1La production cotonnière béninoise a connu un essor très important ces dernières années (figure 1). Après une période de crise sévère, ponctuée de nombreux soubresauts, liée à la restructuration/privatisation de la filière, la production a recommencé à croître au début des années 2010. L’accélération de cette croissance, à compter de l’année 2016, serait à mettre à l’actif de l’accroissement des surfaces emblavées et de la mise en place d’un nouveau cadre institutionnel sécurisant l’approvisionnement des intrants pour le coton (INSAE, 2020). On voit que les rendements du coton, eux, sont restés dans les mêmes ordres de grandeur, plutôt orientés à la baisse (figure 1) au grand dam des autorités béninoises.
Figure 1 : Évolution des surfaces emblavées en coton (en ha, axe de gauche), du rendement (en kg de coton-graine/ha, axe de droite) et de la production de coton (en tonnes, axe de gauche).
Source : auteurs, d’après les données INSAE, 2020. NB : Les données de surfaces du tableau 5 (INSAE, 2020) comportaient manifestement une erreur de frappe pour 2017 ; elles ont été corrigées.
2Le Nord du pays reste de loin le principal foyer de production cotonnière mais une deuxième région apparait plus au sud : sud du département des Collines, Zou, Couffo et nord du Plateau. La région étudiée dans le cadre de cet article (la « savane » de Lonkly au centre de la commune d’Aplahoué, au nord du Plateau Adja) est située en périphérie de ce deuxième bassin de production (figure 2).
Figure 2 : localisation de la région étudiée
3Ici, les conditions climatiques sont bien différentes que dans les régions cotonnières du Nord. Le climat est nettement plus humide (1000-1100 mm de pluie), bimodal, de type subéquatorial et caractérisé par une « grande saison des pluies » de mars à mi-juillet et une « petite saison des pluies » de septembre à octobre, ces deux périodes étant séparées par un temps de diminution des précipitations (juillet à août) appelé « petite saison sèche ». La véritable saison sèche ne dure ici que quatre mois (de novembre à mars) de sorte qu’il est possible, contrairement aux régions du Nord, de faire deux saisons de culture par an (figure 3). Enfin, ces régions plus méridionales et densément peuplées ont fort peu, voire pas du tout d’espaces dédiés aux pâturages /parcours, et très peu d’élevage de gros bétail (sauf passage de troupeaux transhumants) de sorte que la traction attelée n’y est pas développée, autant de différences très marquées au regard des régions cotonnières du nord Bénin.
Figure 3 : Diagramme climatique de Lonkly
Source : Auteurs, données IRC, moyenne 2012-2020.
4Cette possibilité de réaliser deux saisons culturales par an a favorisé une intensification progressive des systèmes agraires. Anciennement cultivée selon un système d’agriculture sur brûlis à friches forestières de longue durée, cette région a connu un processus d’intensification en travail fondé sur des pratiques d’associations culturales complexes. Elle est aujourd’hui exploitée en culture continue, avec deux cycles de récolte par an et des rotations culturales ne laissant plus aucune période de jachère ou de recru arbustif, encore moins arboré. Récemment, cette dynamique s’est accompagnée d’un recours massif aux intrants de synthèse, en particulier les herbicides et les insecticides, affectant la durabilité environnementale et la santé des populations. Ce sont ces transformations récentes des systèmes de cultures et des pratiques associées qui font l’objet de cet article. Dans une première partie, nous préciserons les concepts et éléments de méthode qui ont été mobilisés. La seconde partie explorera la dynamique d’intensification progressive des pratiques agricoles, d’abord basée sur un accroissement significatif du travail permettant la multiplication des cycles de culture et l’abandon progressif des friches de longue durée, puis sur un usage croissant de la fertilisation minérale et des produits phytosanitaires. La troisième partie détaillera la place du coton et celle des cultures vivrières dans les systèmes de culture aujourd’hui, la quatrième partie analysant les raisons et conséquences du développement particulièrement rapide de l’usage des pesticides. Nous nous pencherons dans une dernière partie sur les limites méthodologiques et conceptuelles du programme national de transition agroécologique dans les régions cotonnières (TAZCO) mis en œuvre par le gouvernement béninois.
5La recherche s’appuie sur un travail de terrain approfondi réalisé entre avril et aout 2021 au cours duquel des enquêtes de terrain ont été conduites auprès d’une centaine d’agricultrices et agriculteurs de la région de Lonkly au centre de la commune d’Aplahoué. Ces entretiens ont été précédés d’une phase d’observation fine du paysage agraire permettant de situer ultérieurement les témoignages recueillis dans les différentes parties de l’écosystème exploité (Cochet et Devienne, 2006).
- 1 Ce travail de recherche a été financé par l’Agence Française de Développement dans le cadre d’une c (...)
6Pour reconstituer les dynamiques historiques et l’évolution des pratiques agricoles dans la région étudiée, 58 entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des « ainés », agricultrices ou agriculteurs suffisamment âgés (généralement né avant 1955) pour être en mesure d’évoquer les pratiques en vigueur dans leur foyer respectif ou village et leur évolution depuis les années soixante ou soixante-dix. Ces témoignages directs ont parfois été complétés par le recueil de témoignages indirects lorsque ces personnes évoquaient ce que leur avaient raconté leurs parents. Ces entretiens ont été menés dans 38 villages différents (figure 4, annexe 1) durant la période d’avril à juillet 20211. Le choix des personnes interrogées s’est construit pas à pas, de sorte que l’échantillon raisonné d’interviewés reflète autant que possible la diversité des conditions d’accès aux ressources productives (terre, type de couverture végétale, intrants, et cetera) et à la force de travail (Cochet, 2011).
Figure 4 : Localisation des entretiens historiques (en jaune) et technico-économiques (en rouge)
7À la suite de ces entretiens historiques, entre juillet et août 2021, 42 entretiens technico-économiques ont été réalisés dans une zone légèrement plus restreinte de 26 villages/hameaux. Ces entretiens avaient cette fois-ci pour objet de détailler le processus technique mis en place aujourd’hui par la personne interrogée et le cas échéant par les membres de sa famille. Nous nous sommes attachés à faire expliciter à chacun les pratiques mises en œuvre, la discussion pouvant avoir lieu au champ et ainsi être enrichie, chaque fois que possible, d’observation des pratiques. L’objectif était de reconstituer ainsi le ou les systèmes de culture mis en place par notre interlocuteur.
8Nous parlerons de système de culture pour désigner non pas l’ensemble des cultures pratiquées dans une exploitation, mais plutôt, à l’échelle d’une parcelle (ou d’un ensemble de parcelles) une façon particulière de cultiver selon une séquence technique donnée. Un système de culture (culture est alors écrit au singulier, entendu comme « façon de cultiver ») comprend ainsi la ou les cultures qui y sont pratiquées (en association éventuelle), les successions culturales au sein d’une même année (lorsque plusieurs saisons agricoles sont réalisées chaque année sur les mêmes parcelles) et sur une séquence pluriannuelle (friches et jachère comprises), ainsi que l'ensemble des techniques (outils/geste) qui leur sont appliquées suivant un ordonnancement précis (c'est l'itinéraire technique) et dans des conditions pédo-climatiques données (Sébillotte, 1976 ; Cochet, 2011). Dans une même unité de production, l’agriculteur et sa famille peuvent bien sûr mettre en œuvre plusieurs systèmes de culture, en fonction notamment des caractéristiques des terrains qui leur sont accessibles.
9Ces entretiens nous ont également permis de prendre la mesure du temps de travail consacré à chaque tâche tout au long de « l’itinéraire » mis en œuvre, cette comptabilisation du temps de travail étant faite en « journée de travail » (JT), aux dires de l’interviewé. Cette quantification reste bien sûr imprécise, d’une part parce que l’unité retenue (la journée de travail) n’a bien sûr pas toujours la même durée effective en fonction des tâches à réaliser, mais aussi parce qu’une même journée de travail peut être consacrée à plusieurs interventions culturales. Elle permet cependant de donner une idée de la lourdeur des tâches à accomplir (la totalité des travaux étant effectuée à la main) et d’établir des comparaisons riches de sens.
10La densité de population de la commune d’Aplahoué est passée de 85 habitants/km2 en 1992 à 186 hab/km2 en 2016 (INSAE, 2016), la petite région étudiée dans le cadre de cette recherche (la « savane » de Lonkly), noyau dense de cette commune, abritant même une population que nous estimons à 250 hab/km2. Cette dynamique démographique explique bien sûr, pour partie, que l’époque où les friches arborées et/ou arbustives constituaient le principal mode de reproduction de la fertilité et d’élimination du tapis herbacé est révolue depuis longtemps. Aujourd’hui, le paysage est constitué d’un parcellaire de champs jointifs, cultivés chaque année, le système agraire étant désormais caractérisé par la culture continue et le recours systématique aux intrants de synthèse (fertilisation minérale et pesticides).
- 2 Entretien avec un agriculteur à Yaninouhoué et à Lonkly, mai 2021.
- 3 Entretien avec un agriculteur à Zamé, juin 2021.
11Jusqu’aux XVIIIe et XIXe siècles, il n’y avait qu’une seule saison de culture. Le passage ultérieur à la double culture (deux saisons de culture sur la même parcelle) représente un processus d’intensification notoire, à mettre en relation avec le développement de la culture du maïs dans la région, à partir du XVIIIe siècle, son positionnement pendant les premiers mois de la saison pluvieuse, et l’ouverture d’une nouvelle saison de culture durant les derniers mois de la saison des pluies (Juhé-Beaulaton, 1990, 2022). Néanmoins, dans la première moitié du XXe siècle, de nombreuses parcelles n’étaient encore emblavées qu’une fois par an, pendant la première saison comme certains témoignages en font état2 : « à l’époque de mon père, on ne cultivait pas pendant ezomé (deuxième saison de culture), il n’y avait qu’élimé. C’est quand j’allais à l’école, en 1968, que mon père a commencé à cultiver le coton et donc à cultiver pendant ezomé. »3. On voit que la généralisation, au cours du XXe siècle, de ce nouveau calendrier agricole à deux saisons de culture a facilité l’insertion de la culture du cotonnier dans le cycle cultural.
12Par ailleurs, ce processus ancien d’intensification a aussi reposé sur des associations de cultures de plus en plus systématiques et complexes comme l’écrivent Breusers et Gibbon, à propos du plateau Adja, tout proche de la région étudiée ici (Breusers et Gibbon, 1997, p. 192-193). À cette époque, et jusqu’aux années 1960-1970, la friche de longue durée (qui séparait encore deux périodes de culture), assurait l’élimination progressive de la strate herbacée du fait de la simple concurrence exercée par la strate arborée pour la lumière. La question du sarclage ne devenait rédhibitoire qu’au terme de la troisième année de culture, comme l’explicite parfaitement le témoignage suivant :
- 4 Entretien avec un agriculteur à Zamé, juin 2021.
« Mon père coupait avé (la forêt) et mettait le feu au moment de la saison sèche, après les fêtes vers le mois de février. Il mettait du maïs pendant la grande saison et puis le coton lors de la petite. On ne faisait pas de sarclage, mais on coupait les rejets sur les souches. À partir de la deuxième année, il fallait sarcler, mais il n’y avait pas beaucoup d’herbe. C’est à partir de la troisième année qu’il commençait à y avoir beaucoup d’herbe. On arrêtait de cultiver à partir de la 4e année, car il y avait trop de mauvaises herbes, mon père fuyait ça. »4
- 5 Les agriculteurs plantaient parfois des palmiers à huile (Elaeis guineensis, variété dura) en assoc (...)
13Quand, du fait du croît démographique, la friche ne dura plus assez longtemps pour éliminer la strate herbacée par la concurrence pour la lumière, les agriculteurs ont dû modifier leurs pratiques en conséquence. La végétation résiduelle de ces friches raccourcies était alors abattue en janvier, puis brûlée en tas, un travail superficiel du sol à la houe s’avérant alors nécessaire pour parachever la préparation de la parcelle5. Le semis du maïs intervenait après la première pluie, son sarclo-buttage un mois après, suivi d’un deuxième sarclage entre les pieds de maïs. Le raccourcissement de la durée des recrûs, la baisse de la fertilité des sols et l’envahissement progressif de l’écosystème par la strate herbacée ont donc nécessité une intensification en travail des systèmes de cultures et l’augmentation continue du temps consacré au sarclage, impactant tout particulièrement le travail des femmes (Wartena, 1997), une séquence technique qui sera mise en œuvre jusqu’à l’introduction et la généralisation (récente) des herbicides.
14L’usage des engrais minéraux a permis, depuis une vingtaine d’années, de compenser en partie la perte de fertilité induite par le raccourcissement drastique de la durée des friches ; celui des herbicides (essentiellement paraquat et glyphosate), beaucoup plus récent, soulageant le travail de lutte contre les adventices.
- 6 Entretien avec un agriculteur à Soligbé, nord de la région étudiée (commune d’Aplahoué), juin 201.
15L’usage des herbicides s’est quasiment généralisé pendant la deuxième moitié des années 2010, notamment pour les cultures vivrières (leur usage est plus ancien sur le coton). Cette rapidité est attestée par le fait que, lorsque les agriculteurs sont invités à décrire leur façon de faire (par exemple pour la culture du maïs de grande saison), ils évoquent spontanément un itinéraire technique sans herbicide, grattage préalable du sol à la petite houe et sarclages se succédant pour contrôler les adventices. Ce n’est que lorsque la question est explicitement posée, que les producteurs précisent que cette façon de faire n’a plus cours, sauf « quand on n’a pas les moyens » (quand la trésorerie nécessaire à l’achat des herbicides fait défaut). Une nouvelle norme semble donc remplacer l’ancienne, même si c’est encore la plus ancienne qui fait office de « référence »6.
16Ce développement spectaculaire (et récent) de l’usage des intrants de synthèse concerne l’ensemble du pays, comme en témoignent les figures 5 et 6 ci-dessous. En ce qui concerne les engrais minéraux, après une phase de développement significative de leur usage dans les années quatre-vingt-dix, celui-ci a fortement régressé au début du XXIe siècle avant de connaitre une impressionnante envolée depuis 2017 (figure 5). Cet accroissement de la consommation d’engrais concerne à la fois la culture du coton (extension des surfaces cultivées plutôt qu’accroissement de la dose/ha) et les cultures vivrières.
Figure 5 : Utilisation d’engrais à des fins agricoles au Bénin
Source : Auteurs d’après les travaux de Caron (2022) (données UN COMTRADE).
17Les importations d’insecticides et d’herbicides ont aussi grimpé ces toutes dernières années, atteignant des niveaux jamais atteints auparavant, même si des quantités significatives d’insecticides avaient déjà été importées (pour le coton) auparavant, notamment dans les années 1998-2004 puis 2010-2011 (figure 6).
Figure 6 : Importation de pesticides au Bénin en valeur (USD courant)
Source : Auteurs d’après les travaux de Caron (2022) (données UN COMTRADE).
18Contrairement aux régions plus septentrionales du Bénin, ici la longueur de la saison des pluies autorise deux cycles de cultures par an. De ce fait, le coton est toujours semé en deuxième saison de culture, après un cycle de cultures généralement vivrières, dont le maïs est la principale. Deux systèmes de culture principaux peuvent alors être distingués.
19Dans ce premier système de culture, le maïs (en première saison) et le coton (en deuxième saison) sont conduits en culture pure, selon une succession qui se répète d’année en année. Nous la notons : maïs / coton // maïs / coton. Le signe « / » désigne le passage d’une saison de culture à la suivante, le signe « // » le changement d’année culturale. C’est cette succession qui est recommandée par les organisations de vulgarisation, mais elle n’est mise en place que par les plus grands producteurs de coton.
20Les travaux de préparation de la parcelle ont lieu en février (fin de saison sèche). Ils consistent en un nettoyage manuel ou chimique, souvent suivi d’un brûlis. Le maïs est ensuite semé en poquet (à l’aide d’une petite houe) dans la deuxième quinzaine de mars, après les premières pluies. S’en suit un premier sarclage manuel ou un désherbage chimique. Dans ce dernier cas, les produits utilisés sont des herbicides de contact ou systémique, les principes actifs utilisés étant respectivement le paraquat et le glyphosate. Lors de ce passage, les doses d’herbicide se situent autour de 5L/ha avec des concentrations en matière active de 360g/L en Glyphosate (Kalash) à 480g/L (Glyphor).
21Entre 15 et 30 jours après ce premier travail de nettoyage, on effectue un deuxième sarclage, toujours réalisé à la main, qui permet également « d’aérer le sol » et très souvent de butter le maïs, de sorte qu’il s’agit alors davantage d’un sarclo-buttage. On distribue ensuite l’engrais minéral (NPK) en application localisée au pied des plants de maïs, environ 100 kg/ha. Un dernier sarclage manuel est ensuite fait, souvent remplacé par un nouveau passage d’herbicide, avec cette fois-ci des doses légèrement plus faibles, autour de 4L/Ha. Les doses d’herbicide utilisées sont assez proches de ce qu’avait trouvé Adechian et al. (2015) dans des zones cotonnières béninoises situées plus au nord.
- 7 Les épis sont déjà à maturité et la récolte intervient peu de temps après.
22Arrivés vers la fin du mois de juin, on commence à préparer la saison du coton. Les semis de coton sont effectués entre les rangs de maïs, ce dernier ayant été sarclé ou désherbé chimiquement peu de temps auparavant. S’en suit immédiatement (J+2) un nouveau passage d’herbicide total, réalisé bien sûr en application localisée pour ne pas endommager les pieds de maïs, toujours en place7. Après la récolte des épis, autour de la mi-juillet, les agriculteurs déracinent le maïs à la houe, couchent les tiges et feuilles de maïs entre les rangs du cotonnier, sarclent ensuite autour des pieds de cotonnier tout en le démariant si nécessaire.
23On répand ensuite les engrais minéraux (NPK) au pied du cotonnier. Environ deux mois après le semis, un désherbage mécanique ou chimique est réalisé, suivi de l’application de la deuxième dose d’engrais incluant l’urée. Enfin, une fois que le cotonnier est en fleur, on effectue plusieurs passages d’insecticide, généralement entre 4 et 6, dont les substances actives sont généralement l’acétamipride et le lambda-cyhalothrine. La récolte se déroule en fin d’année.
24Le deuxième système de culture, pratiqué chez un plus grand nombre d’agriculteurs, mais sur des surfaces souvent modestes, repose sur les cultures associées. En première année, le premier cycle est occupé par une association maïs + manioc + pois d’angole (le « + » signifie qu’il s’agit de cultures associées), le deuxième par le coton. L’année suivante, c’est le niébé qui est cultivé en première saison, le coton prenant la relève en 2e saison. Nous noterons cette succession : maïs + manioc + pois d’angole / coton // niébé / coton. Il est assez fréquent, dans ce deuxième cas de figure, que la tomate soit associée au coton en deuxième saison ; la succession/association de culture devient alors : maïs + manioc + pois d’angole / coton + tomate // niébé / coton + tomate.
- 8 Les doses sont similaires à ce qui est décrit auparavant, entre 4 et 5 L/ha.
25La conduite de ce système de culture, nettement plus diversifié, est assez proche de l’itinéraire technique décrit précédemment, mais la présence des cultures associées implique cependant d’importantes adaptations. Le pois d’angole est semé en même temps que le maïs, de même que les boutures de manioc, plantées en ligne. L’association est ensuite sarclée à la main ou désherbée à l’aide d’herbicides chimiques totaux, comme dans le cas de la culture pure du maïs, cette application devant alors être effectuée avec soin pour ne pas endommager les boutures de manioc.8 Le sarclo-buttage du maïs est ensuite effectué comme dans le cas de la culture pure. Les engrais minéraux (NPK) sont déposés au pied des plants de maïs, de manioc et de pois d’angole. On réalise ensuite un dernier sarclage manuel ou chimique, l’utilisation d’herbicide demandant d’infinies précautions pour ne pas trop abimer les cultures associées. Le cotonnier est ensuite semé de la même façon entre les rangs du maïs, suivi d’un passage d’herbicide non sélectif, avec des précautions redoublées. C’est aussi à cette période de l’année que les arbustes de pois d’angole sont élagués pour ne pas gêner le développement du coton.
26La deuxième année, le niébé de grande saison est semé dans la première moitié du mois de mars. Après un désherbage chimique réalisé quelques jours après les semis, un seul sarclage sera réalisé trente jours après, le port étalé du niébé permettant de couvrir le sol rapidement et de limiter le développement des adventices. Au moment où le niébé commence à être en fleur, plusieurs passages d’insecticides (4 ou 5) sont réalisés. Les insecticides utilisés sont le Pacha et le Lambdace dont les principes actifs sont le lambda-cyhalothrine et l’acétamipride que l’on retrouve dans les deux produits. La récolte s’effectue au mois de mai. La parcelle est ensuite préparée pour le semi du coton.
27Une variante importante de ce système de culture consiste, nous l’avons vu, à associer la tomate au coton en deuxième saison de culture. Les plants de tomates, préalablement élevés en pépinière sont alors transplantés sur la parcelle de cotonniers et installés sur de petites buttes. Les insecticides utilisés pour le coton (Thalis, Pyro et Cotonix) sont aussi pulvérisés sur les plants de tomate, dont les fruits sont ensuite destinés à la consommation et vendus sur les marchés locaux.
28À l’exception de la rotation maïs/coton, conduite en culture pure telle que recommandée par les organismes de vulgarisation, mais de fait assez peu pratiquée, si ce n’est dans les plus grandes exploitations, les systèmes de culture présentés dans les paragraphes précédents ont un point commun : le fait de reposer sur des associations de cultures complexes mettant souvent en œuvre en première saison : céréales (maïs) légumineuse (pois d’angole, niébé) et plantes à racine ou tubercule (manioc) ; tandis que le coton occupe la deuxième saison agricole, en culture pure, ou associé à la tomate, au manioc et pois d’angole, toujours en place. Cette complexité révèle en fait un ensemble de pratiques relevant de l’agroécologie, mise en œuvre dans le cadre d’une forte intensification en travail des systèmes de culture. Il est remarquable que le recours massif aux intrants de synthèse ne se soit pas traduit, comme on aurait pu le craindre, par l’abandon pur et simple de la culture associée et le basculement dans la culture pure, et ce, malgré les pressions exercées par les acteurs de la filière coton.
29La culture du cotonnier est, on le sait, particulièrement exigeante en engrais minéraux et pesticides, du moins dans son déroulé « conventionnel ». Mais le cotonnier n’est pas, n’est plus, la seule culture à recevoir de conséquentes doses d’engrais de synthèse et de pesticides, comme on a pu le voir dans les pages précédentes. L’accroissement récent et spectaculaire de l’usage des pesticides, notamment l’herbicide total, sur les cultures vivrières, rend d’autant plus cruciale la mise en place d’une réflexion sur les pistes possibles pour une transition agroécologique en zone cotonnière.
30L’utilisation des herbicides soulage beaucoup les agriculteurs, notamment les femmes sur lesquelles repose en grande partie le travail de sarclage. Un passage d’herbicide ne demande que quelques heures de travail à une personne équipée d’un pulvérisateur portatif (sous réserve cependant qu’une ressource en eau soit accessible à proximité) quand le sarclage avec des outils manuels exige de longues et harassantes journées de travail.
31Nous avons étudié en détail les temps de travaux consacrés à la culture du maïs de première saison et mesuré cette économie de travail en comparant trois façons distinctes de conduire cette culture : le cas où les producteurs n’utilisent pas d’herbicide, celui où ils ne réalisent qu’un passage d’herbicide juste après le semis du maïs (post-levée), et enfin celui où les producteurs appliquent deux fois l’herbicide, une fois en post-levée, puis une deuxième fois lorsque le maïs est déjà bien développé. Nous montrons ainsi (tableau 1) que l’économie de temps de travail est de 11.5 jours de travail/ha en utilisant l’herbicide en post-levée (une application) et de 23 journées de travail /ha en réalisant deux passages, soit une économie relative de temps de travail de 12.5 % dans le premier cas, de 25% dans le deuxième cas. À noter qu’un sarclage manuel est, dans les trois situations, réalisé entre 15 et 30 jours après le semis, qui permet de butter le maïs, ce qu’un traitement chimique ne pourrait bien sûr pas remplacer. Par ailleurs, il est fréquent que, dans les trois cas de figure présentés, les travaux de préparation de la parcelle (débroussaillage au coupe-coupe et brûlis des résidus) soient eux aussi allégés par l’utilisation d’un herbicide total, ce qui vient encore alléger la charge globale de travail.
Tableau 1 : Itinéraire technique et temps de travail pour le maïs en première saison
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Sans herbicide
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Travaux
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Journées de travail
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Élagage, débroussaillage au coupe-coupe et brûlis des résidus de culture
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21
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|
Semis en poquets réalisé à la houe
|
10
|
|
Sarclage manuel
|
12,5
|
|
Sarclo-buttage
|
12,5
|
|
Démariage
|
4
|
|
Application localisée d'engrais
|
8
|
|
Sarclage manuel
|
12,5
|
|
Récolte
|
10
|
|
TOTAL
|
90,5
|
|
Herbicide post-semi
|
|
|
Travaux
|
JT
|
|
Élagage, débroussaillage au coupe-coupe et brûlis des résidus de culture
|
21
|
|
Semis en poquets réalisé à la houe
|
10
|
|
Herbicide total dans la foulée du semi (J+2 maximum)
|
1
|
|
Sarclo-buttage
|
12,5
|
|
Démariage
|
4
|
|
Application localisée d'engrais
|
8
|
|
Sarclage manuel
|
12,5
|
|
Récolte
|
10
|
|
TOTAL
|
79
|
|
Deux passages d'herbicide
|
|
|
Travaux
|
JT
|
|
Élagage, débroussaillage au coupe-coupe et brûlis des résidus de culture
|
21
|
|
Semis en poquets réalisé à la houe
|
10
|
|
Herbicide total dans la foulée du semi (J+2 maximum)
|
1
|
|
Sarclo-buttage
|
12,5
|
|
Démariage
|
4
|
|
Application localisée d'engrais
|
8
|
|
Herbicide
|
1
|
|
Récolte
|
10
|
|
TOTAL
|
67,5
|
Source : auteurs.
32En ce qui concerne la culture du coton, l’utilisation d’herbicide économise aussi du temps de travail. Comme le coton est semé alors même que le maïs (souvent associé au manioc et au pois d’Angole), n’a pas achevé son cycle, le désherbage chimique, en application localisée entre les rangs du maïs, permet d’éliminer les adventices du maïs précédent. Quelques jours après le semis du coton (entre les rangs du maïs), on traite à nouveau à l’herbicide (total, car le maïs arrive au terme de son cycle). Comme tous les producteurs utilisent les herbicides à ces deux moments clefs, il n’a pas été possible de mesurer, par différence, le gain de temps réalisé, mais on peut l’imaginer significatif. En revanche, pour la suite de la culture, nombreux sont encore les agriculteurs et agricultrices à réaliser le sarclage suivant (environ deux mois après le semis) à la main. Ceux qui au contraire, font un troisième passage d’herbicide à ce moment-là s’épargnent une douzaine de jours de travail par ha (tableau 2).
Tableau 2 : Itinéraire technique et temps de travail sur le coton en 2e saison
|
Deux passages d’herbicide
|
|
|
Travaux
|
JT
|
|
Herbicide passé dans le maïs
|
1
|
|
Semis du coton entre les rangs de maïs
|
11
|
|
Herbicide dans la foulée du semi (J+2 maximum)
|
1
|
|
Couchage des tiges de maïs + sarclage
|
16
|
|
Démariage
|
5
|
|
NPK
|
8
|
|
Sarclage manuel
|
12,5
|
|
Application localisée d'engrais (urée + NPK)
|
8
|
|
Insecticide
|
6
|
|
Récolte
|
20
|
|
TOTAL
|
88,5
|
|
Trois passages d’herbicide
|
|
|
Travaux
|
JT
|
|
Herbicide passé dans le maïs
|
1
|
|
Semi du coton dans les inter rangs de maïs
|
11
|
|
Herbicide dans la foulée du semi (J+2 maximum)
|
1
|
|
Couchage des tiges de maïs + sarclage
|
16
|
|
Démariage
|
5
|
|
NPK
|
8
|
|
Passage d'herbicide
|
1
|
|
Application localisée d'engrais (urée + NPK)
|
8
|
|
Insecticide
|
6
|
|
Récolte
|
20
|
|
TOTAL
|
77
|
Source : auteurs.
33Si les herbicides de synthèse, et au premier rang d’entre eux le glyphosate, ont connu un tel succès dans cette région, et au-delà, dans un très grand nombre de régions relativement bien arrosées d’Afrique sub-saharienne, c’est que la maîtrise de la biomasse avant les semis et la lutte contre les adventices constituent bien souvent un goulot d’étranglement. Il s’agit de travaux longs, fastidieux et particulièrement éprouvants, d’autant qu’ils sont le plus souvent réalisés avec des outils manuels. Le recours aux herbicides est alors vécu comme un soulagement, une véritable libération. C’est d’autant plus vrai pour les jeunes que ce travail de sarclage rebute tout particulièrement. Patrick Dugué a largement souligné ce point à propos des zones cotonnières du Cameroun (Dugué 2022), dans une région où c’est pourtant en traction attelée, et non à la main, que les travaux de sarclage sont réalisés.
- 9 Il s’agit de la chenille légionnaire d’automne (Spodoperta frugiperda), espèce invasive originaire (...)
34En ce qui concerne les insecticides, c’est d’abord l’itinéraire technique recommandé sur le coton de deuxième saison qui, en préconisant 7 passages successifs d’insecticide (Fadéogon, 2021), explique leur utilisation croissante au fur et à mesure de l’extension des surfaces (figure 1). Mais en première saison de culture, le développement rapide de la chenille du maïs9 et ses effets dévastateurs, notamment quand le maïs est conduit en culture pure, contraignent là aussi les producteurs à se tourner vers les insecticides. Il en résulte une véritable fuite en avant dans l’utilisation des insecticides, révélatrice de l’impasse apparente dans laquelle se trouvent placés les agriculteurs.
35L’usage des intrants de synthèse est désormais systématique, parfois massif. Il ne concerne pas seulement le coton, dont la conduite est depuis longtemps « chimisée », mais aussi la quasi-totalité des cultures vivrières au premier rang desquelles le maïs.
36Le recours aux herbicides permet d’alléger significativement le calendrier de travail des agriculteurs pendant les pointes de travail, effet largement positif, mais l’usage extrêmement fréquent des produits à base glyphosate ou sélectif du maïs (atrazine par exemple) oblige les agriculteurs à d’infinies précautions pour ne pas trop endommager les cultures associées, les appareils de traitement ne permettant pas toujours une précision suffisante (surtout s’il y a du vent).
37Pourtant, le maintien et le développement des associations de cultures pourraient être un élément central d’une transition agroécologique, alors que l’utilisation massive d’herbicides va bien sûr à l’encontre de ce développement. Il est d’ailleurs remarquable que les agriculteurs tentent de maintenir ces associations de cultures envers et contre tout, au prix d’une très grande précision d’application - mais aussi d’inévitables dégâts sur les cultures - alors même que l’usage de ces herbicides devrait les en dissuader et les conduire à privilégier la culture pure comme les encouragent à le faire les agents de vulgarisation.
- 10 Ce produit est interdit en France depuis longtemps (depuis 2001 en France, 2003 dans l’Union Europé (...)
38Les conséquences prévisibles sur la santé des populations devraient aussi attirer l’attention des autorités publiques. On sait que l’atrazine est un produit nocif, pouvant entrainer de graves effets sur la santé après inhalation ou contact sans protection, a fortiori après ingestion10. Quant aux effets du glyphosate, ils alimentent encore le débat public…
- 11 Un organo-chloré neurotoxique interdit en France depuis 2018.
39Dans la région étudiée ici, on réalise 4 à 6 passages d’insecticides sur le coton, les substances actives utilisées étant surtout l’acétamipride11 et le lambda-cyhalothrine (un pyréthrinoïde). Lorsque la tomate est associée au coton, elle « subit » des mêmes traitements que le coton qui l’accompagne. Outre l’impact, en matière de santé humaine, d’une éventuelle ingestion des résidus de traitement sur les fruits consommables (tomates par exemple), et celui lié à la pollution probable des cours d’eau, ce sont surtout les conditions d’utilisation de ces produits qui sont porteurs de dangers graves et immédiats. Aucune précaution, ou presque, n’est réellement prise pour éviter contact et inhalation du produit. Les emballages sont trop souvent réutilisés à d’autres fins, notamment alimentaires, après avoir été lavés au point d’eau le plus proche.
40Face à ce danger, le discours des autorités se limite à promouvoir l’utilisation d’équipements de protection individuelle (EPI : bottes et gants en caoutchouc, combinaison et tablier de protection, masque et visières) et à sensibiliser les gens à l’élimination des emballages. Outre le fait que ces équipements sont financièrement inaccessibles aux producteurs, en imaginant qu’ils soient seulement disponibles, leur utilisation réelle dans les conditions climatiques (de température) du pays semble relever de l’illusion tant que ne seront pas accessibles, à des coûts modiques, des équipements adaptés aux régions chaudes et humides. Pareille situation a d’ailleurs été décrite en détail dans d’autres régions cotonnières du pays (Adechian, et al., 2015, p. 11). Ces auteurs soulignaient que « les utilisateurs des pesticides ne s’expriment pas aisément sur la relation entre leurs problèmes de santé et l’usage des pesticides » (Adechian et al., 2015, p. 11). Dans la commune de Djidja, voisine de celle d’Aplahoué, le même constat a été fait plus récemment (Aikpo et al., 2018), tout comme dans la basse vallée de l’Ouémé (Gbénou, 2023).
- 12 À la suite de la convention de Rotterdam (adoptée en 1998, entrée en vigueur en 2004), une catégori (...)
41Certes, l’importation des pesticides les plus dangereux semble avoir fortement diminué ces dernières années (figure 6)12, mais certains d’entre eux sont encore largement utilisés, sans doute importés dans le pays par des voix différentes et vendus moins chers aux agriculteurs. C’était par exemple encore le cas de l’atrazine et de l’endosulfan (classé à l’annexe III de la Convention de Rotterdam) en 2015, comme l’ont observé Adechian et al. (2015). Ces produits étaient pourtant frappés de mesures de retrait sur le marché des neufs pays membres du Comité inter-États de lutte contre la sècheresse au Sahel CILSS par le Comité sahélien des Pesticides (CSP) (Soulé Akinhola Adechian et al., 2015).
42Si la production cotonnière s’est accrue de façon spectaculaire ces dernières années, plaçant le Bénin au premier rang des producteurs africains de coton, les zones cotonnières du pays feraient face aujourd’hui à une dégradation des sols (érosion et baisse tendancielle du taux de matière organique), engendrant une baisse de fertilité des sols et une stagnation des rendements (Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, 2019). C’est dans ce contexte qu’un important projet de promotion de la transition agro-écologique dans les zones cotonnières du Bénin (TAZCO) a vu le jour13. Son objectif affiché est « l’amélioration durable des revenus des exploitations et des rendements agricoles dans les zones cotonnières du Bénin, par la restauration et l’amélioration de la fertilité des sols, grâce à l’adoption de pratiques agro-écologiques et une mécanisation adaptée » (Ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et de la Pêche, 2019).
- 14 Elaboré dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification UNC (...)
43Après une phase pilote de recherche-action centrée sur l’élaboration de référentiels techniques agro-écologiques (TAZCO-1, 2017-2019), une seconde phase (TAZCO-2) prévoit une mise à l’échelle qui permettra d’assurer une large promotion des techniques agro-écologiques dans 22 communes des zones cotonnières du Bénin (INRAB/CIRAD, 2020). Cette mise à l’échelle prévoyait d’abord une sélection de « techniques agro-écologique » (TAE) jugées adaptées dans le catalogue du World Overview of Conservation Approaches and Technologies14 suivie d’expérimentations en station puis en milieu paysan. Elle prévoyait ensuite, à l’échelle de l’exploitation, l’identification des pré-requis d’adoption (besoins en main-d'œuvre, appui-conseil, matériel végétal ou intrants, équipement, accès sécurisé au foncier,) et enfin l’identification, à l’échelle des terroirs villageois, d’éventuels obstacles qui ne l’auraient pas été à l’échelle de l’exploitation et dont la levée dépasse la simple décision de l’exploitant agricole (INRAB/CIRAD, 2020).
44On voit que l’échelle de l’exploitation agricole et celle du territoire villageois ne sont pas mobilisées dans une perspective de diagnostic, mais plutôt utilisées, dans un deuxième temps, pour la diffusion (descendante) des techniques identifiées ex-ante et expérimentées en station. Ici, le diagnostic ne repose que sur une approche technique à l’échelle de la parcelle. Et les sciences sociales ne sont mobilisées qu’une fois le diagnostic posé, pour identifier, à l’échelle cette fois-ci de l’exploitation agricole et du comportement du producteur, les « obstacles à l’innovation » et les moyens de les contourner. Il en est de même de l’échelle du territoire villageois (ou de la communauté villageoise) nullement mobilisée pour établir le diagnostic. Les savoirs locaux, pourtant riches en matière agro-écologique, n’étant pas même évoqués, rien ne peut être envisagé pour tenter de résoudre les difficultés de tout ordre rencontrées par les producteurs qui tentent de s’adapter en préservant les acquis de la culture associée.
45Il n’est dès lors pas étonnant de constater que les techniques préconisées ont peu de chance d’être adoptées au-delà des « agriculteurs volontaires, enthousiastes et novateurs ». La majorité des innovations retenues dans le cadre de TAZCO I sont d’ailleurs connues depuis longtemps dans les zones cotonnières du Bénin (Dugué, 2018). Pourtant, « ces innovations n’ont pas été acceptées par les producteurs dans le passé à cause de contraintes diverses plus ou moins repérées ou du fait de leurs faibles avantages comparatifs (par rapport aux pratiques actuelles). Il n’y a pas de raisons que cela change dans les années à venir » (Dugué, 2018, p. 17).
- 15 Alors même que de nombreux acteurs de la recherche se penchent depuis plusieurs années sur la quest (...)
46Par ailleurs, dans le rapport final de la phase 1 du projet TAZCO (INRAB-CIRAD, 2020), rien n’est écrit à propos de l’itinéraire technique du coton, alors même que le projet TAZCO a précisément pour cible les régions cotonnières du Bénin. Il est simplement mentionné, à propos du coton que : « Les doses recommandées par l’AIC sont celles utilisées » allusion aux doses recommandées par l’Association Interprofessionnelle du Coton au Bénin : considéré comme « un acquis » de la recherche cotonnière (partie Référentiel agronomique, p. 2), l’itinéraire technique du cotonnier et son cortège de traitements phytosanitaires, n’est en aucun cas questionné. L’agroécologie est ici considérée comme un ensemble de techniques d’accompagnement de la culture du coton, la séquence technique mise en œuvre sur le coton n’étant pas questionnée15.
- 16 Entretien à Bohicon le 14 juin 2021.
- 17 Entretien à Bohicon le 15 juin 2021 avec un haut responsable de la Fédération nationale des Coopéra (...)
47Cette étonnante omission est justifiée par les acteurs de la filière coton de la façon suivante : à la question posée par un responsable de la Plateforme nationale des Organisations paysannes et de Producteurs agricoles du Bénin (PNOPPA-Bénin) : « Vous ne pensez pas que quand vous allez commencer à pratiquer l’agroécologie vous allez diminuer l’utilisation des intrants ? » un haut responsable de la Fédération nationale des Coopératives villageoises de Producteurs de Coton (FN-CVPC) répondait « […] nous sommes dans une situation où nous avons des objectifs […] être les premiers. »16 ; en d’autres termes, atteindre l’objectif de production de 1 million de tonnes et se hisser durablement à la première place parmi les producteurs d’Afrique de l’Ouest, objectif fixé par la Présidence de la République. Quant à faire évoluer l’itinéraire technique du cotonnier dans le sens d’une réduction des intrants de synthèse, il n’en est pas vraiment question : « Il faut dire de façon honnête qu’en notre sein il n’y a pas de réflexion dans ce sens, il n’y a jamais eu de séance formelle pour réfléchir sur ces questions »17.
- 18 Autant d’observation déjà formulées par Houssou-Goe, (2008) à propos du Département du Couffo.
- 19 Pratiques que nous avons observées sur la savane de Lonkly mais également en vigueur sur le plateau (...)
48Dans la région du sud-Bénin qui a fait l’objet de cette recherche, et dans un contexte de forte diminution de la surface disponible par famille, le passage à deux saisons de culture ainsi que la généralisation et complexification des associations/successions de culture ont été autant de pratiques d’intensification exclusivement basées sur les processus biologiques et l’intensification en travail, des pratiques relevant de l’agroécologie. Le fait de pouvoir réaliser deux cycles de culture par an sur la même parcelle (la pluviométrie l’autorise) ainsi que la complexité des associations/successions de culture permettent tout à la fois de réduire les risques de mauvaises années, de diversifier les productions et de limiter l’impact des maladies et ravageurs18. L’alternance avec des légumineuses fixatrices d’azote (niebé, pois d’angole), la plantation de manioc et de pois d’angole dans le maïs de première saison et le coton qui lui fait suite, l’utilisation parfois très soigneuse de l’engrais par apport localisé et enfouissement19 relèvent toutes de l’agro-écologie.
49Reste que l’évolution de cette agriculture ces toutes dernières années révèle ses fragilités et les menaces que font peser ces évolutions sur l’avenir de la région. Ce n’est pas tant l’utilisation des engrais minéraux qui pose problème en tant que tel (s’en passer serait fort difficile à court terme) mais plutôt le recours systématique et croissant aux herbicides et insecticides, tant sur le coton de deuxième cycle que sur les associations à base de maïs en première saison.
50Le manque de moyen (traction attelée, notamment, mais aussi petite mécanisation) a conduit les agriculteurs et agricultrices à mettre leur salut dans l’emploi des herbicides pour soulager le quotidien, au risque de sacrifier les cultures associées, alors même que c’est dans les champs de maïs en culture pure que la chenille légionnaire d’automne fait le plus de dégât, obligeant les producteurs à se tourner vers les insecticides proposés par les organismes de vulgarisation…
51Les enquêtes détaillées que nous avons réalisées montrent pourtant que les agricultrices et agriculteurs de cette région du Sud-Bénin ont adopté ces nouveaux moyens de production, notamment l’herbicide total, en tentant, envers et contre tout, d’adapter leur usage au maintien de la culture associée.
52On s’attendrait à ce qu’un projet de promotion de la transition agro-écologique en zone cotonnières prenne à bras le corps ce sujet difficile. Force est de constater qu’il n’en est rien. Les pratiques paysannes qui ont fondé l’intensification en travail des systèmes de culture et le patrimoine de connaissances empiriques des agriculteurs ne sont jamais évoqués par les rédacteurs du référentiel technique TAZCO, tandis que la chimisation à marche forcée de cette agriculture et ses conséquences, notamment sur la santé des populations, sont occultées.