**

0,55

0,003***

0,87

0,4

*significatif au seuil de 10 %, **significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %

49La perception de l’évolution pluviométrique est donc influencée par le niveau d’étude et l’appartenance ethnique. Quant à la perception d’un début tardif, elle est associée aux agriculteurs wolofs qui pratiquent une agriculture pluviale extensive. Les résultats montrent un rapport globalement non significatif entre les modalités de références et les autres. L’hypothèse définie sur la variable pluviométrie était que les agriculteurs auraient une perception différente des autres actifs. Elle est donc infirmée, car les résultats montrent une absence de distinction tendancielle entre la perception des agriculteurs et les actifs de métiers locaux.

50L’analyse du tableau 4 montre que l’augmentation de l’intensité de la chaleur pendant la saison des pluies est significativement associée aux variables « Région » et « Groupe d’âge » aux seuils respectifs de 1 % et de 5 %. L’augmentation des températures est ressentie de manière plus forte dans la région de Louga qui est balayé par l’harmattan, vent très sec qui souffle de l'est ou du nord-est sur le Sahara et sur l'Afrique occidentale durant toute la saison sèche. Par ricochet, la région de Saint-Louis est moins chaude, car elle bénéficie de la brise de mer en provenance de l’anticyclone des Açores.

51Les résultats indiquent aussi que les hommes ont plus souvent perçu une hausse de l’intensité de la chaleur que les femmes. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes travaillent pour la plupart sur des lieux moins exposés au soleil tels que les marchés et les boutiques. De plus, le groupe d’âge (31-60 ans) a perçu une hausse de la chaleur plus importante que celui de 15-30 ans (OR = 0,54). Les statistiques descriptives révèlent que les individus du premier groupe représentent 58 % des agriculteurs et 68 % des éleveurs et donc sont régulièrement exposés au soleil.

52La perception d’une augmentation de la chaleur en hivernage est significativement associée à l’activité agricole au seuil de 5 % (tableau 4). Les agriculteurs sont généralement exposés au soleil durant les travaux champêtres et donc sont beaucoup plus sensibles aux chocs thermiques que les travailleurs dans des métiers locaux tels que les commerces ou l’artisanat local.

Tableau 5 : Facteurs socioéconomiques associés à la perception sur l’intensité de la chaleur

 Températures

Intensité de la chaleur saison sèche

Intensité de la chaleur saison des pluies

 

Variables

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

Région

Louga

 

 

Saint-Louis

0,24

<0,001***

1,11

0,5

Sexe

Femmes

 

 

Hommes

0,75

0,091*

0,75

0,078*

Groupes d'âges

31-60 ans

 

 

15-30 ans

0,54

0,001***

0,95

0,8

61 et plus

0,64

0,095*

0,74

0,2

Niveau d'études

Supérieur

 

 

Illettré (e)

1,82

0,12

2,02

0,052*

Intermédiaire

1,26

0,5

1,31

0,4

Activité principale

Métier-local

 

 

Agriculture

1,31

0,2

2,65

<0,001***

Autre

1,18

0,4

1,14

0,5

Elevage

1,97

0,15

1,47

0,3

Pêche

1,62

0,2

1,89

0,13

*significatif au seuil de 10 %, **significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %

53Aussi bien le niveau d’étude que l’activité principale du répondant n’ont pas d’influence distincte sur la perception d’une hausse des températures en saison sèche. En revanche, en saison des pluies, les résultats indiquent une perception différente entre les agriculteurs et les actifs de métiers locaux.

54D’une manière générale, on retient une association entre certaines variables socioéconomiques et la perception climatique au nord du Sénégal. Les modèles expliquent en quoi les facteurs socioéconomiques affectent la perception et par conséquent justifient le décalage entre perceptions et mesures. L’activité principale et l’éducation sont très déterminantes dans la perception climatique des populations enquêtées.

Influence des indices de sécurité alimentaire sur la perception du changement climatique

55Les conditions climatiques jouent un rôle déterminant dans la baisse des productions agricoles dans la zone sahélienne du Sénégal. Les ménages avec des moyens de production limités sont les principaux foyers concernés. Selon l’hypothèse posée, il existerait un lien entre la perception sur le climat et le niveau d’insécurité alimentaire dans les ménages enquêtés.

56Les résultats montrent que la perception d’une diminution de la pluviométrie est significativement associée aux ménages ayant épuisé leur stock de nourriture au seuil de 5 %. Dans ce type de ménage, les populations sont plus sensibles à l’idée d’une diminution de la pluie que dans les ménages autosuffisants. Elles développent souvent l’idée selon laquelle les mauvaises récoltes sont liées à la péjoration climatique. Cette justification éloigne la perception des mesures météorologiques. Au Niger, Lawali et al. (2018) ont indiqué que certains facteurs socioéconomiques tels que les pertes de récoltes sont causées par la fin précoce des pluies selon respectivement 91 % des enquêtés ; ce qui corrobore bien nos résultats.

Tableau 6 : Facteurs d'insécurité alimentaire associés à la perception pluviométrique

Pluviométrie

Diminution

Hausse d'épisodes secs

Début tardif

Fin précoce

Variables

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

Stock de nourriture épuisé

 

 

 

 

 

 

 

 

Non

 

 

 

 

Oui

1,74

0,026**

0,94

0,8

1,39

0,2

1,52

0,10

Carence de repas équilibrés

 

 

 

 

 

 

 

 

Jamais vrai

 

 

 

 

Parfois vrai

1,05

0,9

2,04

0,037**

1,52

0,3

2,01

0,051*

Souvent vrai

1,21

0,6

1,48

0,3

2,63

0,028**

3,61

0,002***

Faiblesse des moyens financiers

 

 

 

 

 

 

 

 

Jamais vrai

 

 

 

 

Parfois vrai

0,67

0,2

1,26

0,4

0,68

0,2

0,42

0,006***

Souvent vrai

0,91

0,8

2,12

0,045**

0,45

0,050**

0,32

0,005***

Réduction du nombre de repas journalier

 

 

 

 

 

 

 

 

Non

 

 

 

 

Oui

1,13

0,5

1,52

0,032**

0,82

0,3

0,84

0,3

Journée sans cuisine

 

 

 

 

 

 

 

 

Non

 

 

 

 

Oui

0,87

0,5

0,59

0,021**

0,90

0,6

1,00

>0,9

*significatif au seuil de 10 %, **significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %

57L’augmentation d’épisodes secs au cours de la saison des pluies est fortement perçue par des individus issus de ménages caractérisés parfois par une carence de repas équilibrés (OR = 2,04), par des moyens financiers faibles (OR = 2,12) et une réduction du nombre de repas journalier (OR = 1,52). La précarité économique entraine souvent, dans certains ménages, une réduction du nombre de repas journaliers afin d’allonger la durée de couverture des récoltes agricoles avant la prochaine rentrée d’argent ou de produits alimentaires.

58L’analyse des résultats des tests de régression logistique montre aussi que les variables « Faiblesse des moyens financiers » et « Carence de repas équilibrés » sont significativement associés à une fin précoce des précipitations (tableau 5) au seuil de 1 %.

59Le modèle montre qu’une fin précoce de la saison des pluies est faiblement perçue par des individus issus de ménages qui éprouvent parfois des difficultés à trouver des moyens financiers nécessaires pour acheter de la nourriture par rapport aux ménages qui n’ont presque jamais de problèmes financiers. Le constat le plus partagé dans la région est que la monoculture agricole (rizicole ou arachidière) ne permet plus de satisfaire convenablement les besoins des personnes, parce que les productions diminuent et la demande augmente au sein des ménages. L’usage de variété à cycle souvent long conjuguée à une mauvaise distribution temporelle de la pluie induisent les populations en erreur. Certaines personnes perçoivent une fin précoce quand la pluie ne couvre pas le cycle de leurs variétés culturales.

60Les activités agropastorales sont directement impactées par la physionomie de la saison des pluies au point que les calendriers varient au fil des années. Le changement climatique implique le choix de variétés de culture à cycles courts ou moyens. Si certains paysans misent sur la modification des pratiques culturales, d’autres estiment plus réaliste de migrer vers d’autres lieux à la recherche de meilleures conditions d’existence (Cissé et Diop, 2022). D’autres stratégies sont également développées à savoir la solidarité villageoise, la vente inhabituelle de biens matériels, l’emprunt d’argent/nourriture, la consommation de réserves de semences et la diversification des activités.

61Les variables « Journée sans cuisine », « Réduction du nombre de repas journalier » et « Carence de repas équilibrés » sont significativement associées à la perception sur la fréquence d’épisodes secs durant la saison des pluies. Cette relation s’explique par le fait que les gens sont très attentifs par rapport l’évolution de l’hivernage qui conditionne les rendements agricoles. Au-delà des précipitations, nous avons analysé la probabilité d’association entre la perception sur l’évolution des températures et les variables de mesure sur l’insécurité alimentaire à l’échelle des ménages (tableau 6).

Tableau 7 : Facteurs d'insécurité alimentaire associés à la perception sur les températures

Intensité de la chaleur en saison sèche

Intensité de la chaleur en saison des pluies

Températures

Variables explicatives

OR1

p-valeur

OR1

p-valeur

Stock de nourriture épuisé

Non

 

 

Oui

1,66

0,055*

1,17

0,6

Repas équilibrés

Jamais vrai

 

 

Parfois vrai

0,92

0,8

1,18

0,6

Souvent vrai

0,79

0,6

1,76

0,2

Moyens financiers

Jamais vrai

 

 

Parfois vrai

1,41

0,2

0,81

0,5

Souvent vrai

1,93

0,082*

0,79

0,5

Réduction du Nombre de Repas

Non

 

 

Oui

1,61

0,019**

1,31

0,14

Journées sans Cuisine

Non

 

 

Oui

0,53

0,008***

0,78

0,3

*significatif au seuil de 10 %, **significatif au seuil de 5 %, ***significatif au seuil de 1 %

62L’augmentation de l’intensité de la chaleur en saison sèche, perçue par 76 % des personnes enquêtées, est significativement associée aux variables « Réduction du nombre de repas » et « Journées sans cuisine » respectivement aux seuils de 5 % et de 1 %. Les individus vivant dans les ménages où on réduit le nombre de repas ont fortement perçu (OR = 1,61) une hausse des températures par rapport aux individus issus de ménages qui n’ont jamais réduit le nombre de repas journaliers. En revanche, l’intensité de la chaleur en hivernage n’est pas associée significativement aux différentes variables explicatives. Globalement, nos résultats révèlent que la plupart des variables étudiées affecte la perception des évolutions (précipitations et températures) climatiques dans la région nord du Sénégal.

Conclusion

63Les populations rurales dans la zone perçoivent le changement climatique à travers la baisse des pluies (60 % des individus), le début tardif (78 %) et la fin précoce (68 %) de l’hivernage et la hausse de températures en hivernage comme en saison sèche. Notre étude montre premièrement que l’installation tardive (78 % des interviewés) de la saison des pluies corrobore bien les résultats du test de Sivakumar (1988) qui montre que les premières pluies sont enregistrées au plutôt en juillet en août pour 94 % des cas. C’est seulement pendant l’année 2010 que l’hivernage a commencé le 29 juin. Cependant, l’analyse comparative indique une divergence entre perceptions sur certaines variables pluviométriques (évolution de la pluviométrie et fin de la saison des pluies) et les mesures météorologiques. Contrairement aux perceptions, les observations climatiques indiquent une variabilité interannuelle des précipitations et une fin normale de l’hivernage sur la période 2000-2020. Sur la série analysée (2000-2020), la durée des précipitations s’étend en moyenne sur moins de 2 mois. Les analyses comparatives sur les températures ont montré aussi une incohérence entre perceptions et mesures.

64Deuxièmement, nos analyses ont tenté d’identifier une relation entre les déterminants socioéconomiques des personnes interrogées et leur perception climatique à travers des régressions logistiques binaires. Les résultats révèlent que le « Niveau d’étude » et l’« Ethnie » affectent la perception sur la diminution de la pluie dans la zone respectivement. Ainsi, l’accroissement de la fréquence d’épisodes secs est perçu par 82 % des agriculteurs interrogés. Cette perception plus aigüe par les agriculteurs reflète le fait qu’ils soient très attentifs à l’évolution de la saison des pluies.

65Cette étude a également montré que la perception du climat est influencée par les caractéristiques socioéconomiques et le niveau d’insécurité alimentaire des enquêtés. La différence entre certaines variables de perception et de mesures devrait inciter à prendre en compte les perceptions climatiques dans les enquêtes sur les flux migratoires. Elle montre aussi que l’augmentation d’épisodes secs est fortement perçue par des individus issus de ménages caractérisés parfois par une carence de repas équilibrés (OR = 2,04), par des moyens financiers faibles (OR = 2,12) et une réduction du nombre de repas journalier (OR = 1,52). Globalement, l’analyse montre une relation entre perception et caractéristiques socioéconomiques/insécurité alimentaire des ménages enquêtés. Les résultats obtenus nous incitent à étudier prochainement le lien entre perception du climat et mobilité des populations du nord Sénégal.

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Annexe

Questionnaire

Questions

Réponses

Région

Saint-Louis

Louga

Sexe

Masculin

Féminin

Groupes âges

15-30 ans

31-60 ans

61 et plus

Quelle est votre ethnie ?

Wolof

Peul

Sérère

Maure

Soninké

Autre

Niveau d’études

Illettré (e)

Préscolaire

Elémentaire

Moyen

Secondaire

Supérieur

Quelle est votre principale activité ?

Agriculture

Pêche

Elevage

Commerce

Salarié de l’Etat

Autre

Avez-vous observé des changements dans les conditions environnementales depuis que vous êtes dans la localité ?

(Interroger des jeunes et des vieux, femmes et hommes)

Oui

Non

Je ne sais pas

Quantité de pluie durant l'hivernage

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Début de la saison des pluies

Plus tôt

Stable

Variable

Plus tard

Je ne sais pas

Fin de la saison des pluies

Plus tôt

Stable

Variable

Plus tard

Je ne sais pas

Nombre d'épisodes secs durant la saison des pluies

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Intensité de la chaleur pendant la saison sèche

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Intensité de la chaleur pendant la saison des pluies

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Nombre de jours chauds

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Nombre de jours froids

Peu augmenté

Moyennement augmenté

Fortement augmenté

Stable

Variable

Peu diminué

Moyennement diminué

Fortement diminué

Je ne sais pas

Avez-vous une fois épuisé votre stock en nourriture et que vous n'ayez pas des ressources additionnelles pour en racheter ?

Oui

Non

Je ne sais pas

Vous et les membres de votre ménage n'aviez pas les moyens de manger des repas équilibrés. Ce commentaire a-t-il souvent, parfois ou jamais été vrai au cours des 12 derniers mois ?

Souvent vrai

Parfois vrai

Jamais

Je ne sais pas

Les enfants ne mangeaient pas assez parce que vous n'aviez pas les moyens d'avoir assez de nourriture. Ce commentaire a-t-il souvent, parfois ou jamais été vrai au cours des 12 derniers mois ?

Souvent vrai

Parfois vrai

Jamais

Je ne sais pas

Avez-vous dans votre ménage déjà réduit votre portion ou sauté des repas parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour la nourriture ?

Oui

Non

Je ne sais pas

Vous est-il arrivé à vous dans votre ménage de passer une journée entière sans manger parce qu'il n'y avait pas assez d'argent pour la nourriture ?

Oui

Non

Je ne sais pas

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Conceptualisation de l'objectif de l'étude
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/48292/img-1.png
Fichier image/png, 129k
Titre Figure 2 : Carte de situation de la zone d’étude
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/48292/img-2.png
Fichier image/png, 258k
Titre Figure 3 : Indices Standardisés des Précipitations et dates de début/fin hivernage à Saint-Louis de 1990 à 2020
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/48292/img-3.png
Fichier image/png, 63k
Titre Figure 4 : Indices standardisés des températures maximales en hivernage et saison sèche à la station de Saint-Louis de 2000 à 2020
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/48292/img-4.png
Fichier image/png, 23k
Titre Figure 5 : Perception sur les températures en hivernage et saison sèche
URL http://journals.openedition.org/vertigo/docannexe/image/48292/img-5.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Issa Mballo, « Dynamiques climatiques en milieu sahélien sénégalais : perceptions locales et facteurs socioéconomiques associés dans le nord du Sénégal »VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Regards / Terrain, mis en ligne le 21 mars 2025, consulté le 29 avril 2025. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/48292 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13kvd

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Auteur

Issa Mballo

Collaborateur scientifique Projet PEEMPASS, Institut de Géographie, Université de Neuchâtel, Suisse, adresse courriel : issa.mballo@unine.ch

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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