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1Laurent Tissot part du principe « qu’il n’y a pas de tourisme sans changement » (p. 243). Comme il l’explique dans l’introduction, il s’agit donc de retracer ici l’histoire du tourisme en Suisse « dans ses enchaînements technico-chronologiques » (p. 11), c’est-à-dire pour l’essentiel le développement successif de différents moyens de transport à l’usage des touristes : la marche à pied et la diligence d’abord ; les bateaux sur les lacs ; les trains ; les vélos, les motos et les automobiles ; les autocars ; les avions et les hélicoptères enfin. Ces modes de déplacements caractérisent des périodes qui se succèdent, mais qui se chevauchent aussi, car l’offre de transport s’enrichit à chaque étape de modalités nouvelles sans faire disparaître les plus anciennes, sauf peut-être le transport à dos de mulets. Des dates-pivots sont ainsi identifiées, l’une des plus importantes étant l’ouverture de la ligne du Saint-Gothard en 1882 qui ouvre la Suisse centrale aux flux touristiques à l’échelle européenne. Cette approche permet aussi d’étudier de façon précise et selon les époques la concurrence et la complémentarité entre les moyens de déplacement touristique, la navigation lacustre stagnant depuis les années 1960 alors que les trains et les autocars se maintiennent fort bien face à l’essor de l’automobile, ce qui constitue une spécificité suisse.

2Laurent Tissot attache une grande attention aux liens entre le mode de transport adopté et la vision du paysage qui en résulte : la navigation lacustre propose un déplacement serein, bien adapté aux sensibilités post-romantiques, tenant à distance la montagne vers laquelle le regard s’élève depuis le plan d’eau, alors que les chemins de fer à voie étroite vont monter à l’assaut de la montagne, et parfois des plus hauts sommets (Jungfrau) à des vitesses jusque là inconnues. Le vélo autant que l’automobile signent une évolution vers la possibilité de voyages individuels, alors que l’autocar joue un grand rôle dans une sociabilité touristique qui perdure à travers de nombreux voyages organisés par les entreprises, les groupes sportifs ou des sociétés amicales.

3Bien sûr, cette approche du tourisme par les moyens de déplacement fait que d’autres aspects ne sont pas autant développés, même si plusieurs pages sont consacrées à l’hôtellerie et à la conception de certaines stations de montagne comme Verbier ou Moléson. Globalement le tourisme urbain, l’alpinisme et les sports d’hiver ne sont évoqués que de loin en loin comme autant de ressorts du développement touristique, mais sans que les formes en soient davantage détaillées.

4Si L. Tissot ne met pas en avant de façon systématique la dimension conflictuelle du développement touristique, il ne manque jamais de la mentionner car le sentiment anti-touristique a été une réalité bien tangible : les 40 années qui suivent l’arrivée du chemin de fer au sommet du Rigi en 1871 voient les projets de nouveaux aménagements se multiplier à un rythme effréné : pas moins de 16 trains à crémaillère et de 48 funiculaires sont ainsi construits jusqu’en 1914 (p. 69), dont 7 lignes rien qu’au départ de Montreux (p. 75). Dans les années 1900 toutefois, cette fièvre aménagiste se heurtera à de puissants mouvements d’opposants qui feront échouer, entre autres, les projets de funiculaire jusqu’au sommet du Cervin (1906) et de chemin de fer jusqu’aux Diablerets (1910). Cette opposition aux aménagements ferroviaires connaîtra son pendant avec l’irruption de l’automobile qui suscita un rejet parfois virulent motivé à la fois par des raisons de sécurité et de défense du cadre de vie (p. 114 sq.). La Suisse, qui nous apparaît comme une destination touristique « évidente » fut ainsi menacée d’un boycott international en 1905 lors d’un Congrès à Paris (p. 115)

5L’intérêt du livre réside aussi dans le travail de recherche iconographique avec de nombreux documents des 19^ème et 20^ème siècles qui donnent à voir des touristes et des infrastructures caractéristiques des différentes époques. Plusieurs photos de passagers d’autocars ou du premier vol organisé en 1932 depuis Londres rendent bien compte de l’ambiance de ces voyages. Les images publicitaires sont abondamment sollicitées, telle la belle affiche de 1937 faisant la promotion de la ligne Montreux-Oberland Bernois (p. 88), ainsi que les affiches politiques comme celles proclamant « Automobil ? Nein ! » lors d’une votation de 1935 visant à interdire la circulation automobile dans le canton des Grisons (p. 117).

6L’auteur relève au passage quelques lacunes de la recherche en tourisme que nous retrouverions à l’identique en France, comme l’absence de recherche précises sur l’usage des motocyclettes dans les pratiques touristiques alors que le cyclisme est en général bien documenté, en particulier sur les routes de montagne. Le lecteur attentif trouvera donc aussi ici des pistes de recherche qui ne demandent qu’à être suivies.