Introduction

4Il nous semble ainsi que la microaventure est en continuité avec les tendances identifiées dans les travaux portant sur le tourisme et le tourisme sportif. Tout d’abord, on observe que les frontières entre sport et tourisme deviennent plus poreuses. Deuxièmement, la microaventure semble être une forme renouvelée du tourisme d’aventure. Les microaventurier(es) sont des personnes aventureuses, c’est à dire vivant volontairement et ponctuellement l’expérience de l’indétermination (Jankelevitch, 1963). Pour cet auteur, même l’aventure infinitésimale est l’expression d’une volonté de se confronter au caractère énigmatique du futur (ibid). Comme dans le tourisme d’aventure, les microaventurier(es) sont motivé(e)s par une recherche d’un ailleurs spatial et temporel (Bourdeau, 2012), mais ce dernier est à rechercher dans une relative proximité du domicile et en limitant le plus souvent la prise de risque. Troisièmement, l’objectif premier semble de construire une sensorialité intimiste avec la nature à l’image de ce que prônait déjà le scoutisme (Fuchs, 2008) ou l’excursionnisme du Club Alpin Français (Hoibian, 2016).

6Nous avons construit un plan en quatre parties. La première est consacrée à la présentation de notre méthodologie. Nous abordons, dans un deuxième temps, le rapport à la nature des microaventuriers. Puis, nous nous attarderons sur l’importante place accordée au faire et à l’empowerment dans cette pratique. Enfin, nous analyserons les rapports à l’image et à l’auto-organisation des microaventuriers.

Méthodologie

Tableau 1. Présentation des Enquêtés

Prénom	Genre	Age	Métiers
Marc	M	32	Entrepreneur
Emma	F	33	Commerciale
Tom	M	25	Étudiant
David	M	34	Développeur
Frédérique	F	39	Enseignant-chercheur
Léa	F	33	Post-doctorante
Julien	M	38	Data-analyst
Matteo	M	27	Commerçant
Julie	F	28	Décoratrice d’intérieure
Marine	F	35	Formatrice

8Les entretiens semi-directifs ont été réalisés à l’aide d’un guide organisé en cinq parties. La première regroupait les questions permettant d’en savoir plus sur la personne interrogée (âge, sexe, CSP, niveau et fréquence de pratique…). La deuxième portait sur la narration de leur dernière microaventure. Nous avons ensuite abordé : leurs rapports à la nature, à la politique et à l’image. Ces thématiques, choisies au regard de notre problématique, avaient pour objectif de mieux saisir l’éventuelle nouveauté dans les comportements et raisons d’agir des individus. Ces entretiens se sont déroulés via Skype puisqu’ils ont été réalisés pendant le premier confinement entre mars et avril 2020 et qu’il était alors quasiment impossible de rencontrer physiquement nos interlocuteurs. Même si nous sommes plus habitués aux entretiens en face à face, nous avons découvert tout l’intérêt de l’outil Skype lors de cette recherche. Cet outil offre une plus grande souplesse en termes de gestion du temps à la fois pour le chercheur, mais surtout pour les enquêtés (Iacono et al., 2012). En effet, grâce à cet outil, il était bien plus aisé de fixer un rendez-vous, nos enquêtés ayant souvent un emploi du temps chargé. Les entretiens ont été relativement longs (plus d’une heure), et nous pensons que l’outil Skype n’y est pas étranger. Il ne faut cependant pas occulter certaines limites de l’outil, mais celles-ci peuvent être en partie dépassées. Il a été parfois plus difficile d’établir le rapport de confiance optimum. Par exemple, les personnes réservées restent, selon notre expérience, plus longtemps réservées avec cet outil qu’en face à face. C’est la raison pour laquelle nous partageons la position de Seitz (2016) expliquant qu’il est nécessaire d’échanger plusieurs fois par message écrit (email, messenger, whatsapp) avant d’entamer la discussion Skype. L’autre difficulté réside dans la récupération des données non verbales. Cependant, et contrairement aux entretiens téléphoniques, nous avons pu être attentifs aux expressions du visage et à la position des épaules (Bayles, 2012). De plus, l’entretien en visioconférence, permet d’observer l’intérieur des enquêtés. Les décorations, livres, posters en arrière-plan nous ont donné des informations non négligeables sur leurs conditions et niveaux de vie. Mais, cet outil permet surtout aux enquêtés de partager presque instantanément des informations avec le chercheur. Certains participants nous ont montré des photos de leurs différents voyages, des objets et/ou du matériel. Ces échanges, impossibles à la terrasse d’un café ou dans un bureau anonyme en face à face, ont grandement enrichi nos entretiens.

I. Une écologie corporelle et politique

9La question de la nature est au centre de la pratique de la microaventure. Elle représente l’ailleurs qui est à opposer à l’urbain au sein duquel les microaventuriers interrogés habitent majoritairement. Mais, elle est également vécue et présentée comme un territoire utopique paré de vertus. Les adeptes de la microaventure ont une vision Rousseauiste des choses. « La nature du côté du bien et la ville du côté du mal ; une nature bienfaisante, pacifiante, porteuse des vraies valeurs opposées à une ville, lieu du vice, de la tromperie, de l’excitation des sens. » (Bourillon, 2011). Comme nous le comprenons dans le verbatim ci-dessous, les microaventuriers présentent la nature comme l’espace du bien-être.

« J’ai besoin de nature. Ça me fait un bien fou. J’ai l’impression d’être plus épanoui quand je suis dans les bois que quand je suis entouré de béton ». Marc

10Nous retrouvons dans nos données des similitudes avec ce qui a pu être observé par Sirost (2002) dans ses recherches sur le camping. Les loisirs en nature aident à rendre la ville plus supportable, mais ils confortent aussi les citadins dans leur urbanité. « L’idée de nature sert ici de référence à une nostalgie pour un ordre des choses originel et universel, un âge d’or révolu qui s’oppose au désordre urbain actuel. Dans ce sens, la nature est un modèle esthétique et philosophique qui s’applique à tout espace qui ne présente pas de signes urbains ou industriels de l’activité humaine. Moyennant quoi c’est aussi en tant qu’espace hostile et improductif qu’elle se voit aujourd’hui assigner une fonction paradoxale de terrain de jeu et d’aventure pour les sociétés urbaines » (Bourdeau, 1994, p. 7). Ces représentations sont anciennes, mais elles ont perduré. Elles étaient par exemple déjà à l’origine du scoutisme qui avait pour fonction de faire revenir la jeunesse à une forme d’authenticité mise à mal par les sociétés industrielles (Fuchs, 2008). On retrouve encore ces représentations dans la microaventure. À l’image du tourisme sportif, il ne s’agit pas, dans l’activité qui nous intéresse, de profiter passivement de la nature. En effet, Bessy (2005) a bien montré comment l’activité physique pouvait donner l’impression d’en jouir davantage. Mais, l’’engagement physique est modéré et le danger réel est souvent très limité. L’idée n’est pas de tenter de dépasser ses limites, mais plutôt de vivre une expérience suffisamment exotique pour avoir l’impression de les explorer. Nos enquêtés ont fait une descente en paddle sur la Seine ; ils ont bivouaqué à mi-parcours sur une île ; ils ont marché de Montpellier à la mer puis campé sur la plage ; ils ont fait une randonnée dans la forêt de Fontainebleau, mais de nuit… Il ne s’agit pas de nier l’effort physique demandé, mais dans ce contexte « l’aventure est désormais potentiellement à la portée de tout un chacun » (Ehrenberg, 1991, p. 25).

11La microaventure semble être la traduction d’une augmentation de la demande de pratique éco-récréatives propre à la forme transmoderne (Corneloup, 2011). Les microaventuriers interrogés cherchent à tisser une relation plus empathique et plus sensorielle à la nature. Ils sont à la recherche d’expériences immersives synonymes de réappropriations personnelles du milieu. Ils mettent en place ce que Bernard Andrieu et Olivier Sirost (2014) appellent une écologie corporelle, c’est-à-dire une exploration du milieu intérieur du corps par une reconnexion à la nature. Cette pratique est motivée et justifiée par des arguments idéologiques et politiques. En effet, la microaventure appartient aux activités qui défendent une nouvelle philosophie du voyage. Cette activité comporte une dimension critique et témoigne de l’affirmation de nouveaux cadres de pensée et d’action. Les déclarations recueillies montrent que ses adeptes cherchent à adapter leurs loisirs pour qu’ils soient plus respectueux de l’environnement. Le verbatim ci-dessous est représentatif de ce que tous nos enquêtés ont déclaré. Ils sont incontestablement préoccupés par la question écologique ;

« Il y a évidemment une dimension écolo dans tout ça… voyager au bout du monde je l’ai fait… mais en fait tu recherches un truc que tu détruis… tu veux du vierge, mais après toi c’est plus vierge… je suis trop conscient de ce que le tourisme a de négatif…ça ne sert à rien d’aller au bout du monde… je n’ai pas envie de contaminer le monde… » Frédérique

12La critique de l’avion est par exemple récurrente dans les discours recueillis. De plus, la destination n’est pas choisie au hasard. Le caractère local de la microaventure est lié à des contraintes temporelles et à l’envie de redécouvrir son lieu de vie, mais il est surtout imposé par la volonté de limiter l’utilisation de l’avion. Le flygskam est un des dénominateurs communs à tous nos entretiens. « Le “voyager local”, à l’instar du "manger local”, répond aux préoccupations des citoyens en matière de préservation de l’environnement » (Dissart, 2020) et nous savons que cela est dorénavant valorisé socialement (Boulin, 2020). Rappelons-nous que les personnes interrogées dans le cadre de cette recherche sont majoritairement issues des CSP favorisées et que cela a évidemment une influence sur ces résultats.

« Si je prends l’avion c’est pour partir loin ; avec la MA tu réduis ton impact carbone… ça ne veut pas dire que je prendrai plus l’avion, mais je fais gaffe. J’y pense quoi… après, niveau écologie, je consomme bio et je réduis ma consommation en tout en ce moment. Moins de vêtements, moins de déchets, je ne suis pas au top, mais il y a la volonté… et la MA ça fait partie de tout ça aussi… c’est une petite action. » Emma

« Tous les jours, on entend qu’il faut réduire nos trajets en avion… disons que la microaventure c’est un bon moyen de réduire son impact sans que ce soit trop une contrainte ». Matteo

13Ce dernier point est important pour comprendre la microaventure. Il s’agit bien d’une forme de tourisme sportif qui touche un public à la recherche d’un nouveau compromis : continuer à voyager en pratiquant une activité physique, mais en réduisant au maximum son empreinte sur l’environnement. Tous les entretiens menés indiquent que le stade de la prise de conscience est révolu et que les microaventuriers sont entrés dans celui de la transformation de leurs habitudes. Ils préparent et organisent leur pratique à travers ce prisme. La quantité de déchets produite est minimisée. Les matériaux recyclables sont privilégiés et le matériel jetable est presque banni. La pratique de la microaventure apparait comme corrélée à une transformation plus large des modes de vie. Plusieurs individus dévoilent que cette activité est liée à une bifurcation (Bessin et al., 2009). Négroni (2010) identifie ce processus comme une latence, un moment fait d’hésitations, de flottement et d’incertitude. Cette phase mêle des retours sur le passé, des anticipations d’avenir, et des suspensions de décision. Les déterminations du passé et les opportunités du présent se mêlent et font hésiter les individus. Plusieurs enquêtés ont associé la microaventure à un évènement biographique plus précis (rupture, rencontre, changement de travail…) qui relève de ce que certains appellent un turning point (Leclerc-Olive, 2010). Ce processus de bifurcation, linéaire ou non, détermine de nouvelles orientations dans de nombreux domaines de la vie des personnes rencontrées, dont l’organisation des loisirs fait pleinement partie. Bien souvent, la microaventure est corrélée à une manière de travailler, de se déplacer, de manger et de consommer.

14Cependant, pour éviter une caricature, ajoutons que la majorité des personnes rencontrées sont plutôt dans une phase de bifurcation idéologique. Cette activité permet à des citadins de continuer à vivre des aventures tout en essayant d’être en accord avec leurs valeurs. Ces voyageurs sont en train d’essayer de construire un nouveau rapport au monde naturel. Nous y reviendrons dans la deuxième partie, mais bon nombre de pratiquants déclarent être en cours d’apprentissage. Cette situation de transition implique souvent une forme de culpabilité vis-à-vis de leurs pratiques passées. Plusieurs de nos enquêtés ont déclaré qu’ils avaient beaucoup voyagé sans se préoccuper de l’impact écologique de leurs actions. Pour ces derniers, la microaventure est un compromis plus acceptable même s’ils sont conscients que cette activité n’est pas dénuée de contradictions et qu’ils n’arrivent donc pas à être exemplaires.

« Il faut être honnête, parfois la microaventure c’est aussi un peu fake… derrière les beaux discours, on est plein à être très bien insérés dans la société capitaliste qui bousille la planète… » Julien

« On est très sensible à la question écologique… Après, chacun à ses contradictions… Nous on aime bien le matos et la technologie… » Léa

16Le rapport à la technologie est, selon Bess (2011), une question centrale. La société vert clair est une société qui n’est pas prête à en faire le deuil. Cette appétence pour le matériel et la technologie est repérable dans le monde de la microaventure. Dans notre échantillon, 6 enquêtés sur 10 reconnaissent être suréquipés et n’imaginent pas partir sans plusieurs outils numériques et connectables (téléphone avec différentes applications, montre GPS, GoPro, appareil photo…). La question de la consommation de ces objets est d’ailleurs souvent revenue dans nos discussions et certains admettent qu’ils n’arrivent pas à faire suffisamment d’efforts sur ce point, exprimant ainsi une forme de culpabilité. C’est le grand paradoxe de la société vert clair. Les microaventuriers cherchent à éprouver un style de vie plus simple, à se déconnecter, sans totalement rompre avec le consumérisme et la technophilie. C’est l’une des raisons qui nous poussent à penser que cette pratique relève de l’environnementalisme plus que de l’écologisme. Selon le politiste Dobson (2003), l’écologisme est une idéologie postulant que seul un changement social radical permettra d’éviter une catastrophe. L’environnementalisme, en revanche, postule que les problèmes environnementaux pourront être résolus par des aménagements marginaux ne remettant pas fondamentalement en cause l’ordre social. La microaventure fait partie de ces actions qui relèvent du juste milieu, du compromis acceptable ou du premier pas. C’est donc une forme de tourisme sportif avec une dimension politique. Elle témoigne non seulement du caractère mainstreaming de l’écologie (Dobson, 2003), mais aussi du fait que la nature est toujours, et peut être plus que jamais, un référent culturel et idéologique majeur pour les civilisations urbaines.

II. La culture du « faire » et de l’empowerment

17Dans les années 1990, les travaux pionniers sur le tourisme d’aventure nous ont enseigné que la recherche de l’extrême permettait à chacun de se fabriquer une figure de l’excellence et de construire un mode de production performatif de son existence (Bessy, 2021). La microaventure ne contredit pas cette idée. Comme nous l’avons supposé en introduction, elle a toutes les caractéristiques d’un « extrême de masse » qui, selon Paul Yonnet (1998), n’est pas seulement motivé par la découverte d’un espace particulier, mais aussi par la découverte de ses propres capacités. L’analyse des discours recueillis suggère qu’il y a dans la microaventure, comme dans le mouvement scout, une forme de culte de l’indépendance et de l’apprentissage (Fush, 2008). L’empowerment (Jouve, 2006), compris comme un processus par lequel un individu gagne en compétence pour agir dans son environnement, est extrêmement valorisé. Dans la microaventure, il s’agit de se convaincre, et parfois de prouver aux autres que l’on est capable de s’organiser même lorsque l’on quitte le confort de la ville. C’est la nature qui autorise cette « sortie de soi » (Sirost, 2002). En effet, dans la microaventure, elle est un espace présenté comme particulièrement formateur. L’itinérance, pratiquement toujours présente, implique une initiation à de nouvelles compétences (faire du feu, faire un bivouac, connaitre les plantes…). Il s’agit de développer sa « débrouillardise » grâce aux petits défis que l’exploration de l’environnement naturel sous-entend. Nous retrouvons ici également une similarité avec les mouvements scouts. « La nature fonctionnant sur la logique de l’itinérance constitue en effet, pour les mouvements scouts, une puissante base de formation. […] Elle offre en effet surtout un ordre auquel le scout peut se confronter, afin d’affirmer sa capacité d’observation, de réflexion et d’action, bref, de se dévoiler ses propres ressources » (Fuchs, 2008, p. 30). Nos entretiens regorgent de prises positions similaires.

« J’ai toujours bricolé, je fais du jardinage, j’aime bien faire de mes mains… c’est aussi une manière d’être plus indépendante. C’est ça le délire de la microaventure, c’est faire soi-même… tu apprends à filtrer l’eau, à faire du feu, à faire un abri, à faire une corde… à savoir ce que tu peux manger… » Tom

« Dans la microaventure il y a aussi un côté dépassement de toi… pas obligatoirement physiquement… mais tu te retrouves dans des situations où tu dois faire des choses que tu n’aurais pas faites sinon. Ça développe des compétences, tu deviens plus débrouillarde, et ça, ça fait plaisir quand même… en fait, ça te rend meilleur… c’est l’inconnu qui joue en fait. » David

18Toutefois, il ne s’agit que rarement d’apprendre à survivre sans l’aide des artifices que propose la civilisation. A ce titre, la microaventure est à différencier des stages de survie qui se développent également sur le territoire français (Vidal, 2018). Nous sommes bien face à des citadins qui apprécient la microaventure parce qu’ils y trouvent le « faire » si cher à Lallement (2015). Selon lui, nous sommes entrés dans une époque où les individus cherchent à refaire les choses de leurs mains. Le succès du bricolage, du jardinage, de la couture, de l’artisanat s’explique notamment par ce phénomène. Tous ces loisirs artisanaux sont choisis par envie, parfois par besoin, mais aussi souvent par conviction. Faire avec ses mains redonne du sens à ce qui fait le quotidien (Crawford, 2017). Un grand nombre de champs de la vie sociale sont touchés par cette tendance, souvent présentée par l’acronyme DIY (Do it Yourself). Knobel et Lankshear (2010) datent son apparition dans les années 1950. L’être humain a, bien entendu, la capacité de fabriquer seul des objets depuis bien plus longtemps, mais l’idée directrice du DIY est se passer des services des spécialistes souvent contraignants et onéreux que l’on a souvent tendance à solliciter dans la société moderne. Les groupes punks sont les pionniers de cette philosophie (Riffaud, 2018). Ils l’ont notamment adoptée pour créer leurs fanzines ou même enregistrer leurs disques. Ils y voyaient une occasion de gagner en indépendance face à l’industrie musicale, qui, selon eux, dépossède les artistes (Hein, 2012). En ce qui nous concerne, nous avons déjà vu comment ce phénomène impacte le monde du sport (Riffaud, 2018). Nous ne sommes donc pas surpris de voir réapparaitre cette appétence pour le « faire » dans le cadre de la microaventure.

« Pour le matériel, on a plein de choses, mais on aime bien bricoler… la satisfaction c’est de se débrouiller, de faire par soi-même ; on a par exemple construit nos propres pagaies… c’est cool parce que l’on peut faire ce que l’on veut exactement, c’est hyper adapté à notre morphologie par exemple et puis c’est économique… » Frédérique

III. Une activité auto-organisée et mise en image

20Dans les deux parties précédentes, nous avons à plusieurs reprises établi des parallèles entre la microaventure et d’autres formes de loisir en nature ou de tourisme sportif. Les pratiques physiques sont toujours influencées par l’époque dans lesquelles elles deviennent un phénomène social. Les mouvements scouts du XX^e siècle et la microaventure du XXI^e siècle ont par conséquent des caractéristiques très différentes. Dans cette dernière partie, nous allons porter le regard sur le caractère auto-organisé et l’omniprésence de l’image. En effet, ces caractéristiques vont nous permettre d’aller un peu plus loin dans notre analyse.

21Tout d’abord, la microaventure s’inscrit pleinement dans la quête d’autonomisation des sportifs et des touristes observés par les chercheurs depuis les années 1970, et qui ne cesse de s’accentuer (Riffaud et Lapeyronie, 2023). C’est une activité physique et touristique sans institution de tutelle étant la plupart du temps auto-organisée (Michel et al., 2022). Les réseaux sociaux, ainsi que certaines entreprises privées, peuvent faciliter le passage à l’action, mais il ne reste pas moins que les individus restent la plupart du temps orientés par leur propre boussole (Bessy, 2021). Il s’agit de pratiquer « où je veux et quand je peux ». Cette grande souplesse organisationnelle est l’une des clés du succès de cette pratique. Les microaventuriers rencontrés sont membres de groupes Facebook. Ce n’est peut-être pas une généralité, mais nos enquêtés utilisent beaucoup les réseaux sociaux parce qu’ils y trouvent des informations utiles. Ces dernières prennent parfois la forme de conseils techniques maximisant l’autoformation, voire l’éducation des débutants. Dans le cadre de notre recherche, les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour trouver des propositions de sortie. La microaventure se pratique le plus souvent entre amis, mais elle peut également être pratiquée entre inconnus. Ces formes de sociabilité plus ou moins éphémères et très flexibles sont à l’opposé de celles que l’on retrouve dans certains loisirs de nature évoqués plus haut. Rappelons, par exemple, que « le scoutisme s’impose d’emblée comme un projet fort organisé : d’abord conçu pour les 12-16 ans, il se structure à partir d’unités de base, les patrouilles, qui réunit cinq à huit éclaireurs emmenés par un chef plus âgé » (Fuchs, 2008, p. 31). Il y a une discipline à respecter. Celle-ci est imposée par l’institution (religieuse ou non) qui organise. La microaventure est donc bien moins structurée. Cette pratique est auto-organisée pour que les pratiquants gagnent en liberté et en réactivité. Mais c’est aussi pour que les pratiquants puissent multiplier des expériences diverses, sans aucun engagement et permettant de sortir des chemins battus.

« L’intérêt des microaventures, c’est aussi que c’est hyper varié… kayak, paddle, vélo, à pied… à chaque fois c’est une nouvelle expérience… tu peux faire plein de choses, c’est ouf ; » Julien

« Je propose sur le groupe Facebook. J’impose un truc et qui m’aime me suive… et ça marche… 13km de paddle avec un mec inconnu sur la Seine, une sortie à Fontainebleau où on s’est retrouvés à 11… tous inconnus au départ… » Frédérique

22Le deuxième point suggérant que la microaventure est dans l’air du temps est son lien très étroit avec la question de l’image et l’usage des réseaux sociaux. Rappelons que le terme microaventure a été démocratisé par Humphreys via Twitter. Nous savons depuis Jankelevitch (1963) que l’aventure peut être de nature esthétique. « C’est souvent cette anticipation qui donne aux alpinistes amateurs le courage nécessaire pour leur expédition : ils imaginent d’avance leur glorieux retour et se voient déjà contant leurs exploits à un auditoire ébahi. » (1963, p. 29). Plus récemment, Hoibian (1997) et Schut (2007) ont observé le même phénomène. Les microaventuriers rencontrés ont tous expliqué que leur appareil photo ou leur caméra (type Go-Pro ou Insta360) faisait toujours partie du paquetage. Ces appareils ne sont pas particulièrement utiles pendant la sortie. Certains ont même reconnu qu’ils étaient souvent encombrants. Mais, ils sont fondamentaux pour collecter des souvenirs et témoigner de l’expérience vécue sur les réseaux sociaux. Souvent, une forme de malaise existe à ce sujet. Le fait que nos enquêtés soient majoritairement issus des CSP favorisées l’explique peut-être puisque les membres de cette catégorie sociale ont plus de mal à se mettre en scène sur les réseaux sociaux. Mais, ce malaise est renforcé par une conscience de la contradiction résidant dans le fait de chercher à se reconnecter à la nature en refusant de renoncer à l’usage des réseaux sociaux. Il semble donc impossible pour les personnes interrogées de se détacher de la tyrannie des images.

« Après, la technologie, c’est à double tranchant, ça peut empêcher de vivre le truc à fond, de ne pas être dans le présent, de penser à l’après… exemple : choisir le beau spot pour bivouaquer plutôt que celui qui est pratique… » Julie

« Je suis grave équipé niveau techno. Téléphone, chargeur, batterie externe, GoPro… après faut faire gaffe à pas te faire manger par l’image… l’idée c’est quand même de profiter du moment… » Tom

23C’est ce malaise qui explique que le partage des images sur les réseaux sociaux est souvent justifié par la volonté de convertir ses amis à la pratique de la microaventure. Les microaventuriers cherchent ainsi à convaincre et utilisent volontairement la puissance et la performativité des images. Ils ont incorporé les techniques et les stratégies du marketing d’influence et les mettent au service d’une forme de militantisme se matérialisant par des posts sur les réseaux sociaux.

« Quand je partage les photos, ce n’est pas pour dire regarder comme ma vie est cool, c’est plutôt pour motiver les gens à faire comme moi… » Emma

« Le truc cool, aussi, avec les réseaux, c’est que ça permet d’élargir l’horizon de potes qui ne sont pas très aventureux... une pote m’a dit ça à l’air cool, moi aussi je veux faire ça… et voilà tu influences les gens ; j’aime bien ça… c’est comme Chilowé… « mettre tout le monde dehors » ! » Léa

24Mais, il serait absurde de ne pas voir ces photos comme un moyen de flatter son ego et de confirmer, par la prise de vues, ses capacités à aller chercher un ailleurs spatial et temporel. Sur ce dernier point, la microaventure se distingue à nouveau nettement du scoutisme. Il ne s’agit plus de construire un récit collectif qui se perpétue dans le temps, mais d’une forme de mise en scène souvent individuelle et même parfois narcissique. Selon Jankelevitch (1963), les aventuriers sont des demi-artistes. Pendant leur excursion, ils ont une existence esthétique. Les microaventuriers rencontrés disent partir à la recherche de ce qu’ils considèrent comme beau. Qu’importe si cela correspond aux formes les plus archétypales de la nature puisque cela permettra de vivre et de mettre en image une expérience mémorable.

« Quand tu fais une belle photo, c’est la cerise sur le gâteau… J’avoue que ça fait plaisir de revenir avec quelque chose que je vais pouvoir partager sur FB et Insta. » Léa

« Et puis la microaventure ça fait des choses à raconter… ça rend fière… c’est fou ça ; à peine on va dans la nature, on est toujours fier de ce que l’on a fait… même si ce n’est pas ouf… une promenade aux champignons… quand tu es un citadin, tu es fier… » Julie

Conclusion

25Dans cet article, nous avons essayé d’analyser un phénomène touristico-sportif qui prend de l’ampleur sur le territoire français : la microaventure. Nous avons pour cela interrogé des pratiquants qui appartiennent à un groupe sur Facebook dédié à cette activité. Ce choix méthodologique a certainement orienté nos résultats notamment parce que nous savons qu’au sein de ces communautés virtuelles les discours ont tendance à s’homogénéiser (Lukasik, 2021).

26Cependant, nous pouvons retenir que la microaventure est un mot récent dans le lexique des touristes, des acteurs du secteur et des chercheurs. Ce dernier correspond à un voyage proche de chez soi, de courte durée (2 ou 3 jours maximum), relativement simple à organiser et peu onéreux. C’est aussi une activité se voulant respectueuse de l’environnement et au cours de laquelle l’engagement physique est souvent modéré. Elle permet de réenchanter le quotidien et le rapport au territoire de proximité (Michel et al., 2022). C’est donc une forme renouvelée de tourisme sportif, qu’il est hâtif de présenter comme une véritable nouveauté. En effet, notre recherche suggère plutôt que la microaventure a de nombreuses similitudes avec des formes de loisirs de nature ou de tourisme sportif plus anciennes. Comme dans le scoutisme, le camping ou l’excursionnisme, la microaventure est pratiquée parce qu’elle répond à un besoin d’épanouissement au contact de la nature. C’est une aventure pour rire (Jankelevitch, 2017) où le jeu prend plus de place que le sérieux parce que le danger réel est très limité. La microaventure relève de « l’extrême de masse » (Yonnet, 1998) dans laquelle la question de l’empowerment et du faire est centrale. Comme d’autres activités sportivo-touristique les motivations des pratiquants viennent toujours d’une vision idéalisée de la nature, dont l’exploration permettrait de développer l’autonomie et de vivre des expériences marquantes. La nature y est considérée comme un espace formateur, chargé de valeurs positives. De plus, notre recherche montre que la microaventure est corrélée à une forte préoccupation écologique. Même si ce n’est pas une forme écotourisme (Honey, 1999), les microaventuriers cherchent à limiter leur impact sur l’environnement tout en désirant continuer à vivre des expériences marquantes en nature. La microaventure se présente donc comme un compromis acceptable. Jusqu’ici écotourisme et tourisme d’aventure étaient souvent opposés. « En somme, ces deux formes de tourisme recherchent un environnement de qualité, mais pour des motifs différents : l’une pour observer la nature et l’autre pour la conquérir » (Lequin, 2001, p. 13). Nos résultats révèlent que la microaventure est à l’intersection de ces deux concepts. Enfin, toutes les caractéristiques que nous venons de présenter, peuvent être parfois identifiées dans d’autres formes de pratiques. Certains kayakistes, alpinistes, ou surfeurs ont des convictions proches de celles des microaventuriers, mais, ces activités ont une épaisseur historique plus importante, ce qui les rend moins perméables aux transformations. Le succès de la microaventure s’explique par sa cohérence avec l’époque contemporaine. Elle permet de vivre une forme d’éco-récréativité (Lebreton et al., 2020), auto-organisée, apportant aux pratiquants une grande souplesse et la possibilité de collectionner des expériences variées. De plus, il s’agit d’une activité très compatible avec le monde des réseaux sociaux dans lequel les images ont une place centrale. Cette activité n’est par conséquent pas dénuée de contradictions entre l’ensemble de ces attributs novateurs (respect de l’environnement, créativité, proximité) et des comportements en phase avec le système économique capitaliste (accumulation/collection d’expérience, connexion permanente, règne de l’apparence). La microaventure est donc en phase avec certaines préoccupations sociétales, elles-mêmes parfois contradictoires.

27Tout ceci nous amène à affirmer que la microaventure n’est pas une véritable nouveauté dans le champ de tourisme. C’est simplement une forme renouvelée de tourisme sportif au sein de laquelle on observe une recombinaison et une exacerbation des tendances retrouvées dans d’autres pratiques touristiques. « Le statut et les pratiques récréatives se transforment et se recomposent sur fond de multiples facteurs de changement culturel et d’incertitude climatique, énergétique, économique ou sécuritaire. Si certaines formes traditionnelles de tourisme semblent intangibles […], d’autres formes se font jour en explorant de manière explicite ou implicite des modèles de relation inédits aux temps, lieux et usages de l’ailleurs » (Bourdeau, 2012, p.31). Cependant, notre enquête permet de saisir que la microaventure n’est pas seulement une mode engendrée à grand renfort de marketing. Sans nier l’impact de certaines entreprises, sur les modalités de sa pratique, nos résultats laissent penser que cette pratique appartient à ce que certains auteurs appellent l’après-tourisme (Bourdeau, 2012). Ce constat implique de prolonger ce travail de recherche pour pouvoir contribuer aux réflexions sur la gestion des espaces naturels proches des grands centres urbains. La microaventure engendre en effet un accroissement de la fréquentation de certains sites qui alerte les professionnels des parcs naturels. L’épidémie de la Covid 19 a renforcé cette tendance. La pandémie « a certes stoppé brutalement les départs lointains (fermeture des frontières et confinements répétés), mais les usages touristiques se sont restructurés, sans réellement les réduire, pour offrir de la diversité dans les expériences touristiques de proximité, modifiant dès lors les flux de fréquentation en périphérie des grandes villes » (Perera et Le Roux, 2021). Les caractéristiques de la microaventure rendent cette activité difficile à réguler par les institutions en charge du tourisme ou de la gestion des espaces naturels. La sanctuarisation (Meur-Férec, 2007) et la mise en place d’un contrôle renforcé des accès peuvent être des solutions proposées, mais ces dernières semblent d’ores et déjà insuffisantes face à l’ampleur du phénomène observé (Decoupigny, 2022).