- 1 Les termes d’oléiculture et d’oléotourisme, s’ils ne sont pas restrictifs à l’olive, seront néanmoi (...)
1Symbole méditerranéen par excellence, l’olivier fait l’objet, depuis les années 1990 en France d’un regain d’intérêt en matière de valorisation patrimoniale. La culture de l’olivier, après avoir subi un véritable coup d’arrêt avec le gel de 1956, a en effet progressivement reconquis sa place dans plusieurs départements du Sud. De manière concomitante à cette valorisation de l’oléiculture1, notamment par des associations d’amateurs éclairés (Triquet et Grison, 2023), des stratégies de développement autour de l’oliveraie ont émergé, « en lien avec les diverses qualités dont elle est porteuse et les représentations qu’elle engendre » (Durbiano, 2000). L’olivier est intrinsèquement lié à la Méditerranée, il en définit les contours, il en nourrit les repas et les identités. Partie prenante de la diète méditerranéenne, l’olive a été inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’Unesco en 2013, liée à des savoir-faire, des connaissances, des rituels, des traditions et des symboliques. A notre sens, il constitue un patrimoine au sens plein du terme (Deramond, 2023 a et b), qui répond au processus de patrimonialisation sur différents territoires où l’olivier avait disparu ou fortement régressé après le gel de 1956. Pour l’étudier nous proposons une mise en perspective avec le modèle développé par Jean Davallon pour le patrimoine matériel. Cet auteur a identifié cinq gestes correspondant à cinq étapes pour qu’un objet acquière le statut de patrimoine (2014) : sa découverte comme « trouvaille », la certification de son origine, la confirmation de l’existence du monde d’origine, la représentation du monde d’origine par l’objet, enfin la célébration de la « trouvaille ». C’est à cette ultime étape que nous allons plus particulièrement nous intéresser. Elle est rendue possible par la mise à disposition de l’objet patrimonialisé à une communauté – celle pour qui l’objet est censé faire patrimoine. C’est durant cette dernière que s’actualise le patrimoine ; et surtout c’est sur elle que repose sa pérennisation (Béguin, 2021). Plus spécifiquement, et avec Laurent-Sébastien Fournier, nous partons du principe que « l’olive est patrimoniale, parce qu’elle représente l’identité locale, elle se reflète dans un ensemble de discours qui ont construit cette identité, elle est un indice de choix pour aller à sa découverte, et elle est bonne à consommer par les touristes » (Fournier, 2010, p. 107).
2Cet article s’inscrit plus largement dans une réflexion initiée au sein du projet européen Olive4ALL2, financé par le Joint Program Initiative on Cultural Heritage3, qui questionne à partir du cas de l’olive, la valorisation du patrimoine à des fins de développement durable. Olive4ALL est un projet de recherche-action à visée opérationnelle, qui repose sur la mise en valeur du patrimoine de l’olivier, en insistant sur les liens entretenus par l’homme au fil des années, en Méditerranée, comme fondement d’un tourisme soutenable. Il aboutit à des préconisations réalisées auprès de professionnels de la filière oléicole, culturelle et touristique.
3Cet article s’inscrit donc dans un cadre plus large, qui vise à l’observation de l’inscription de l’olivier et de l’olivier dans des territoires différenciés (principalement Portugal, Grèce, France, mais aussi dans le reste de l’Europe). Comment la valorisation patrimoniale est-elle menée à des fins de développement touristique et/ou de territoire ? Cette première étude de cas, menée dans un contexte français, permet d’observer cette valorisation patrimoniale dans un contexte éminemment touristique, celui d’une ville de Provence, qui mobilise largement l’olivier et l’olive à des fins de communication.
4Nous nous intéressons ainsi à la place de l’olivier et à ses formes de valorisation, dans une ville emblématique d’un territoire oléicole renommé, les Alpilles : Saint-Rémy de Provence. Connue pour avoir accueilli Vincent Van Gogh durant ses dernières années de vie, elle est la « capitale » des Alpilles, cette petite région au nord du département des Bouches-du-Rhône réputée pour sa production d’huile d’olive. Nous étudions donc la place de ce patrimoine dans la communication de cette ville, pour faire ressortir la manière dont l’olivier marque un territoire et participe de la construction d’une identité touristique à l’échelle locale. Nous partons du principe, avec Christian Marcon et Marina Belavoir (2018), que cette identité « procède de l’interaction des actions et communications mises en œuvre par un grand nombre d’acteurs, allant du simple citoyen aux entreprises et aux acteurs publics » (Marcon, Belavoir, 2018, p. 271). Dès lors, nous souhaitons observer les signes de « provençalité » associés à l’olivier et leur rôle dans un discours iconique produisant l’image d’un territoire « plus ou moins fantasmé », pour paraphraser les travaux de Patrick Fraysse (2012) sur les « signes de médiévalité » dans la communication touristique. Nous formulons à ce propos l’hypothèse que l’olive, l’huile d’olive et l’olivier, ont avant tout une valeur emblématique en tant que symboles de la Provence utilisés principalement à des fins commerciales et touristiques et comme témoins d’une identité culturelle revendiquée.
5Comme nous le savons, tout territoire est lié à une identité définie comme la conjugaison d’images, d’imageries et d’un imaginaire (Amirou et al. 2011). Pour Philippe Merigot et ses collègues (2019), l’imagerie regroupe les éléments sensibles du territoire (son patrimoine, son climat, son relief, son architecture, etc.), l’imaginaire correspond au pouvoir d’évocation du territoire (la mémoire qui y est attachée, les associations d’idées qu’il suscite) et l’image désigne ce que le territoire souhaite renvoyer de lui-même pour renforcer son attractivité. Nous nous proposons d’examiner comment ces différents éléments sont mobilisés à l’endroit de l’olivier dans la situation étudiée. De là il s’agira de repérer dans quelle mesure ils contribuent à prendre en charge la phase de célébration mise en avant par Jean Davallon ; ou à l’inverse à détourner voire à occulter cette phase ultime considérée par cet auteur comme essentielle.
6Nous avançons l’hypothèse que différents acteurs de Saint Rémy de Provence utilisent l’imagerie associée à l’olivier pour activer un imaginaire pourvoyeur d’images chargées de messages positifs pour le territoire. Tout discours touristique s’inscrivant dans une logique de promotion (Boutaud, 2019), l’image doit se rapprocher de la représentation idéalisée du lieu de destination et se faire accrocheuse, vendeuse, quitte à s’inscrire dans des stéréotypes. C’est l’ensemble de ce discours iconique fondé sur l’utilisation d’images liées au patrimoine oléicole que nous nous proposons d’étudier.
- 4 Master Culture et communication de l’Université d’Avignon, parcours Médiations Musées Patrimoine (...)
- 5 Relevé effectué par Julie Deramond, Pauline Grison et Éric Triquet le 30 août 2023, pendant un jour (...)
7Pour examiner cette hypothèse, nous avons mis en œuvre un travail de terrain fondé sur une approche sémio-pragmatique telle que théorisée par Roger Odin (2011). Les matériaux recueillis et analysés pour cette étude sont en effet constitués d’une part d’entretiens réalisés avec des professionnels du tourisme au sujet de leurs représentations de la place de l’olivier dans le développement territorial et touristique4 et d’autre part d’un relevé de la présence paysagère, urbaine, médiatique, marchande, toponymique, institutionnelle et culturelle de l’olivier et ses produits dérivés5. Ce relevé nous a permis d’inférer les messages iconiques sous-jacents, mais également d’étudier en creux les images absentes. Nous nous intéressons ici à l’ensemble des acteurs, qui par leurs activités, leurs publics ou leurs usages, convoquent l’olivier dans leur communication. Cela concerne en premier lieu les professionnels de la filière oléicole, que ce soient les propriétaires d’oliveraies, les mouliniers ou les autres entreprises de production agro-alimentaire et artisanale dont l’huile d’olive est la matière principale. Ces professionnels sont eux-mêmes en relation avec les acteurs du développement touristique, à savoir les agents de l’office de tourisme intercommunal, les organisateurs d’excursions, les personnels de musée et les commerçants, qui commercialisent les produits ou relaient l’offre commerciale et culturelle de la filière oléicole auprès des publics touristiques. Enfin, nous examinons également une sphère plus éloignée d’acteurs, qui ne sont pas directement en lien avec la filière oléicole ou sa promotion, mais qui ont une communication tournée vers les touristes et sont à ce titre susceptibles d’utiliser l’olivier et ses représentations : agences immobilières, restaurants, commerces de proximité, activités de loisirs, etc.
8Pour rendre compte de l’analyse de ces formes et présences de l’olivier dans la construction de l’identité touristique du territoire et inférer les messages iconiques sous-jacents, nous commencerons par présenter l’olivier en tant que culture emblématique des Alpilles, avant de nous intéresser à l’inscription spatiale diffuse de l’olivier et à la manière dont celle-ci induit finalement un détournement du produit d’origine, déconnecté de sa réalité culturelle et économique.
9Avec 9692 habitants en 2020, Saint-Rémy de Provence est la ville la plus importante des Alpilles. Son développement au XIXème siècle est fortement lié à l’essor de l’activité agricole, mais aussi à son attractivité auprès d’artistes et intellectuels qui en font un lieu de villégiature privilégié. Vincent Van Gogh y a ainsi séjourné pendant un an en 1889-1890, peignant de nombreux tableaux d’oliviers.
10Elle s’inscrit donc au cœur d’un petit territoire provençal, entre Luberon et Camargue, qui englobe aujourd’hui quinze communes situées de part et d’autre du massif des Alpilles, regroupées depuis 2007 au sein du Parc Naturel Régional du même nom. La culture de l’olivier y est ancienne, avec la présence d’une production d’huile attestée dès le IIème siècle avant J.-C. à Glanum, dans des installations laissant supposer des quantités importantes d’olives à traiter (Brun, 1985). Comme partout en Provence, l’oléiculture se développe véritablement à partir du XVIIème siècle, jusqu’à atteindre son apogée au XIXème siècle avant de connaître un déclin considérable tout au long du XXème siècle. Mais, comme le note Claudine Durbiano (2000), « les oliviers subsistent encore souvent sous la forme d’un paysage-relique (oliviers non entretenus) ou d’un paysage-fossile (oliviers abandonnés), (...) tandis que les paysages oléicoles fonctionnels sont restreints ». Comme le soulignent Stéphane Angles, Étienne Grésillon et Paul Minvielle (2017), « il n’est donc pas étonnant que les paysages de l’olivier aient une place éminente dans la première directive de préservation et de mise en valeur des paysages portée par le Parc naturel régional des Alpilles en 2007. »
11L’olivier n’ayant pas disparu des paysages, et les Alpilles ayant été moins touchées par le déclin que d’autres bassins de production du sud de la France, l’activité reprend avec force au tournant du XXIème siècle. En 1997, les Alpilles représentent le premier bassin de production français, avec 20 % de l’huile et 15 % des olives de table, et obtiennent deux AOP pour la vallée des Baux-de-Provence, l’une pour les olives cassées et l’autre pour l’huile d’olive, avec un assemblage de variétés locales, Salonenque, Béruguette ou Aglandau, Verdale et Grossane (Durbiano, 2000).
- 6 Cette activité agricole est en effet concentrée sur le quart Sud-Est du territoire français, depuis (...)
12Aujourd’hui, en termes de surfaces cultivées, les principales cultures des Alpilles sont l’arboriculture et l’oléiculture (30 % de la Surface Agricole Utile), les espaces dédiés à l’élevage et à la culture du foin de Crau (24 % de la SAU) et les grandes cultures. L’oléiculture y est l’activité agricole principale, au cœur du département des Bouches-du-Rhône qui est lui-même le premier département français producteur. A lui seul, avec ses 10 000 hectares cultivés en oliviers (dont 7 000 par des amateurs), il représente un tiers de la production française d’huile d’olive, répartie principalement sur le Pays d’Aix-en-Provence et le territoire des Alpilles (FranceAgriMer, 2022)6. Les piliers économiques des Alpilles sont plus largement le tourisme (qui représente à lui seul 10 % des emplois), le BTP et l’agriculture, qui occupent 40 % du territoire (Insee Analyses, 2019).
- 7 « La clientèle touristique du Parc naturel régional des Alpilles », Enquête auprès des clientèles t (...)
13Compte-tenu de l’importance économique de l’olivier et du tourisme pour les Alpilles, nous pouvons nous interroger sur le développement de l’oléotourisme sur le territoire, et en particulier sur la commune de Saint-Rémy de Provence. Celle-ci est aujourd’hui principalement tournée vers le tourisme, et en particulier vers le tourisme de luxe. C’est un lieu de villégiature prisé d’une clientèle aisée, et qui comporte d’ailleurs en 2020 près de 22 % de résidences secondaires (INSEE, 2022). Comme dans les Alpilles dans leur ensemble, on observe une sur-représentation de la clientèle touristique étrangère par rapport au reste du département (17 % dans les Alpilles, contre 13 % dans l’ensemble du département)7.
- 8 « Le secteur viticole a bien compris cet atout et de nombreux domaines ont décidé de conserver leur (...)
14Saint-Rémy de Provence s’est moins fait une spécialité de l’olive que d’autres communes de la région, comme Mouriès, avec sa célèbre fête en septembre et son trail, ou Maussane, qui possède une coopérative célèbre (Cornille). Pour autant, elle dispose du seul lycée agricole des environs spécialisé dans ce type de production. Plusieurs domaines oléicoles d’importance sont également implantés sur son territoire, certains y associant la vigne : le domaine du mas des Figues (Philippe Michelot), le domaine de Métifiot, le château Romanin et ses quatre hectares de variétés locales, le domaine de Mourre de Viret. L’huile d’olive y apparaît comme un produit secondaire, mais fait office de “caution haut de gamme”, selon une logique qui apparaît de manière récurrente en Provence8. Il y a en revanche un seul moulin en activité sur la commune, le Moulin du Calanquet, et une savonnerie, la Savonnerie Glanum.
Figure 1 : Moulin du Calanquet, Saint-Rémy de Provence, août 2023
Photo : Julie Deramond
15Nous avons essayé de repérer le plus systématiquement possible les présences multiples de l’olivier, réelles ou véhiculées par l’image, à l’échelle de la commune. Comme le rappelle Stéphane Angles (2012), et nous le verrons bien ici, « en évoquant l’olivier, on se situe clairement dans le champ idéel autant que dans une réalité objective. » Nous avons ainsi opéré un relevé de la présence paysagère, urbaine, médiatique, marchande, toponymique, culturelle, en tentant toujours d’inférer des messages iconiques à ces différentes formes de présence, l’olivier étant « porteur de nombreuses valeurs » (Angles, 2012).
Figure 2 : Olivette à Saint-Rémy de Provence, hiver 2021.
Photo : Julie Deramond
- 9 Entretien avec Ingrid Caceres, mené par Louise Wenzler, Melssa Selam et Madeleine Damongeot,, le 14 (...)
16Dès l’abord de la ville, l’olivier semble partout. Les champs d’oliviers laissent place aux olivettes et aux oliviers épars dans les jardins. A l’abord des maisons et des piscines ou en bordure d’allée en guise d’invite à l’entrée, il est utilisé comme symbole d’élégance, de luxe, voire même de farniente. L’olivier décoratif, c’est déjà « une réelle plus-value à un terrain ou une maison9. » « Les nuances de la mi-ombre qu’il produit, les reflets argentés de son feuillage apparaissent comme autant d’éléments esthétiques le mettant au centre de la mise en scène paysagère post-moderne qui fédère autant le résident (primaire, néo, secondaire…) que le visiteur » (Bachimon, 2023, p. 67).
- 10 Selon la dernière fiche filière de France Agrimer, parue en novembre 2023, sur 25 000 apporteurs ré (...)
17Cette fonction paysagère n’est pas seulement esthétique et pécuniaire. Elle est également indispensable à la filière oléicole, pour laquelle une large proportion de la production est assurée par des amateurs qui possèdent quelques oliviers dans leur jardin10 et « unissent une vision décorative à l’orientation productive » (Angles, 2017). Ces amateurs « regroupent une population extrêmement variée allant des simples possesseurs de quelques arbres, soucieux de récolter leurs olives pour en tirer leur propre huile, jusqu’aux propriétaires de vastes oliveraies qui considèrent cette activité comme un loisir, un héritage familial ou une source d’embellissement de leurs biens immobiliers » (Angles, Grésillon, Minvielle, 2017). Parmi eux, nombre de néo-résidents ou de propriétaires de résidences secondaires, « s’enracinent localement en le cultivant », prenant ainsi l’olivier comme « emblème de la ruralité provençale » (Perrin, 2005).
Figure 3 : Olivier sur un balcon, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
18« Devenu patrimonial, l’olivier a quitté les coteaux pour les routes et la ville » (Lieutaghi, 2023, p. 11) et nous le retrouvons sur les places, dans les rues et sur les balcons. Excepté dans les olivettes ou pour border les allées, le plus courant est de trouver l’olivier isolé, pour attirer les regards. Le symbole en est bien évidemment l’olivier sur le rond-point, dans un contexte où « les “ronds-points” participent de l’urbanité contemporaine, au point d’être spontanément perçus comme un de ses composants essentiels » (Alonzo, 2005). Comme le rappellent Stéphane Angles, Etienne Grésillon et Paul Minvielle (2017), « ces oliviers ne correspondent donc pas aux variétés locales et sont plus ou moins entretenus, non pas pour produire, mais pour obtenir une allure jugée vénérable et traditionnelle. » Régulièrement, ils sont associés au cyprès et/ou à la lavande. Comme le rappelle Jean-Yves Durand (2006, p. 171-172), « on sait que la répétition des éléments de cette série, isolés ou combinés, en a depuis longtemps fait des poncifs ornementaux. » Plus encore que dans les jardins, c’est l’arbre décoratif, qui a fini par “s’imposer comme l’une des images de marque du « Midi » (Durand, 2006, p. 172).
Figure 4 : Oliviers sur un rond-point, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
19L’olivier a donc été adopté par la cité : il est un arbre de l’urbanité, tout en étant déjà le marqueur identitaire d’un territoire. L’image de l’olivier investit ainsi des lieux que l’on n’aurait pas soupçonnés. Le rameau devient motif décoratif sur des poubelles, des photographies d’oliveraies s’affichent sur des conteneurs à verre imposants… Il vient ainsi réenchanter, sublimer les lieux de la trivialité.
Figure 5 : Paysage aux oliviers sur les conteneurs, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
20Un peu plus loin au centre-ville, le rameau d’olivier s’inscrit également sur des numéros de rue et de nombreux panneaux signalétiques qui renvoient vers les domaines et moulins. Sur une plaque commémorative, un rameau renvoie à l’une des symboliques bien connues : l’olivier comme lieu de paix et d’immortalité, convoqué après les affres de la seconde guerre mondiale. L’olivier est un marqueur du territoire autant qu’il fait le pont entre le passé et le présent, s’inscrivant dans le hors-temps de la mémoire.
21Sur le terrain, nous repérons d’autres usages, plus prosaïques, dans les commerces, qui témoignent de cette présence diffuse mais bien réelle : dans bien des commerces de la cité, qu’il y ait un lien direct ou non avec le produit. La répétition participe de la réassurance (Boutaud, 2019), avec une mise en correspondance d’un imaginaire touristique et de ses symboles les plus immédiats.
22Bien sûr, les commerces liés à l’olive sont nombreux dans la capitale des Alpilles, destinés tant aux habitants, aux propriétaires de résidence secondaires qu’aux touristes. Plusieurs magasins de producteurs et épiceries fines (la boutique du Moulin du Calanquet, les Délices du Luberon, la maison Brémond ou Entre Sel et Terre) déclinent le produit sous différentes formes : saumure, tapenades, bouteilles d’huile, plantes en pot… Cela est d’autant moins anodin que, suivant le principe d’incorporation, « je suis ce que je mange » (Fischler, 1996, p. 1) : « en mangeant un produit alimentaire emblématique d’une région, nous incorporons symboliquement l’image que représente ce produit » (Salvador, El Euch, 2020).
Figure 6 : Petits oliviers décoratifs sur l’enseigne de la Savonnerie, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
23La ville rassemble aussi plusieurs magasins spécialisés dans la vente de savons de Marseille fabriqués dans la région et caractérisés traditionnellement par une proportion de 72 % d’huile dans leur fabrication, tels Les Sens Ciel ou la Savonnerie de Provence. « Ce retour “aux goûts des terroirs” constitue aujourd’hui un levier de développement local et contribue à la redynamisation des territoires ruraux, tant du point de vue économique (valorisation des ressources agro-alimentaires et artisanales, mobilisation de projets) que du point de vue socioculturel (processus de réappropriation collective, construction de liens sociaux et identitaires…) » (Bessière, Poulain, Tibère, 2013, p. 76).
Figure 7 : Olivier devant une épicerie fine, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond.
- 11 “Le souvenir constitue un élément incontournable du parcours du touriste (Urbain, 1991 ; Amirou, 19 (...)
24A destination des touristes plus spécifiquement, évoquons les nombreux objets vendus dans les tabacs-presse qui multiplient les offres de cartes postales, sets de table et autres magnets, agrémentés d’ouvrages régionalistes dédiés à la culture de l’olivier ou la cuisine provençale. Plus largement les magasins de souvenirs élargissent largement l’offre, proposant des souvenirs « provençaux » qui dépassent le territoire des Alpilles et montent jusqu’à Nyons : en témoignent les scourtins (de la Scourtinerie, à Nyons) qui jouxtent les nappes, et accompagnent cruches, cendriers, pichets et cabas décorés d’olives et/ou de rameaux d’oliviers et reconnaissables à leur couleur jaune d’or ou vert olive, qui peuvent être associés à la fameuse cigale en céramique étudiée par Jean-Louis Fabiani (2006) et fabriqués jusqu’en Chine. La place de ces multiples objets en vente n’est pas anodine. Certes, ils inscrivent l’olivier au cœur d’une offre touristique hic et nunc - valorisant toujours ce Midi rêvé et imaginaire qui comble le touriste (stéréotypé) en mal de stéréotypes (amoureux de lavande !) mais il s’inscrit dans la durée. Ces multiples produits prolongent le voyage, inscrivent l’ailleurs dans le chez soi11. L’olivier a ainsi déjà don d’ubiquité. Il embaume la maisonnée, nourrit la peau, ensoleille l’intérieur et égaye les plats.
25Ces objets sont représentatifs du souvenir provençal destiné à être ramené à la famille ou aux amis. « Lorsqu’il est trouvé sur le marché ou dans une boutique, le souvenir touristique est un produit au cœur d’une transaction économique entre le détaillant et l’acheteur. En devenant un cadeau, il quitte la sphère commerciale pour prendre la forme d’un enjeu social, support d’échange entre deux individus. Il perd alors sa valeur monétaire au profit de celles engendrées par le rituel du don » (Fourcade, 2005). Dès lors, ces objets constituent déjà ces « objets du petit patrimoine, passeurs de vie, [qui] tissent entre les hommes un réseau affectif, chaleureux, émouvant » (Bonnet-Carbonnel, 2008, p. 12).
26Mais l’olive et l’olivier s’affichent également dans des commerces et entreprises qui le prennent pour emblème, tant pour les valeurs qu’il véhicule que pour ses qualités intrinsèques. Boutiques de design et d’ameublement comme agences immobilières usent du même olivier stéréotypique d’un Midi rêvé et fantasmé : c’est le farniente en bord de piscine, le soleil couchant sur les olivettes ; images sublimées dans les boutiques de décoration comme en photographie, pour vendre des maisons provençales. Moins attendus, officines et parapharmacies, spas et espaces dédiés au bien-être jouent plutôt de l’image de l’arbre de vie, aux multiples valeurs de jouvence et d’éternité. C’est le cas par exemple pour la pharmacie Lafayette.
Figure 8 : Logo de la pharmacie Lafayette, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
27De son côté, la maison Bois et Tradition, spécialisée en menuiserie et ébénisterie en bois d’olivier (décoration, arts de la table, jeux) utilise le motif de l’olivier dont elle se sert au premier comme au second degré. L’arbre représente en effet force, tradition et durabilité.
Figure 9 : Enseigne de Bois et Traditions, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
28Moins directement l’olivier s’affiche encore jusque sur les devantures ou les flyers des boutiques de mode, de vente de chaussures et de coiffeurs en une mise en scène de qualité, de robustesse, voire même de durabilité.
- 12 Parmi les pépiniéristes spécialisés dans la vente d’oliviers centenaires, on évoquera Provence, pay (...)
29On ne s’étonnera pas non plus que l’olivier s’affiche dans les lieux dédiés à l’hôtellerie et la restauration. Là encore, se mêlent les clientèles locales et touristiques. Gîtes et hôtels jouent la carte de l’olivier, pour inviter au dépaysement et à l’expérience méditerranéenne. Plusieurs hébergements s’inscrivent encore sous sa coupe avec un Mazet Les Oliviers, un gîte L’Olivier, un gîte Les Oliviers, une maison Le Clos des Oliviers et une propriété de luxe, la Bastide de l’olivier… alors que le figuier ou le lavandin n’inspirent qu’un seul hébergement chacun. L’olivier, encore plus quand il est centenaire (importé directement d’Espagne ou du Maghreb12) est toujours l’atout décoratif qui valorise le mas, apportant du cachet à la maison neuve : « l’olivier perd sa fonction productive au profit d’une externalité décorative qui participe d’une ambiance méditerranéenne valorisant fortement le paysage » (Angles, 2023, p. 59).
Figure 10 : Entrée du Mas des Carassins, 2021.
Photo : Julie Deramond
- 13 Entretien avec Ingrid Caceres Entretien avec Marion Coq, domiciliée à Cavaillon, mené par Camille M (...)
30Côté restauration, c’est l’olive et l’huile qui s’affirment en cuisine : à la carte et sur le menu, le rameau figure en belle place pour ancrer les plats dans une cuisine méditerranéenne, inventive et fraîche. Sur les tables, l’huile d’olive locale est un incontournable comme l’explique Ingrid Caceres, directrice de l’Office du Tourisme Intercommunal : dans les restaurants « en centre-ville de Saint-Rémy ou dans les Alpilles en général, vous en avez huit sur dix qui ont la petite fiole, soit du moulin du Calanquet, soit du Moulin coopératif de Mouriès soit du moulin des Baux. Tout le monde ici utilise l’huile d’olive d’ici13 ». La consommation d’huile d’olive est en effet largement identitaire, comme l’ont bien montré les enquêtes réalisées dans le cadre d’Olive4ALL.
Figure 11 : Olivier en bord de terrasse, Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Julie Deramond
- 14 La Tunisie a une place à part dans ce palmarès en raison de ses fortes variations dans la productio (...)
- 15 En août 2021, avril et mai 2022.
- 16 Source : Marinella Katsilieri, Les Routes de l’Olivier, 2024.
- 17 La surface totale d’oliviers cultivée en France par des professionnels étant de 13 041 hectares en (...)
- 18 Les trois régions principales de production étant l’Occitanie, Rhône-Alpes et Paca auxquelles s’ajo (...)
31Ainsi, l’olivier et son image semblent partout à Saint-Rémy de Provence. Au point même de sembler vraiment surexploitée par rapport à la réalité de son implantation sur le territoire. Si les Alpilles constituent l’un des premiers bassins oléicoles français, on ne peut qu’insister sur sa faible production, bien loin derrière celle des principaux producteurs (Espagne, Grèce, Italie, Turquie, Maroc14 qui représentent en 2020-2021, plus de 75 % de la production mondiale, les trois premiers représentant 95 % de la production européenne). L’oléiculture française ne représente que 0,15 % de la production mondiale avec seulement 50 000 hectares d’oliviers pour 4 % de la consommation mondiale (FranceAgriMer, 2022). Malgré sa présence sur l’ensemble de la commune, qui plus est en des points-clés comme sur les ronds-points ou en pot, devant la mairie, le verger oléicole de Saint-Rémy est de faible ampleur. Rien à voir par exemple, avec son omniprésence à Kalamata (Grèce), qui est certes la capitale de l’olive, mais qui compte au cœur de la ville des champs d’oliviers et dont les abords rassemblent des “mers” d’oliviers, comme en ont attesté nos dernières enquêtes de terrain dans le cadre d’Olive4ALL15. Dans la région de Kalamata, la Messénie, on comptait en 2017, 171 077 hectares d’oliviers sur une surface totale régionale d’un peu moins de 300 000 hectares16, c’est-à-dire plus de la moitié. A titre de comparaison, l’olivier occupe une surface de 50 000 hectares environ en France17 en 2020 (FranceAgrimer, 2022) pour une superficie totale de 55 millions d’hectares18.
32Malgré cette présence commerciale très forte de l’olivier, l’offre culturelle proposée tant auprès des habitants qu’auprès des touristes, ne semble pas à la hauteur. L’olivier vend et sert à vendre, certes, mais il est relativement mal partagé, malgré quelques tentatives pour le faire. Le musée des Alpilles situé en cœur de ville présente une vitrine dédiée au patrimoine oléicole, faisant montre de ces objets d’autrefois parfois oubliés aujourd’hui, des scourtins aux consciences19. Le Parc Naturel Régional des Alpilles propose de son côté une “flânerie entre les oliviers20” qui emprunte la Via Aurelia entre Eygalières et Saint-Rémy, en passant par le Château Romanin et le domaine du Mourre de Viret, avant d’aller vers les Baux. Mais paradoxalement, celle-ci n’est pas mise en avant sur le site internet du Parc ou sur celui de l’office du tourisme. Les acteurs économiques de la filière, isolés les uns des autres, se limitent généralement à proposer une dégustation, même si le moulin du Calanquet va plus loin en proposant également une découverte des variétés d’oliviers et une visite du moulin. Cette forme d’agritourisme a pourtant fait ses preuves, permettant une belle vente directe auprès des groupes et des particuliers (Flanigan, Blackstock, Hunter, 2015). De son côté, le Mas des Figues associe l’oléiculture à des hébergements, sans pour autant valoriser l’offre culturelle plus directe qui pourrait lui être associée, comme l’initiation aux variétés et à la qualité oléicole, la dégustation, la découverte de la cueillette ou de la taille… (à partir de Gay, 2023).
33Nous constatons que l’offre oléo-touristique est extrêmement faible, quelle que soit l’échelle territoriale choisie. Ainsi, le tourisme oléicole est absent des directives stratégiques régionales21 comme départementales22, qui indiquent simplement que la stratégie spécifique à la “marque” Provence doit reposer sur une offre de qualité autour des arts de vivre (culture du goût, culture du vivant et patrimoine). A l’échelle de la commune et de l’intercommunalité, qui détiennent la compétence de valorisation touristique, l’exploitation de ce potentiel est également très réduite, à l’image des offres proposées par l’Office de tourisme intercommunal Alpilles Provence. Il existe une seule offre proposée aux groupes, déclinée pour les particuliers et les scolaires, comprenant la récolte dans une oliveraie ainsi que la visite et la dégustation dans un moulin, éventuellement accompagnées d’un repas au restaurant et d’un hébergement.
Figure 12 : Offre pour les groupes Les Olivades, Office de tourisme de Saint-Rémy de Provence, août 2023.
Photo : Pauline Grison
34Quant aux touristes individuels intéressés par l’oléiculture, ils se voient simplement remettre un plan des moulins et oliverons des environs, ainsi que des dépliants relatifs à chacun des moulins du territoire.
35Étonnamment, cette proposition sur le terrain contraste fortement avec la communication effectuée sur le site internet de l’Office de Tourisme, l’huile d’olive y étant présentée comme l’un des produits phares des Alpilles. Plusieurs pages invitent ainsi à la découverte : « L’or vert des Alpilles », associé à un « art de vivre », « Les olives vertes cassées, un grand classique en Provence », « Nos oliverons ». Enfin, du point de vue de l’offre générale, sur place comme sur le site Internet, le vin domine encore très largement l’huile d’olive, comme en attestent largement les brochures déposées à l’Office du tourisme.
36Ces différentes observations font ressortir une double problématique. D’une part, on remarque un manque de réflexion pour développer et renforcer l’offre existante. En effet, « l’agriculture peut fournir deux types d’expériences propices à l’implication et l’éducation », notamment par le biais d’une « participation directe à des activités agricoles » (Gay, 2023). Pour Ignacio Ruiz Guerra (2011, p. 32), l’oléotourisme ouvre même la possibilité de découvrir l’environnement, les caractéristiques, le mode de production et les impacts de l’huile d’olive sur la société dans laquelle elle est produite ; mais aussi pensons-nous de découvrir la dynamique sociale créée autour de l’olivier (échanges, coopérations, événements festifs). L’offre oléotouristique proposée passe en effet à côté de la découverte des savoir-faire liés à la culture de l’olivier (découverte et choix des variétés, taille, paysages) ou aux produits liés à l’huile d’olive et ses dérivés (trituration, fabrication de produits alimentaires et cosmétiques) par exemple, qui permettraient au touriste consommateur de mieux prendre en compte la qualité d’un produit élaboré localement. Un tel enseignement serait plus qu’utile afin de transmettre des informations nécessaires à la connaissance du produit : lecture d’une étiquette et connaissances des labels de qualité type IGP, connaissance des qualités organoleptiques en matière de santé et des conditions optimales de conservation. Par ce biais, l’habitant comme le touriste serait à même de mieux appréhender l’offre d’huile d’olive produite sur ce territoire et la raison de son prix, tout cela concourant à une consommation plus responsable.
37Ainsi, si les vergers et les paysages traditionnels, les olives et les huiles sont valorisés dans les brochures de communication au-delà du motif récurrent de l’arbre plutôt mis en avant dans les propositions commerciales, la variété de l’offre culturelle qui pourrait être associée à l’oléiculture semble sous-exploitée, tant à destination des habitants et résidants secondaires, qu’à l’attention des touristes. Il semble que les acteurs liés à l’olive ne prennent pas en compte le tourisme dans sa dimension médiatique, mise en évidence par Jacinthe Bessière, Jean-Pierre Poulain et Laurence Tibère (2013, p. 76), qui offre la possibilité aux vacanciers de découvrir « des produits dans leur univers naturel et culturel » (Poulain, 1997). La qualité de cette découverte peut, après le séjour et une fois le touriste de retour dans son lieu de vie habituel, favoriser la consommation de ces produits.
38D’autre part, on remarque l’absence d’une stratégie générale et concertée menée en faveur d’une structuration de l’offre, par les acteurs touristiques institutionnels du territoire, qui permettraient de “faire communauté” autour de ce patrimoine, pour mieux le valoriser. Ainsi, lors d’un entretien, Ingrid Caceres indique d’ailleurs clairement que la valorisation de l’oléiculture est prise en charge directement par les oléiculteurs, au gré de leurs contraintes agricoles : « on peut toujours essayer de valoriser encore plus. Mais il y en a déjà beaucoup de fait, par ces gens-là, les oléiculteurs. Des gens qui travaillent quand même énormément, qui sont beaucoup dans leurs champs. Donc arriver à avoir une belle production et arriver en même temps à la valoriser, ça peut être difficile pour eux. »
39Ce manque de stratégie semble pour le moins paradoxal, face à l’attente côté touristes, telle qu’elle est pourtant formulée par les mêmes acteurs. Ainsi Ingrid Caceres semble consciente de la valeur ajoutée que pourrait apporter la structuration d’une offre à l’échelle territoriale : « On a des clients qui sont très demandeurs de savoir pourquoi l’olive ici, sur cette terre… L’histoire… Comment ça fonctionne ? Quand est-ce qu’on produit ? Quand est-ce qu’on triture ? Quand est-ce qu’on fait la cueillette ? Comment ? Tout ça, ça intéresse beaucoup. » L’offre culturelle autour de l’olivier en est à ses balbutiements, et la transformation culturelle évoquée par Laurent-Sébastien Fournier semble à nuancer.
40Dès lors, nous pouvons nous interroger sur la valorisation explicite d’une offre oléo-touristique par cette commune hautement touristique des Alpilles. Contrairement au secteur viti-vinicole, il apparaît que les opérateurs touristiques ne se sont pas encore décidés à développer des produits intégrés et qu’aucune synergie profonde n’a été réellement mise en œuvre. De ce point de vue, il convient de relativiser la proposition de Laurent Sébastien Fournier sur un possible décalque du modèle œnologique (2010 p. 140). En effet la filière viti-vinicole dispose de moyens bien supérieurs et a pris conscience beaucoup plus tôt de l’intérêt de valoriser auprès des touristes son patrimoine gourmand. Par ailleurs, dans le domaine viti-vinicole les offres apparaissent beaucoup plus importantes et harmonisées, et surtout intégrées par les opérateurs touristiques. La dimension culturelle notamment est largement valorisée via un très grand nombre de musées dédiés au vin (Deramond, 2018).
41Cette recherche permet de mettre en évidence une omniprésence de l’olivier et des images qui lui sont associées dans la ville - aussi bien comme marqueur dans la signalétique urbaine que comme adjuvant dans la promotion de produits ou d’hébergement - sous une forme d’hybridation, mêlant discours informationnel et communicationnel. Pour autant et simultanément, de façon quelque peu paradoxale, nous constatons une faible valorisation culturelle et touristique.
42Ce double constat fait ressortir la figure de l’olivier comme une image de marque, non seulement sur-représentée mais également survalorisée, symbole provençal, utilisé pour sa valeur haut-de-gamme, qu’elle soit paysagère ou gastronomique. Les images de l’olivier mobilisées ne disent pas grand-chose de l’olivier en lui-même et de l’oléiculture plus généralement, mais renvoient à une image de la Provence, construite sur des valeurs de qualité et des représentations de douceur de vivre. Tout cela participe à notre sens d’une forme de détournement et d’instrumentalisation de l’image du patrimoine oléicole.
- 23 On est loin également du tourisme ethnographique caractérisé par Stéphane Angles (2012) qui donne a (...)
43Toutes les images relevées font également ressortir en creux les absentes, c’est-à-dire les images de moulin, de récolte, de travail agricole difficile où le recours à une main d’œuvre immigrée est important, comme si le processus de production disparaissait derrière la valorisation d’un produit commercial et de luxe23, comme cela s’observe également dans bien des musées d’entreprise (Deramond, 2017 ; 2018). Il ne s’agit pas de dresser un panorama représentatif de la réalité, mais bien de l’édulcorer pour mieux convoquer l’imaginaire du touriste, et donc, le séduire.
44Dès lors, l’image associée à l’olivier, semble bien davantage commerciale que patrimoniale, largement déconnectée de la réalité - tant pour ce qui concerne son inscription territoriale que des difficultés liées à sa production. Nous pouvons caractériser ce phénomène comme d’un « effet vitrine ».
45C’est ainsi que les produits oléicoles entrent dans ce que Stéphane Angles (2012) nomme « des paniers de biens » pour la valorisation du territoire, lesquels se fondent sur les effets de synergie produits par l’association de la production oléicole hautement valorisée et d’autres produits comme le vin, les cosmétiques ou des services comme l’hébergement. Le territoire tire profit non seulement de ses atouts environnementaux mais aussi de ces paniers de biens où l’olivier et l’huile d’olive apparaissent comme des “produits phares”. Ainsi, l’olivier « fait campagne » (Perrin, 2005) pour de multiples produits sans lien particulier avec l’oléiculture. Il fait vendre des objets souvenirs, des crèmes apaisantes, des meubles, des maisons, des séjours en Provence, s’intégrant tant dans des stratégies de marketing que de communication territoriale. L’olivier devient une image-logo, dont la valeur iconique est détournée pour une cible de touristes et de résidents secondaires.
46Notre hypothèse selon laquelle les acteurs du territoire et notamment les acteurs économiques de Saint Rémy de Provence détournent l’imagerie associée à l’olivier pour activer chez les touristes (et peut-être aussi chez les habitants) un imaginaire apte à générer des images chargées de messages positifs est donc validée. Ces acteurs valorisent le patrimoine oléicole à l’excès ce qui conduit à une forme de “stéréotypage” - pour reprendre les mots de Patrick Fraysse - des images fabriquées pour les touristes. L’intérêt de l’olivier en Provence ne réside donc pas seulement dans sa valeur économique intrinsèque, mais dans toutes les retombées indirectes qu’il peut générer.
47De ce point de vue, on assiste à une requalification symbolique (Fournier, 2010, p. 132), si ce n’est une “surqualification” symbolique de l’olivier qui passe selon nous d’un registre patrimonial à un registre commercial. Pour Sadorge, Chevallier et Morvan (1996 - cité par Fournier 2010, p. 136), cette valorisation et cette marchandisation du patrimoine des produits oléicoles sont devenues des leviers essentiels pour l’aménagement et le développement des territoires et plus spécifiquement du développement économique de la ville, en l’occurrence Saint- Rémy de Provence. Nous pouvons considérer qu’il s’agit d’une forme de détournement du patrimoine oléicole de la région en ressource marchande d’une localité touristique.
48La phase de célébration chère à Davallon renvoie, comme nous l’avons dit plus haut, à la réception sociale du patrimoine. Ce processus se manifeste au travers d’actions de médiation : expositions, visites (ici d’exploitations ou de moulins), événements festifs. Il prend forme également lors de moments de partage d’expériences, de transmission de savoirs et savoir-faire entre acteurs (ici engagés dans l’oléiculture). Selon Jean-Louis Tornatore (2007), il s’agit par-là d’assurer tout à la fois la reconnaissance symbolique, l’appropriation sociale, la mise en valeur esthétique et intellectuelle du patrimoine. Or dans le cas présent c’est cette phase qui fait défaut. La présence de l’olivier dans la ville de Saint-Rémy de Provence s’exprime ici davantage en termes de développement local, de promotions diverses, de valorisation économique. L’image de l’olivier se fait avant tout séductrice, accrocheuse, vendeuse en puisant dans un registre iconique qui s’appuie sur des valeurs communément associées à l’olivier (longévité, qualité gustative, vertus thérapeutiques, convivialité …) ; et des représentations idéalisées comme autant de marqueurs d’identification de la Méditerranée.
- 24 Des offres intégrées : ex offre “goût” : visite d’un moulin / dégustation et découverte des huiles (...)
49Il resterait à voir si les acteurs du tourisme sont en mesure de réorienter ce phénomène, non seulement vers des objectifs économiques, mais aussi vers des objectifs de valorisation patrimoniale par le renforcement de l’offre culturelle ; et s’ils sont en capacité d’enclencher une synergie de l’ensemble des acteurs, touristiques, économiques, politiques et culturels. Il existe incontestablement sur le territoire des ressources nombreuses pour proposer une offre touristique plus diversifiée et mieux intégrée24, capable de toucher habitants et touristes dans une perspective durable.
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