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La politisation du voyage face à la biopolitique : (Im)mobilités, médiations technologiques et discours identitaires dans les réseaux d'hébergement collaboratif pour les femmes.

Thaís Costa
Traduction de Maria Gravari-Barbas
Cet article est une traduction de :
Travel politicization facing biopolitics: (Im)mobilities, technological mediations, and identity discourses in collaborative hosting networks for women [en]
Autre(s) traduction(s) de cet article :
Politização de viagens face à biopolítica: (I)mobilidades, mediações tecnológicas, e discursos de identidade em redes de hospedagem colaborativa para mulheres [pt]

Résumé

Cet article étudie la façon dont la représentation biopolitique des voyageurs est affectée, sur un réseau d'hébergement collaboratif de femmes noires brésiliennes, par l'activisme politique. Le contexte de l'économie capitaliste néolibérale influence les comportements et la production de subjectivités qui sont fortement renforcés par les intermédiaires technologiques et médiatiques, tels que les plateformes et les réseaux sociaux. Dans le scénario où le tourisme émerge comme un phénomène biopolitique, la logique du marché classe les corps des voyageurs de façon asymétrique en termes de mobilité (Sheller, 2017). La méthodologie a consisté en une revue de la littérature, une ethnographie du groupe de femmes Couchsurfing das Pretas hébergé sur Facebook, et une analyse de la plateforme mise en place pour médiatiser leurs interactions. Les résultats ont indiqué une politisation du tourisme à partir de l'utilisation intense des plateformes numériques et de la valorisation des identités comme un mouvement de biopotence contre les discours biopolitiques.

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Notes de la rédaction

Article évalué par les pairs. Cet article est basé sur la recherche de thèse de l'auteur.

Texte intégral

Introduction

1La complexité et l'émergence du phénomène collaboratif et le développement de la culture des plateformes, à travers laquelle la médiation des technologies numériques affecte nos vies et nos sociétés (Van Dijck et al., 2018), ont modifié les modes de déplacement. La diversité des offres de services et l'utilisation intense des réseaux sociaux favorisent de nouvelles façons de vivre les lieux et même la compréhension du fait d’être un voyageur.

2D'une part, une structure sociale impose des hiérarchies corporelles qui incluent et excluent les personnes de nombreux types de mobilités, notamment touristiques. Elle fait partie de la biopolitique, une manifestation du pouvoir par l'inclusion des mécanismes de la vie biologique des êtres humains dans la gestion politique d'un État, qui commence à les gérer et à les administrer (Foucault, 2008).

3D'autre part, les réseaux de collaboration développent des liens subversifs qui peuvent améliorer l'accès aux voyages et aux loisirs pour des personnes qui, au départ, ne se reconnaissaient pas comme des voyageurs, constituant ainsi un mouvement de résistance. Les relations de pouvoir entre les personnes, les institutions et le gouvernement agissent sur la vie dans différentes sphères. Par conséquent, il existe un contrôle de la société sur les individus par la conscience, l'idéologie et le corps, appelé biopouvoir par Foucault (2008). Ces opérations peuvent influencer nos subjectivités et, par conséquent, nos pratiques de voyage.

4Les groupes de femmes, en particulier les femmes noires, peuvent être des exemples d'organisations politiques dans le domaine du tourisme, car ils cherchent à changer la représentation des femmes dans la société, en passant du statut d’une personne qui prend soin des autres à une vie mobile qui se met en valeur. Les réseaux de soutien font partie des mouvements qui ont renforcé le féminisme ; et parmi les différentes pratiques soutenues, le voyage en est une. Les interlocutions qui ont lieu dans les groupes de partage d'hébergement résidentiel sont un exemple de ces réseaux de soutien. Dans les interactions en ligne, les femmes demandent et offrent un endroit où dormir : un canapé où peuvent se construire ensemble des liens et des relations sociales, favorisant leurs mobilités.

5Les flux globaux et informatisés de la société néolibérale contemporaine permettent une mobilité dans différents domaines et dimensions. Cependant, ils mettent en évidence des inégalités et des conflits qui peuvent être liés à l'orientation sexuelle, au genre et/ou à l'origine ethnique des personnes, ce qui implique des avantages ou des inconvénients dans ce contexte de mobilité. Les régimes de mobilité déterminent qui, quand, où et comment on peut se déplacer, ce qui implique un désir de justice en matière de mobilité, comme le souligne Sheller (2017).

6Pour les femmes qui partagent un logement, comme cela a été étudié dans cette étude ethnographique, cette intégration comprend des relations par identification et un militantisme par réciprocité. Ces réseaux agissent contre certaines difficultés rencontrées lors des recherches de voyage, comme les frais d'hébergement et la peur de partager un logement avec des hommes inconnus. Des groupes pluriels et politisés sont créés, tels que Couchsurfing das Pretas, Diaspora.black, et Innclusive, dans lesquels les conditions ethnico-raciales suscitent également des divergences.

7Ce chevauchement s'inscrit dans un scénario de diversité croissante des pratiques touristiques associé à l'actuel capitalisme de l'information. Par conséquent, l'idéal collaboratif favorise le partage et les relations entre pairs, sur la base de structures de réseau plus décentralisées ; il est recherché, principalement, par ceux qui privilégient le partage et les interactions sociales, comme l'expliquent Dredge et Gyimóthy (2017). Parmi les initiatives d'hébergement collaboratif, le succès des plateformes, telles que Couchsurfing et Airbnb, a posé des problèmes. Cela contredit l'idéal inclusif que le terme collaboratif était initialement censé être, en signalant des cas de discrimination ethnique, de genre ou d'orientation sexuelle, ce qui entraîne un pseudo-partage tel que défini par Belk (2014).

8En se situation à la convergence de l'augmentation des initiatives collaboratives des femmes noires (Costa, 2021), de l'utilisation dure des plateformes numériques, et de la valorisation des mobilités (Elliot et Urry, 2010), cet article étudie la façon dont la représentation biopolitique des voyageurs est affectée, sur un réseau d'hébergement collaboratif pour les femmes noires brésiliennes, par l'activisme politique.

9Ainsi, la recherche cherche à comprendre la rupture avec le discours biopolitique à travers les dynamiques existant dans ces relations collaboratives et politiques entre femmes, médiatisées par des plateformes numériques. Elle s'est concentrée sur les réflexions relatives à la transformation d'une représentation de voyageurs en tant que mouvement de résistance aux mécanismes biopolitiques de la société.

10L'enquête est basée sur une revue systématique de la littérature qui alimente les théories et les concepts sur la biopolitique, les relations de genre, la consommation collaborative, la médiation et les réseaux numériques. Une comparaison est faite avec la société des plateformes, développée par Van Dick et al. (2018), pour analyser les différentes technologies dans les pratiques touristiques. L'étude empirique analyse le mouvement politique considérant les femmes noires, soutenu par la théorie de la biopolitique et son association avec le biopouvoir (Pelbart, 2007) et le tourisme, pour mettre l'accent sur les structures et les agences (Lapointe et Coulter, 2020).

I. La consommation de voyage sur une culture de plateforme

11De nombreuses pratiques touristiques peuvent être expliquées comme des représentations touristiques contemporaines, comme une production sociale, ainsi que le soulignent Lapointe et Coulter (2020). Pour ces auteurs, les technologies de l'information peuvent influencer et discipliner l'espace et les personnes, comme un contrôle biopolitique. Dans ce contexte, les indices financiers élevés des entreprises ayant une approche collaborative montrent leur croissance rapide et leur forte relation avec le développement technologique. Une culture réussie de la connectivité (Van Dijck, 2013) peut être comprise comme une participation substantielle des plateformes de médias sociaux dans nos vies. Ce sont des outils qui permettent de créer des liens en partageant des contenus de communication expressifs et qui nous conduisent même à une dépendance imaginaire à leur égard dans différents domaines.

12Ces plateformes renforcent également les relations de pouvoir. Dans la société biopolitique contemporaine, le pouvoir est décentralisé, sur les réseaux, et affecte la façon dont les gens pensent (Pelbart, 2007). Que ce soit pour partager des moments et des expériences avec des amis, vendre ou acheter des produits et services, trouver un partenaire ou planifier un voyage, les plateformes de médias sociaux s'insèrent massivement dans notre quotidien. Van Dijck et al. (2018) font référence à cette culture constitutive d'une « société des plateformes », en soulignant que ces supports communicationnels sont des producteurs sociaux, en raison de leurs relations intrinsèques aux structures sociétales.

13Dans ce scénario, les dimensions technopolitiques des médias sociaux et des plateformes prévalent, affectant de nombreux secteurs, tels que l'éducation, la santé et les transports, et incluant des conflits pour différents intérêts. Ces dynamiques affectent également le tourisme dans toute sa complexité sociale, économique et environnementale. En outre, dans ce jeu de pouvoir asymétrique, les utilisateurs et la matérialité se constituent mutuellement (D'Andrea, 2020).

14Bien que la logique du capital et les structures technologiques imposent certaines actions et comportements, l'ensemble des personnes, des collectifs et des institutions contribuent à transformer constamment les modes de vie et l'organisation sociale. Les concentrations de pouvoir et de capital peuvent entraîner un accès inégal à l'information, aux biens de consommation et à la mobilité. D'autre part, la structure sociale présente également des lacunes dans les processus de création collective pour développer des usages nouveaux et expressifs de ces mêmes outils technologiques (D'Andrea, 2020).

15Les différentes modulations de la consommation des voyageurs provoquées par les médias se répercutent sur les styles de vie et les "dimensions discursives et culturelles de la fabrication du monde" (Lapointe et Coulter, 2020). En même temps, ils prônent l'autonomie de ces sujets, ce qui favorise aussi des réactions en sens inverse de leurs multiples agences. Les transformations cognitivo-comportementales et communicationnelles provoquées par le développement des technologies numériques, principalement, contribuent à la formation subjective de ces consommateurs, de sorte que les voyageurs contemporains, plus autonomes et hétérogènes, se différentient du paradigme de la modernité.

16Sur la société de la plateforme, la segmentation du tourisme est mise en avant. Les mobilités touristiques sont valorisées et basées sur la marchandisation des expériences, rendant les services aussi personnels que possible. Les stratégies qui explorent plusieurs dimensions pour engager les clients de manière personnelle et promouvoir des expériences mémorables sont intentionnellement créées. Ainsi, elles offrent un service différencié qui est cohérent avec les attentes du client, dans la logique de l'économie ascendante de l'expérience (Gilmore et Pine II, 2002).

17En ce sens, les entreprises d'hébergement proposent non seulement des logements communs mais aussi des hébergements dans des lieux exotiques ou atypiques, comme une cabane dans un arbre ou une caravane. Au fil du temps, nombre de ces plateformes, comme Airbnb et Diaspora.black (une plateforme d'hébergement brésilienne qui promeut la culture noire), ont également élargi les expériences proposées à d'autres activités extra-hôtelières, qui comprennent des cours, des ateliers, des réunions et des visites.

18La commercialisation des expériences est liée aux luttes de pouvoir, centralisant certains sujets et entreprises, comme Airbnb, qui contrôlent les technologies et le capital dominants (Costa, 2021). Cependant, les inégalités visibles n'invalident pas l'agence des consommateurs expressifs, malgré leurs différentes manières d'établir ce qui est consommé.

19L'expérience touristique est influencée par l'appréciation de l'autonomie du voyageur, qui a un plus grand pouvoir de décision. Cohen (1979), Netto et Gaeta (2010) et Ryan (2002) ont mis l'accent sur le concept de " tourisme d'expérience " comme quelque chose de personnel, même si toute pratique touristique peut être considérée comme une expérience positive ou négative. Dans ce cas, la cible est le désir et l’affirmation des touristes contemporains, comme une plus grande "authenticité" dans les produits et services offerts.

20Les récits médiatiques encouragent les individus à être de plus en plus mobiles et utilisent des images qui favorisent les relations interpersonnelles entre hôtes et voyageurs, comme la campagne publicitaire d'Airbnb "Made possible by hosts". Ce style de voyage est désormais diffusé dans les groupes de voyageurs indépendants sur Internet, notamment le groupe de femmes noires brésiliennes étudié dans cette recherche.

II. (Im)mobilités, femmes et pratiques collaboratives

21Qui peut voyager et comment ? Qui peut consommer des expériences ? L'image du voyageur a longtemps été associée, dans les médias traditionnels, à des personnes blanches, en bonne situation socio-économique, et fréquemment accompagnées de leur famille. Il n'est pas courant au Brésil, ni dans de nombreuses régions du monde, de voir, même de nos jours, des publicités qui mettent en avant des femmes voyageant seules, par exemple, ou des Noirs dans une station balnéaire. Les contraintes de mobilité auxquelles sont confrontés de nombreux groupes sont le résultat du tourisme biopolitique, pratiqué par le gouvernement de la population (Ek et Hultman, 2008). La consommation de voyages et les mobilités sont liées aux caractéristiques corporelles dans le contexte de luttes de pouvoir. Dans une société asymétrique, les régimes de mobilité déterminent qui peut voyager, quand, où et dans quelles conditions spécifiques, comme l'explique Sheller (2017).

22Pour certains de ces groupes, l'économie de partage est un moyen possible de résister et d'accéder au tourisme car il a l’avantage de réduire les dépenses. Cette alternative peut offrir de plus grandes possibilités d'accès aux biens et services (Fournier, 1998) et promouvoir un tourisme plus accessible à différentes personnes. Les voyages, qui, il y a quelques décennies, étaient surtout appréciés par les classes économiquement privilégiées, ont été popularisés par le biais de certaines options de services gratuits ou à moindre coût. Le couchsurfing est une plateforme qui promeut l'hébergement gratuit de voyageurs. Cependant, ces évolutions ne touchent pas tout le monde, et présentent plusieurs limites.

23Bien que le don numérique et les plateformes collaboratives stimulent et facilitent les flux de voyage, plusieurs obstacles perdurent, éloignant cette pratique d'une grande partie de la population. Le modèle global impose certains comportements et rend les mobilités impossibles ou difficiles pour les classes économiques inférieures. En effet, dans une réalité sociale où les besoins de base, comme la nourriture et le logement, ne sont pas satisfaits, la mobilité touristique est un désir qui est encore loin d'être démocratisé (Hernandez et al., 2009).

24Les indicateurs de mobilité dépendent des structures de pouvoir déjà bien établies. Les groupes historiquement et socialement défavorisés, tels que les femmes et les Noirs, se retrouvent dans une position très inégale face aux couches dominantes, qui bénéficient de privilèges dans différents domaines, comme l'accès aux déplacements volontaires de personnes.

25Les préoccupations en matière de sécurité affectent fortement les femmes qui voyagent seules, ce qui représente un acte de courage dans la société. En outre, les relations d'interdépendance, notamment familiales, peuvent interférer directement avec ces mobilités, car elles affectent différemment les hommes et les femmes. Cela fait référence à la prise en charge d'autres personnes, travail traditionnellement effectué par les femmes, ainsi qu'aux tâches productives et reproductives et aux rôles communautaires, comme le soulignent Jirón et Gomez (2018). Ainsi, plusieurs mères cessent de voyager pour s'occuper de leurs enfants ou parce qu'elles assument de multiples responsabilités à la maison. Ces tâches peuvent également être confiées aux hommes dans de nombreux cas, mais sont généralement attribuées aux femmes.

26Les inégalités de genre contribuent à la formation de réseaux collaboratifs féminins, dans le sens d'une politique des biens communs, comme le souligne Federici (2020). L'auteur explique que les féministes matérialistes du 19ème siècle ont conduit à des mouvements collaboratifs, qui se prolongent jusqu'à aujourd'hui, par idéologie ou par nécessité, sur la base de relations de confiance.

27Dans l'hospitalité contemporaine, la réputation et la confiance sont des valeurs précieuses et sont fondamentales pour les opérations des plateformes d'hébergement collaboratif. Costa et al. (2017) mettent en relation l'indice de confiance des utilisateurs d'Airbnb et de Couchsurfing avec leur degré d'empathie. La quantité d'informations renseignées sur les plateformes et les références reçues influencent la crédibilité du profil. Ainsi, l'instauration de la confiance dans les réseaux socio-techniques est une condition pour créer des liens dans l'économie collaborative.

28Cependant, différents facteurs influencent ces négociations et mettent en évidence les régimes inégaux de mobilité. Edelman et Luca (2014) suggèrent que le type d'informations insérées dans les profils peut provoquer des cas de discrimination concernant l'ethnicité, le sexe, l'âge ou d'autres aspects de l'apparence. Les auteurs ont combiné les données et les images de tous les propriétaires Airbnb de la ville de New York avec leurs prix de location et leurs informations, et ont conclu que les hôtes non noirs gagnent environ 12 % de plus que les hôtes noirs pour un loyer similaire. Cette étude a eu un retentissement international et a suscité de grands débats sur les faiblesses et les contradictions de l'économie collaborative, en mettant l'accent sur l’accumulation de capital par des nombreuses sociétés d'hébergement alors qu’elles brandissent le drapeau de la collaboration. Des cas de racisme ont été signalés dans d'autres situations et également exposés par les médias.

29En 2016, une Afro-Américaine, Quirtina Crittenden, a créé le hashtag #AirbnbWhileBlack avec des témoignages sur des cas de discrimination raciale sur internet, tant par des hôtes que par des invités. Dans une interview accordée à National Public Radio - NPR le 26 avril 2016, Quirtina a commenté les difficultés à obtenir une réservation sur la plateforme. Elle est devenue méfiante lorsqu'elle a réalisé que, malgré les justifications reçues par les propriétaires pour refuser un hébergement, les résidences étaient toujours disponibles à la location aux mêmes dates. Le hashtag a connu un tel succès qu'il est encore utilisé comme moyen de protestation.

30L'entreprise a établi une série de normes inclusives concernant le genre, l'orientation sexuelle et l'origine ethnique. Elle a développé des outils techniques pour réduire les cas de discrimination. Selon The Guardian, les analystes de l'information cherchent des alternatives par le biais d'algorithmes, afin de pouvoir effectuer des recherches plus neutres. L'entreprise a embauché davantage d'employés noirs et a mis en place des outils de signalement. En outre, les photos de profil ne peuvent être consultées qu'après la confirmation de la réservation.

31Le parti pris algorithmique d’une plateforme comme Airbnb est prédéfini et fonctionne à partir de schémas qui reproduisent automatiquement les subjectivités et les discours de la biopolitique du tourisme. Si une société est raciste, ses valeurs seront reproduites dans l'environnement en ligne. Pour cette raison, lorsqu'elle est basée sur une valeur ajoutée, qui dépend de la production d'intelligence collective, la gestion informatique des organisations tend à se préoccuper des dynamiques symboliques, exigeant une évaluation constante de la programmation algorithmique (Pasquinelli, 2009).

32Les caractéristiques présentées dans le profil et les facteurs qui ne sont pas liés au comportement mesurent l'indice de confiance de ces utilisateurs. Ces actions rendent explicites le racisme et les autres discriminations sociales. Les actions de marquage sont construites, classant l'autre comme un négatif, ce qui est communément lié à la condition d'être noir. La marginalisation de ces "sujets différents" résulte d'une histoire capitaliste de la soumission, des usages et des abus des corps. La logique de l'exploitation néolibérale est liée à l'universalisation de la condition des Noirs. Ainsi, le concept renvoie à un état de soumission, un sentiment qui se répercute dans les rapports sociaux en général (Mbembe, 2014).

33Malgré ces asymétries de l'internet, les disputes discursives et l'activisme politique dans les réseaux représentent déjà des changements significatifs, comme on le voit dans le cas d'Airbnb. Les pratiques collaboratives, malgré leurs limites, maintiennent le potentiel d'inclusion à travers des manifestations solidaires et organiques (Federici, 2020). Certaines initiatives réagissent à la discrimination, comme le groupe de femmes considéré dans cette recherche, qui se présente comme des alternatives plus inclusives, aux discours politiques.

34Il s'agit de mécanismes visant à établir des paramètres et à rendre les voyages possibles pour ceux qui ont un capital financier, social et de réseau restreint, ainsi que la création de liens entre les participants. Ces femmes utilisent les dispositifs technologiques disponibles sur les plateformes mais apprécient les discours inclusifs et une organisation plus décentralisée et participative. Les demandes des femmes qui ont souffert de discrimination et qui recherchent des environnements accueillants dans leurs voyages renforcent les réseaux.

35L'économie collaborative implique le partage, et d'autres pratiques de consommation. Bien que les réseaux collaboratifs doivent suivre les protocoles et les normes des plateformes, ils actualisent les conceptions du voyage et contribuent à la complexité de ces modes de consommation, en englobant d'autres dimensions sociales (Dredge et Gyimóthy, 2017). Les identités, les modes de vie et le voyage comme acte politique sont formées à partir de ces réseaux collaboratifs.

III. Méthodologie

36Outre l'analyse théorique de la biopolitique et ses relations avec les mobilités, le genre et les réseaux collaboratifs, cette recherche s’appuie sur un travail ethnographique dans le groupe brésilien Couchsurfing das Pretas, hébergé sur le média social Facebook. L’étude ethnographique visait à comprendre les relations, les interactions et les appropriations basées sur la participation active dans ces environnements virtuels, combinée à des entretiens approfondis avec dix femmes. Bien que l'auteure se soit identifiée à la position du groupe, étant également une femme brésilienne et défendant un tourisme plus inclusif, l'ethnographie a élucidé les idées, les besoins et les liens des participants.

37Le processus d'immersion de l'ethnographie a duré trois ans, de 2018 à 2021. Au cours de cette étude, l'auteure s'est présentée comme chercheuse et a été autorisée à rejoindre le groupe enquêté. Son identité de femme métisse et son positionnement politique en faveur d'une politique de justice en matière de mobilité étaient fondamentaux pour son intégration dans le groupe. Sa participation à la plateforme a combiné l'observation des interactions, la publication de commentaires et de réactions sur les publications, l'accueil d'une participante dans sa résidence pendant deux jours et l'envoi de messages privés aux femmes les plus engagées dans les discussions de la plateforme.

38Toutes les femmes sélectionnées pour les entretiens ont facilement accepté l'invitation en ligne. Pour six d'entre elles, les entretiens se sont déroulés en ligne, en raison des restrictions liées à la pandémie et parce qu'elles vivaient dans d'autres villes. Pour les quatre autres femmes, il était possible de s'entretenir personnellement, dans des espaces publics de Rio de Janeiro. Bien qu'elles aient consenti à transmettre les informations pour des publications ultérieures, leurs noms ont été préservés à des fins éthiques.

39Les données collectées sont constituées de transcriptions d'entretiens, de rapports réalisés pendant cette période, et de quelques captures d'écran des discussions de groupe (photographies et textes). Pour analyser ce matériel, les sujets de discussion ont été classés par catégorie, et les plus commentés ont été mis en évidence. Les résultats et les théories étudiés se sont basés sur des discussions empiriques et théoriques qui ont considéré les pratiques et les discours de la biopolitique dans l'interaction du groupe et leurs implications dans la consommation de voyages et les usages des technologies de l'information.

IV. La biopotence face au biopouvoir

40Le discours biopolitique politique de la vie représente les Noirs comme des travailleurs mais pas comme des voyageurs. De la résistance à cette condition immobile naît la puissance et le pouvoir de la vie répond au pouvoir sur la vie, comme l'affirme Pelbart (2007). Pour aider d'autres femmes noires à voyager davantage et à se percevoir comme des voyageuses, Laura a créé un réseau brésilien. Selon Laura : « La population noire du Brésil est majoritairement pauvre, donc nous voyageons moins. Mais c'est aussi une question d'origine culturelle et intellectuelle. Notre origine ne vient pas de personnes qui voyagent. Le Blanc a un père qui a voyagé, il a une tante qui a voyagé. Elle vient de gens qui voyagent, qui l'enseignent. Nous ne l'apprenons pas parce que nos ancêtres ne voyageaient pas pour le tourisme. Nos ancêtres voyageaient dans l'autre sens, malheureusement. Donc, ma génération est probablement la première dans laquelle les femmes noires ont pu faire cela. Je pense qu'il y a un élément, à la fois financier et matériel, ainsi que l'élément culturel, une culture à laquelle nous n'avions pas accès. » (Laura, lors d'un entretien)

41Le témoignage de Laura souligne la volonté de transformer l'histoire des femmes noires, en passant de mobilités forcées par le passé à des mobilités volontaires aujourd'hui. Le réseau peut y contribuer. Couchsurfing das Pretas, comme le montre la figure 1, est un groupe brésilien uniquement destiné aux femmes noires, hébergé sur Facebook et comptant plus de 2 200 membres. Il a été créé en mai 2015 et fait la promotion de la culture afro-diasporique. Les idéaux de la plateforme Couchsurfing.org ont inspiré le réseau. Il est à but non lucratif et maintient un haut niveau d'activité, comme des publications fréquentes, un grand nombre de membres et différentes approches du voyage. La plupart des participants sont de jeunes femmes de premier et deuxième cycle universitaire, âgées de 20 à 38 ans.

Figure 1 : Couchsurfing das Pretas Group

Figure 1 : Couchsurfing das Pretas Group

Capture d'écran sur Facebook, 10 décembre 2020

42Les interactions sur le réseau comprennent à la fois l'offre et la demande d'hébergement, des conseils et des informations sur le voyage, et une éventuelle compagnie pour des visites. Ainsi, Laura affirme que le groupe peut aider ces femmes à voyager davantage, puisqu'elles peuvent et ont le droit d'accéder à des mobilités auxquelles n'en avaient pas droit auparavant.

43Joana, une étudiante en psychologie de 22 ans, qui a eu une expérience de Couchsurfing par l’intermédiaire du groupe, est d'accord avec Laura. Elle a apprécié les informations sur les voyages économiques ainsi que les offres de Couchsurfing, des opportunités que les membres de sa famille n'avaient pas, comme elle l'a commenté : « Cette question du voyage pour ma famille n'existe presque pas, une possibilité de voyager. Ma mère l'a à peine fait dans sa vie. Je pense qu'elle n'est partie longtemps que pour rendre visite à ses proches, vous savez ? Et elle ne les a pas vus depuis de nombreuses années. Je pense que c'est le voyage que ma mère devrait faire. Et maintenant je l'ai fait. Mais grâce à ces alternatives ». (Joana, lors d'un entretien)

44Ces expériences modifient les relations de collaboration et établissent un dialogue entre les idéaux de l'hospitalité et les principes du don, comme l'explique Mauss (2015) en étudiant les systèmes d'échange entre les tribus polynésiennes. Les préceptes de ces pratiques sont fondés sur les interactions du cycle don – contre don basé sur la réciprocité, compris comme le fondement de toute société, même si de nombreuses ruptures et discontinuités se produisent dans ce cycle.

45Offrir sa maison à un étranger et séjourner chez un étranger, sans aucun échange monétaire, est un exemple de ces échanges. Par ailleurs, les processus collaboratifs se sont renforcés de manière exponentielle, basés sur le désir d'intensifier une relation dialogique entre les visiteurs et l'hôte, de produire et de consommer de manière partagée et durable. Cependant, ces cas sont loin des modèles de marché mentionnés plus haut, se rapportant davantage à des groupes d'échanges solidaires comme alternative aux services payants.

46Le caractère politique du mouvement est plus évident dans ce contexte, en pensant la rétribution comme un acte de réparation sociale et d'affirmation identitaire. Les limites et dissonances exposées dans les plateformes collaboratives ont impliqué les organisations qui ont créé des groupes de femmes non seulement pour rassembler des profils de voyageurs similaires et répondre aux demandes du marché, mais aussi pour agir en faveur d'idéologies politiques autour du voyage.

47Dans la plupart des cas, l'adhésion au groupe est basée sur les recommandations d'amis. Les participants invitent leurs relations à faire partie de cet environnement spécifique, qui défend des idéaux qu'ils partagent. Il existe également une possibilité de cooptation pour ceux qui ont une certaine affinité avec le réseau mais qui ne partagent pas ses idéaux. Pour ceux qui ne connaissaient pas le modèle d'hébergement collaboratif, lorsqu'ils ont reçu une recommandation de personnes qu'ils reconnaissent et respectent, ils ont montré au moins une certaine curiosité pour le sujet et se sont identifiés aux propositions. De l'adhésion à la participation active au groupe, les chemins et les processus diffèrent en raison d'intérêts et de réalités différents.

48Ainsi, un capital réseau est proposé (Elliot et Urry, 2010), c'est-à-dire la capacité de joindre des personnes de différentes distances, pour obtenir des avantages financiers, émotionnels ou pratiques. Bien que le capital réseau puisse être grandement favorisé par les privilèges sociaux et économiques, il se forme également au sein de groupes tels que le Couchsurfing das Pretas, même avec ses limites, grâce à certaines stratégies. Il est remarquable dans ces flux de communication la capacité d'étendre le capital réseau à des personnes qui ne l'avaient pas beaucoup développé.

49Le réseau a des règles claires pour améliorer l’organisation des contenus en ligne. Les types de publications consistent en des demandes et des offres d'hébergement gratuit, des promenades, des conseils sur des destinations ou des attractions touristiques, des entreprises et d'autres sujets de voyage collaboratif. Pour faciliter la recherche et pour une meilleure visualisation, chaque publication doit contenir des balises, au début du texte, en utilisant des crochets ou des parenthèses pour faire référence à l'information. Elles indiquent s'il s'agit ou non d'une demande ou d'une offre d'hébergement ; le type d'hébergement, par exemple [est un canapé], [n'est pas un canapé] ; le lieu [Rio de Janeiro], [Paris] ; et d'autres balises.

50Le mouvement redessine la consommation touristique et les subjectivités. Pour certaines femmes qui auparavant ne pouvaient pas profiter des voyages ou n'appréciaient que peu cette pratique, le réseau augmente leurs opportunités et, par conséquent, le marché touristique devient encore plus hétérogène. Bien que dans ces groupes il y ait une idéologie politique commune, qui influence le style de vie et le comportement de voyage, comme l'explique Federici (2020), les identités multiples génèrent de nouveaux besoins et motivations. Elles s’expriment dans l'accueil souhaité, dans la recherche d'une plus grande identification avec l'hôte, dans les types de lieux visités, et parmi d'autres aspects.

51La difficulté de trouver les opportunités de Couchsurfing souhaitées les amène à formuler certaines stratégies, comme le rapporte Roberta. En rejoignant plusieurs groupes d'hébergement et en passant commande auprès de tous ces groupes en même temps, elle pense que son message a plus de chances d'être vu et sa commande acceptée. En outre, le fait de taguer des personnes dans les publications, de réagir et de commenter les posts peut aider les femmes à obtenir un hébergement. Ainsi, elle élargit et renforce son capital réseau qui est essentiel dans cette dynamique.

52Le féminisme lui-même a été remis en question parce que sa référence est destinée aux femmes blanches. Le féminisme noir, représenté par des théoriciennes comme Angela Davis, Bell Hooks, Lelia Gonzalez et Sueli Carneiro, a gagné en force en mettant l'accent sur l'intersection entre le genre et la race. Cependant, cet aspect a déjà posé problème et s'est heurté à l'idée de "Womanist Afrikana", un courant de pensée matriarcal afrocentrique, défendu par la plupart des participants du groupe. Le terme a été créé par Cleonora Hudson en 1987 et se base sur le dialogue avec l'ascendance d'une idéologie développée par les femmes afro-américaines (Hudson-Weems, 1994).

53La connaissance du racisme structurel et de l'intersectionnalité des genres dans la société brésilienne et mondiale est remarquable chez toutes les personnes interrogées. Elles clarifient les inégalités qu'elles subissent à partir d'une base très théorique. Il existe une perception de l'ampleur du problème et de la manière dont il s'intègre aux sphères les plus diverses de la société. C'est pourquoi elles réclament des espaces d'échange, même s'ils sont sujets à des conflits narratifs. Les conflits structurels conduisent souvent ces femmes à chercher des outils et des mécanismes entre elles pour obtenir des avantages dans la société qui les opprime. Elles construisent ensemble la représentation d'un autre voyageur ; leur force fait face aux discours biopolitiques d'un touriste traditionnel.

54La réparation des dommages, historiquement liés à la discrimination ethnique et de genre, que ces femmes souhaitent déconstruire, se voit également dans les lieux qu'elles visitent et la manière dont elles se les approprient. Ainsi, le choix d'une attraction, d'une personne avec qui voyager ou des services de voyage dialogue avec leurs subjectivités, et ces modes de consommation sont encore très marginalisés sur le marché touristique. Les discours et les pratiques de ces femmes sont des déclarations ethniques qui politisent considérablement les concepts de voyageur et de tourisme.

Conclusions

55Les mobilités et les immobilités des voyageurs sont liées aux conflits et aux discours de pouvoir, ce qui établit le tourisme comme un phénomène biopolitique. "Le tourisme fait, défait et refait des mondes et la biopolitique est une façon d'embrasser les enchevêtrements qui produisent son insidiosité et sa bonté " (Lapointe et Coulter, 2020, p. 104). Dans la dynamique de l'économie néolibérale, de nombreuses forces influencent la production de la vie, avec des mécanismes de contrôle et de surveillance. Cette recherche a mis en évidence la représentation limitée des voyageurs exposée par cette structure. Cependant, les mouvements de résistance changent ce scénario, en élargissant la vision du tourisme et du voyageur.

56Les pratiques de partage augmentent les segments et les valeurs dans les modes de consommation. Les plateformes numériques renforcent le discours de réciprocité associé à des idéaux politisés, agissant dans les processus communicatifs non pas comme des supports neutres, mais comme des moyens de communication partiels dans lesquels leurs architectures et leurs grammaires contribuent à la production sociale (Van Dijck et al., 2018). Les interactions dans ces environnements en ligne montrent les relations de pouvoir asymétriques établies dans ces groupes.

57Les technologies de la communication sont cruciales pour le développement du tourisme et les médias ont une forte influence sur la subjectivité des voyageurs. La segmentation des services et la commercialisation des expériences font partie du processus de médiation pour créer l'image du voyageur.

58L'initiative de réunir des femmes noires autour de l'hébergement collaboratif sur une plateforme numérique combine partage et idéaux féministes, sur la base d'une centralité afro-brésilienne associée à d'autres caractéristiques comme la classe sociale et l'orientation sexuelle. Peut-être en raison de cette proximité, il n'y a pas plusieurs conflits et dissonances. La formation des groupes montre le développement progressif d'un grand réseau de soutien entre ces femmes, non seulement au Brésil, mais dans le monde entier. Ce sont des corps politiques qui, malgré l'oppression et le contrôle des forces et structures dominantes, gèrent leur vie et transforment la biopolitique en biopotence, comme le suggère Pelbart (2007).

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Couchsurfing das Pretas Group
Crédits Capture d'écran sur Facebook, 10 décembre 2020
URL http://journals.openedition.org/viatourism/docannexe/image/8690/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 20k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Thaís Costa, « La politisation du voyage face à la biopolitique : (Im)mobilités, médiations technologiques et discours identitaires dans les réseaux d'hébergement collaboratif pour les femmes. », Via [En ligne], 21 | 2022, mis en ligne le 22 août 2022, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/viatourism/8690 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatourism.8690

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Auteur

Thaís Costa

Maître de conférences à l'université Candido Mendes - UCAM et à l'université d'État de Rio de Janeiro - UERJ. Doctorat en communication - UERJ.

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Traducteur

Maria Gravari-Barbas

Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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