- 1 Cf. aussi la notion de systèmes touristiques locaux : Boudières, Gerbaux & Marcelpoil (2004) ; Gerb (...)
- 2 Certains territoires extérieurs à la région PACA se réclament de cette « identité provençale », de (...)
1Défini comme un système territorial dont la fonctionnalité dominante (ou l’une des fonctionnalités dominantes) est l’activité touristique, un système touristique territorialisé (Dérioz et al., 2019)1 se structure autour de la mise en valeur et de « l’exploitation » par l’intermédiaire d’activités récréatives de nature variable, de ressources du territoire dont la nature, la diversité et l’importance respective définissent au premier chef le degré de spécialisation du système. La structuration des pratiques (exploitation économique) et de la communication (exploitation symbolique) autour d’une ressource centrale a par exemple permis de définir en termes de systèmes spécialisés de rang local les stations touristiques (Clary, 1993 : 66-86 ; Stock, 2003 : 57-70), aussi bien en position littorale (la ressource cardinale est alors le front de mer) qu’en montagne (avec la neige comme élément de base pour les stations de sports d’hivers). Dans les deux cas, cette ressource fondamentale se décline d’ailleurs selon de nombreuses modalités, en interaction les unes avec les autres – paysages, pratiques, imaginaires culturels, temporalités (saisons)… Articulé autour de la culture de la vigne et de la production de vin, l’œnotourisme (Gravari-Barbas, 2014 ; Jacquet & Laferté, 2014 ; Lignon-Darmaillac, 2017 et 2019 ; Gerbal-Médalle, 2020) fournit de nombreux exemples de systèmes touristiques d’échelle territoriale plus ou moins spécialisés fondés sur la mise en tourisme multiforme (produits (vins, alcools), paysages, patrimoine culturel et architectural…) d’une ressource liée à une production agricole. L’objet de cet article est de s’interroger sur la possibilité d’identifier dans le sud-est de la France (Provence et territoires limitrophes2) des formes touristiques aussi abouties que celles que présentent certaines régions viticoles, et dont la ressource centrale serait la culture de l’olivier.
2Arbre emblématique et iconique, surreprésenté de longue date sur des supports de communication dont certains sont désormais numériques (cartes postales, prospectus publicitaires, sites internet et réseaux sociaux…), l’olivier fait partie de l’offre touristique générique de la Provence et de celle de ses territoires. Cette offre spécifique est le fait d’individus et/ou de collectifs, avec l’appui (ou non) des collectivités locales. Dès la fin des années 1990, de nombreux travaux (Durbiano, 2000 ; Fournier, 2010 ; Angles, 2012 ; Angles & al., 2017) ont identifié et documenté les multiples démarches de patrimonialisation qui ont accompagné et soutenu le renouveau de la culture de l’olivier et de la production d’huile d’olive en France (notamment dans le Sud-Est), après un siècle de déclin. Ces recherches ont toutes souligné les opportunités de mise en tourisme qui découlaient tout à la fois de ces processus de patrimonialisation et de la relance d’une production orientée vers la qualité, et analysé les formes prises par le « tourisme oleicole » – parfois aussi désigné par le terme d’« oléotourisme », néologisme créé par analogie avec l’oenotourisme.
3Le tableau est toutefois suffisamment contrasté pour qu’il n’y ait pas un produit local consensuel, comme peuvent l’être la vigne et la lavande. Le décalage est souvent net entre la fonction symbolique de l’olivier et sa présence effective dans les paysages. Les acteurs du secteur sont dispersés, rarement fédérés autour d’un AOC (à l’exception des Mées, de Nyons et des Alpilles), pour ne pas dire fortement individualisés. Ils s’inscrivent plutôt dans une pluri-activité dans laquelle l’olive est souvent secondaire et s’apparente même à un hobby de citadins ou de périurbains. Certes, les choses ont évolué, depuis le milieu des années 1990, vers une affirmation du produit dans sa dimension touristique : vente directe d’huile, de sous-produits et produits connexes, ou de services associés comme la restauration, visite des sites de production, balisage des routes de l’olivier, définition de paysages artefactuels… La Provence, grande destination touristique, est tentée de valoriser sur place une production « hors norme » (réduite en étendue, rendements et aux prix les plus élevés du marché). Mais entre l’auto-prédicatif du discours (professionnel, politique…) et la réalité de terrain se creusent des écarts importants, que notre recherche s’est efforcée de caractériser à la croisée de trois approches méthodologiques complémentaires. Une analyse paysagère destinée avant tout à évaluer l’étendue, la distribution spatiale et la physionomie des oliveraies a ainsi été combinée avec une vingtaine d’entretiens semi-directifs avec des acteurs de la filière, réalisés selon des grilles différentes compte tenu de leur diversité (exploitants (oliveraies, moulins), propriétaires, habitants, élus locaux, chargés de mission, responsables d’OT ou de structures touristiques…), sur des terrains différents (Nyons et vallée de l’Eygue, Alpilles, Lubéron, Ventoux, Monts du Vaucluse, moyenne vallée de la Durance (Manoque, Les Mées)). L’analyse paysagère, complétée in situ par des micro-entretiens avec des visiteurs ou des usagers, a aussi été prolongée par l’examen attentif des différents supports de la communication touristique (flyers, brochures, sites Internet…), pour évaluer la place effective que tiennent les oliviers et les activités oléicoles dans l’offre et la stratégie touristiques des territoires, à confronter à la lecture qu’en donnaient les entretiens réalisés. A ces travaux, conduits dans des contextes différents au cours des années 2021 et 2022, s’ajoute l’expertise acquise sur des temporalités plus longues dans le cadre de la participation active des auteurs aux conseils scientifiques de plusieurs territoires, trois PNR (Alpilles, Lubéron, Ventoux), ainsi que le Syndicat mixte de la Vallée de la Durance.
4Ce qui est questionné ici n’est pas la réalité du phénomène de la mise en tourisme des patrimoines et des productions oléicoles, mais bien sa capacité à structurer à lui seul l’identité et le fonctionnement touristique de certains territoires, interrogation à laquelle nous tenterons ici de répondre en trois temps. D’abord du point de vue de la diversité des ambiances paysagères (1), puis sous l’angle des dynamiques sociales (2) – de l’amateurisme au professionnalisme, de la dispersion des acteurs aux efforts de structuration –, avant de montrer que la diversité des situations rencontrées brouille l’image, et ne permet guère l’émergence d’un véritable « oléotourisme », entendu comme une forme de spécialisation touristique centrée sur l’olivier, son patrimoine et les produits oléicoles (3).
- 3 Par Provence nous entendons ici la région Provence Alpes Côte d’Azur. Nous lui ajoutons la « Proven (...)
5Les paysages de l’olivier constituent-ils en Provence3 des attracteurs touristiques suffisamment importants pour qu’il soit légitime d’évoquer, pour certains territoires, une dominante touristique relevant de « l’oléotourisme » ? La réponse à cette question n’est pas simple, dans la mesure où elle dépend aussi beaucoup de la manière dont les acteurs du territoire, , se saisissent de cette ressource et la valorisent. Mais l’analyse de la ressource elle-même – les paysages – suggère néanmoins qu’une dominante oléotouristique est rare, et que quelques territoires seulement tendent à se rapprocher de ce modèle.
6Borne bioclimatique des espaces méditerranéens depuis le XIXe siècle (Nicod, 1956 : 249), arbre symbole aux signifiés multiples, l’olivier occupe en effet dans les paysages provençaux une place paradoxale, qui combine surexposition et discrétion. Sa silhouette caractéristique, le caractère sempervirent et la couleur de son feuillage, la forme de ses feuilles et de ses fruits répétés à l’envi dans les motifs des nappes provençales, les nodosités et les rides ligneuses du tronc et des branches chez les vieux sujets, les alignements que forment des oliveraies, tout concourt à en faire un arbre reconnaissable entre tous ––, l’un des éléments les plus directement identifiables au sein des paysages méditerranéens, au même titre ici que la vigne ou la lavande. Certaines composantes architecturales – terrasses, moulins, mas oléicoles, voire huileries – s’insèrent aussi parfois dans le complexe paysager, dont ils renforcent la tonalité oléicole. L’olivier est dès lors attendu par les touristes étrangers à la région, désiré et planté par les aménageurs (parcs, ronds-points…) comme par les résidents (jardins privés) (Bachimon, 2000 ; Laurens, 2012), intégré à diverses logiques de développement local par les collectivités (Durbiano, 2000), et mis en scène par le marketing territorial comme par la promotion touristique, à toutes les focales – du grand paysage au très gros plan. Cette dimension paysagère occupe de même une place majeure dans le renouveau que connaît l’oléiculture du sud de la France depuis la fin des années 1980 (Angles, 2017), à travers la volonté de réhabilitation d’oliveraies anciennes comme dans le souci des oléiculteurs provençaux de se démarquer des formes d’oléiculture plus intensives des pays voisins, la valeur esthétique et patrimoniale des paysages oléicoles provençaux étant sensée aller de pair avec la haute qualité des productions.
7Oliviers et oliveraies sont donc bien partie intégrante de l’offre touristique provençale, en tant que formes paysagères repérées, sous la forme de points de vue (depuis les Baux-de-Provence, par exemple), de sites (conservatoire variétal de l’olivier à la Valette-du-Var), d’itinéraires pédestres (sentiers thématiques : les Mées, Nyons ou Villeperdrix dans la vallée de l’Eygues) ou de routes de l’olivier (« 06 routes de l’olivier des Alpes maritimes », route « Flânerie entre les oliviers » (Alpilles), « route de l’olivier en Baronnies »…). Les itinéraires routiers, mais aussi certains sites, articulent d’ailleurs l’expérience paysagère avec d’autres modalités de présentation et de découverte du patrimoine oléicole, moulins ouverts au public, musées, centres d’interprétation, magasins spécialisés et espaces de dégustation, dont les infrastructures, comme la signalétique qui permet de les trouver, contribuent aussi à l’empreinte paysagère de l’oléiculture en Provence.
- 4 Pour info : Les données absolues prises en référence dans l’estimation des surfaces en % sur PACA s (...)
8Pour autant, en dépit du relatif succès de ces attractions auprès du public – touristes et visiteurs de proximité confondus – cette empreinte paysagère, localement forte, demeure assez modeste à l’échelle régionale. Certes, la part importante des oliviers plantés chez des particuliers non agriculteurs, que les recensements agricoles ne comptabilisent pas, ne permet pas de connaître avec précision la superficie totale du verger oléicole provençal, dont la part relevant d’exploitations agricoles couvre autour de 10 000 ha seulement. Si l’on garde en tête le ratio entre, d’une part, l’estimation des surfaces en olivier à l’échelle de tout l’arc méditerranéen français (55 000 ha) faite par le Conseil oléicole international, que reprend l’Atlas des paysages de la vigne et de l’olivier en France méditerranéenne (Angles, Garlatti, 2014 : 15), et d’autre part les surfaces en oliviers déclarées par les agriculteurs français, (recensement agricole 2010, à peine plus de 17 000 ha, soit 31 % de l’estimation d’ensemble), peut-être faut-il rechercher pour l’ensemble des surfaces oléicoles provençales un ordre de grandeur autour d’une trentaine de milliers d’hectares. Si incertaine et approximative que soit cette approche, l’ordre de grandeur suffit ici à montrer la modestie des surfaces occupées par les oliviers en Provence, environ 1 % de la superficie régionale, et 5 % peut-être de la SAU (soit trois fois moins que la vigne)4.
9A la différence de la vigne, l’olivier s’avère ainsi rarement dominant dans le paysage, en dehors de rares secteurs privilégiés, comme autour de Nyons, en versant sud des Alpilles, en moyenne vallée de la Durance ou dans l’arrière pays niçois (cf. cartes in Angles, Garlatti, 2014 : 15 et 18), où peuvent être observés localement de véritables paysages oléicoles (figure 1). Les trois modalités de présence des oliviers dans le paysage identifiées par Stéphane Angles (2017), oliveraies anciennes réhabilitées, jeunes plantations – celles des années 1990 approchent la trentaine d’années – et olivettes plus ou moins « décoratives », s’y combinent, parfois en continuité des versants en terrasses aux fonds de vallée et à la périphérie pavillonnaire des villages. Ce sont aussi dans ces secteurs que les marqueurs non végétaux de la filière oléicoles (exploitations, moulins, coopératives, huileries…), et leurs prolongements touristiques (signalétique, lieux de visites et/ou de vente dédiés…) sont les plus nombreux.
Figure 1 : Nyons (7 avril 2022), les oliveraies anciennes du versant, en continuité paysagère avec des plantations plus récentes en terrain plat et les micro-olivettes des terrains résidentiels
Source : Cliché P. Dérioz
- 5 Au cours de l’un de nos entretiens (en 2022), notre interlocuteur a même évoqué le cas d’un groupe (...)
10En dehors de ces territoires, l’olivier reste présent, dans des proportions variables selon les espaces, mais il tend à se fondre dans des marqueteries paysagères plus ou moins complexes (figure 2), à commencer par celles du bâti résidentiel périurbain où sa fonction décorative dans les quartiers aisés n’exclut d’ailleurs pas forcément une vocation productive, plutôt à inscrire dans le champ du « hobby farming » (Bachimon, 2000)5. Généralement encloses dans les propriétés, les olivettes n’y sont guère accessibles, à la différence des espaces ruraux intermédiaires, où elles se combinent diversement avec de la vigne, d’autres fruitiers, des cultures céréalières, des plantations de lavande ou de lavandin, des espaces pastoraux, des truffières, des friches, des garrigues et des espaces boisés – chênaies ou pinèdes. Plus ou moins accessibles et disponibles pour les loisirs de pleine nature selon l’étendue, la continuité et la structuration des surfaces exploitées par des agriculteurs ou des éleveurs, ces espaces continuent à tirer une partie de leur caractère méditerranéen, voire « provençal », de la présence de l’olivier. Mais la vigne, la lavande, la pinède de pins d’Alep, ou même la sombre rectitude d’un cyprès au droit d’une cabane vigneronne y contribuent tout autant. Sans être toujours absents, les signes d’une production oléicole se font plus rares, plus ponctuels : même là où il existe, le lien entre l’arbre dans le paysage et les acteurs qui l’exploitent, le récoltent et en tirent profit en transformant cette récolte de diverses manières, a largement cessé d’être lisible.
Figure 2 : Fontvieille, Massif des Alpilles (18 avril 2013) : le Mas d’Auge, depuis le site du Mont Paon. Quoique bien présentes, les oliveraies s’y combinent avec les autres éléments du paysage de petit bassin intérieur
Source : Cliché P. Dérioz
11Nous proposerons une approche pondérée de cette question en évaluant les facteurs positifs et négatifs qui permettent d’y répondre.
- 6 L’Occitane en Provence est une entreprise internationale de produits cosmétiques provençaux née en (...)
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12Trois aspects positifs sont à retenir. Le premier est celui de la valeur ajoutée. Le produit principal, à savoir l’huile d’olive, présente des coûts de production et des prix de vente, en même temps que de faibles volumes, qui lui interdisent l’accès aux marchés de gros internationaux, et pratiquement à l’exportation, sauf dans des boutiques de luxe comme celles du réseau de l’Occitane en Provence6. L’huile d’olive française est condamnée à la vente locale, et micro locale (quand il s’agit de vente à la propriété. C’est évidemment aujourd’hui très recherché dans l’expérience touristique. Le tourisme au sens large (dans son gradient qui va de l’international à l’excursionnisme des loisirs de proximité) est devenu le client saisonnier de cette huile achetée sur place et ramenée chez soi au terme du séjour. Mais les habitants permanents, hors saison, fournissent aussi une clientèle à la recherche d’un produit du terroir, donc forcément et fortement identitaire. Huile dont les produits dérivés sont considérés comme vertueux. Et ce contrairement à la vigne, et son produit principal le vin, qui encaisse de plein fouet, après l’affirmation séculaire d’une « exception culturelle française », deux effets paradoxaux. Celui des réglementations plus strictes concernant la consommation d’alcool (le degré d’alcool dans le sang autorisé tend désormais vers « 0 ») qui a fait fi de la trop fameuse « exception française » et les modifications des consommations (la concurrence de la bière et des alcools forts, voire du mélange des deux, sont devenus « tendance »). Il est d’ailleurs curieux que la viticulture n’ait pas joué de l’uviothérapie qui dans l’entre deux guerres mondiales avait fait la renommée d’Avignon et des plaines environnantes à partir de cures de raisin de table. Sans doute que l’académie ne s’était pas montrée suffisamment convaincue des bienfaits du jus de raisin sur les problèmes digestifs. Mais il est singulier de constater qu’avec un décalage séculaire se produit pour l’huile d’olive un engouement du même ordre (elle est au cœur du régime dit « méditerranéen »). Surprenant d’ailleurs qu’aucun lien ne soit fait entre ces deux histoires alors même qu’il reste un patrimoine uval ignoré alors qu’il est parfois remarquable… et à proximité de celui de l’olivier (le Thor hôtel du Chasselat, Avignon square Agricole Perdiguier…). Surprenant aussi, et alors que la culture de raisin de table tend à s’étendre que la résilience soit absente et pas même invoquée dans la communication. L’olivier résiste bien à la sécheresse (mieux qu’aux gelées tardives comme celle de l’hiver 19567). Son adaptation au réchauffement climatique est meilleure que celle de la vigne qui nécessite désormais (même pour les AOC !) un arrosage d’appoint et qui donne un degré alcoolique trop élevé.
13D’autres aspects négatifs sont aussi à examiner. Et d’abord, la concurrence des autres pays méditerranéens. Un litre d’huile d’olive est vendu en AOC au-dessus de 35 € quand on trouve en provenance du Portugal, d’Italie ou d’Espagne une huile excellente deux à quatre fois moins chère. Cela entraîne d’ailleurs quelques trafics et falsifications sur l’origine même des huiles françaises. La fragilité économique de la « filière ». L’huile d’olive est certes une matière première issue du moulinage qui est désormais assez standardisée au niveau européen (pression à froid, vierge…) mais qui n’est pas sans risque. L’irrégularité interannuelle locale de la production. Sur un terroir on peut compter sur un rythme trisannuel, soit : une bonne récolte pour une année quasiment nulle et une autre moyenne. L’olivier est touché par des maladies récurrentes (la fumagine, l’armillaire couleur de miel, la teigne, la verticilliose, le psylle, la cochenille, la pyrale du jasmin, l’otiorhynque, le thrips…) mais aussi par l’apparition d’une bactérie (Xylella fastidiosa) qui nécessite l’arrachage systématique des sujets touchés. Grave danger qui se propage d’autant plus vite que bien des replantations proviennent de régions contaminées. Le grignotage par l’urbanisation du parcellaire oléicole continue. Certes dans les lotissements sis d’anciens vergers on conserve une partie des oliviers les plus âgés et l’on revend les arbres arrachés pour être replantés plus loin. Mais les oliveraies ont la particularité d’avoir été implantés sur des terrasses bien exposées au soleil en périphérie des centres urbains anciens. Des terrains qui deviennent constructibles au gré de l’extension de l’urbanisation. D’autant que le cadre qu’ils offrent est vendeur pour la promotion immobilière, elle est attractive pour les acheteurs. Habiter dans une ancienne oliveraie est un plus paysager et environnemental apprécié qui se traduit par une conservation d’arbres, de restanques et qui proroge « la tradition » (qui parfois n’a été réinventée qu’il y a une dizaine d’années) d’apporter sa production, aussi anecdotique fusse-t-elle, au moulin.
14En Provence la diversité des situations rencontrées brouille l’image oléicole de la destination et ne permet qu’à la marge l’émergence d’un authentique « oléotourisme ». Mais à l’analyse d’autres exemples il faudrait aussi se demander si un tel agro-tourisme existe, est possible voire envisageable, dès lors qu’il s’appuie et valorise une arboriculture.
15Difficile, hors des terroirs d’AOC, de dire que se développe une forme de spécialisation touristique centrée sur l’olivier, son patrimoine et les produits oléicoles. Toujours présent l’olivier n’est jamais le cœur du produit proposé. Il est plus souvent associé à de multiples autres produits du terroir, en général le vin, mais aussi à des considérations et des offres culturelles qui dépassent largement l’arbre et son fruit (Bachimon, 2023).
16Mais finalement existe-t-il une région oléicole dans le monde méditerranéen qui ait basé son développement et son marketing sur l’olivier ? Sauf à descendre à la micro échelle de la plantation ou du village nous n’en avons pas d’exemple flagrant même si la labélisation et la signalétique participent à surligner la présence et la place de l’olivier. Il n’y a pas à vrai dire de destination construite sur les multiples produits et usages tirés de l’olivier. L’exemple à reprendre pour bien comprendre la question serait celui déjà évoqué du tourisme uval. C’est un tourisme de cures qui aboutit à la création de stations touristiques dédiées à consommation de jus de raisin (Avignon, le Thor…) voire à la vinothérapie (bains de pulpe) sur le modèle d’une station thermal. Certes les stations ont disparu mais l’offre subsiste aujourd’hui avec le tourisme de bien-être dans l’offre de balnéothérapie et de monodiètes à bases de raisins. Rien de comparable avec l’olivier même autour de la gastronomie à base d’huile d’olive qui reste le principal expérientiel des visiteurs. Il n’y a pas de station oléicole.
17Une telle particularité, celle d’un verger produit touristique, se rencontre-t-elle autour d’une quelle qu’autre arboriculture ailleurs dans le monde, comme c’est le cas pour la viniculture ? Bien entendu le sujet est vaste, et des exemples pris autour de la cocoteraie en Thaïlande, de la Palmeraie (d’Elche en Espagne, de Marrakech au Maroc… des oasis sahariennes de Tunisie) … posent la question d’une définition agro-forestière mono-spécifique du verger qui peut aller jusqu’à accueillir des cabanes dans ses arbres géants. Mais pour rester à la France il y a bien des régions touristiques incluant une production arboricole (le Calvados et le pommier, l’Isère et la noix, l’Agenais et son pruneau, l’Ardèche et sa châtaigneraie…) mais celle-ci se situe en complément d’autres éléments dominants. Le verger intervient alors dans la signature paysagère donnée à voir comme un élément naturel ordonnancé. Là aussi des gradients existent. La châtaigneraie présente un versus agroforestier prononcé par exemple dans le Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche ou le Parc National des Cévennes. Il y fait l’objet d’une AOP (Châtaigne d’Ardèche) et il y est décrit comme une forêt « formée d’arbres souvent âgés et de gros diamètres, avec du bois mort et des cavités offrant des niches écologiques pour de nombreuses espèces »8 auquel échappe le pommier, le noyer, le poirier… rabaissés souvent, voire mis en espalier, pour les besoins de la cueillette ou de l’exposition. L’arboriculture fait plutôt l’objet de spots d’intérêts. Les murs à pêches de Montreuil, reliquat de 28 ha d’anciens vergers du XVIIe siècle qui alimentaient Paris en fruits frais, classés au patrimoine d’intérêt régional de l’Ile de France en 2020, témoignent d’une inscription dans la ville (ici la banlieue parisienne proche) de l’arboriculture. Les spots se présentent d’abord comme des conservatoires à l’image celui de la Thomassine (géré par le Parc Naturel Régional du Luberon). Tandis que des lieux bien connus, tel le Verger Urbain V, au pied du Palais des Papes en Avignon, n’a conservé du XVIe siècle où il fut créé que ses murs d’enceinte qui ont été réaménagés en aire de jeux pour les enfants. Et il est d’ailleurs avant tout connu pour sa réappropriation par le festival d’Avignon comme lieu de rencontre artistique ouvert au public. Donc comme lieu-dit, ce qui s’avère le cas de bien des vergers qui ont disparu et ont laissé leur toponyme à des lotissements, des rues, des quartiers...
18Quel que soit l’importance de l’olivier dans la culture méditerranéenne elle ne semble pas capable de pouvoir fédérer autour de lui seul une démarche touristique. C’est bien en association avec d’autres produits (vin, lavande…), comme élément d’une polyculture, que l’olive semble pouvoir faire sens. Aussi c’est bien dans une approche polyculturelle, partant de la diversité et de la complexité des associations, qu’il nous semble que l’olivier puisse s’intégrer pour enrichir l’exposition qui en est faite. Cela amène à s’interroger sur la multiplication des musées, écomusées, maisons… et autres routes de l’olivier. Extraire l’olivier de son environnement, l’isoler, afin de le mettre au centre de la curiosité touristique apparaît comme un artefact répétitif. La démarche démultipliée à l’échelle locale de la mise en musée semble mieux répondre à une attente identitaire régionale (Fournier, 2023), voire professionnelle, qu’à une demande touristique qui peut se satisfaire d’une visite unique d’un seul musée de l’olivier… une bonne fois pour toute. Cette focalisation revient finalement à donner une importance démesurée à l’arbre et ses produits. La conjonction entre les deux demandes reste à inventer.
19Il serait encore bien ardu de démêler de manière univoque à partir de nos enquêtes et de la littérature vers quoi l’on se dirige en matière d’inclusion de l’olivier dans la valeur ajoutée touristique de la Provence. Le message reste brouillé derrière l’apparente mise en avant de l’olive et de l’olivier comme marqueurs identitaires. Certes les oliveraies ont été restaurées voire replantées, elles sont exploitées pour leur huile (plus rarement pour l’olive de table) qui est proposée au moulin, en boutique de souvenir et dans les musées et différents ODT. Maintenant, le prédicatif tangible clairement positif en terme de dynamiques, de résolution politique affichée et de volontés individuelles entrepreneuriales reste soumis à bien des aléas et des dispositifs territoriaux disparates. Reste aussi que la production d’olives en Provence demeure une niche au regard de la concurrence internationale. L’infra discours ambiant pourrait faire penser que le réchauffement climatique tendra à favoriser l’arrière-pays provençal au détriment des pays méditerranéens situés plus au sud. Il s’agit là d’une hypothèse de délocalisation (glissement du centre de gravité de l’oliveraie méditerranéenne vers le nord) optimiste qui n’inclut pas un renforcement possible des valeurs extrêmes météorologiques (gels plus tardifs et très prononcés, coefficient d’aridité estival renforcé et partage de l’eau disponible entre usages touristiques et agricoles par exemple qui peut conduire à des arbitrages et conflits entre ce qui reste complémentaire dans le schéma actuel de développement…). La visibilité de la filière émergente apparaît à vrai dire plutôt soumise à la conjoncture économique, voire à l’accentuation de l’aléa météorologique qui semble caractériser la période actuelle de transition.
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