1La huitième édition du colloque étudiant en musiques populaires s’est tenue le 6 juin 2024 au FGO-Barbara, lieu de musiques actuelles situé dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris, avec le soutien de ses partenaires historiques, l’IASPM-bfE et le LabEx-ICCA. Forme de socialisation à la recherche, la journée a une fois de plus rendu compte de la variété des travaux en popular music studies, à travers un dialogue interdisciplinaire entre étudiant·es et chercheur·euses expérimenté·es dans le champ.

2Une première session de varia entendait rester à l’affût des sujets qui animent les jeunes chercheur·euses sans postuler d’axes de recherche prédéterminés. Sacha Lebrun a proposé, à partir d’un travail issu des études visuelles, une approche sémiologique du disque vinyle et de ses appropriations après le regain d’intérêt pour le vinyle dans les années 2010. Retraçant la trajectoire du disque dans une perspective de biographie d’objet, la communication s’est appuyée sur un ensemble d’entretiens menés auprès d’amateurices, de disquaires et d’artistes, avec comme argument la distinction par le vinyle, le disque et sa pochette se constituant comme témoins visuels du bon goût. Julia Roux a pour sa part interrogé les relations entre lesbianisme et idolation de figures masculines de K-pop dans le cas des fandoms, prenant comme matériaux des clips et des entretiens tirés d’une ethnographie conduite en ligne sur Twitter/X. Sa communication a mis en lumière l’interconnexion entre parcours lesbiens et parcours de fans dans les contextes francophones et anglophones. Elle a proposé une analyse du fandom comme safe space et comme lieu des premières sociabilités queer, tout en s’intéressant aux formes de masculinités performées par les idols qui s’éloignent des modèles hégémoniques.

3L’articulation entre musique et espace urbain était l’objet de la seconde session. Une recherche en anthropologie fut présentée par Judith Moucha autour de la dimension professionnelle de la pratique du busking à Galway en Irlande. Le cas des buskers résonne avec un projet de revenu de base pour les musicien·nes dans le pays. L’intervention a porté sur les espaces dédiés et non-dédiés à la musique, en questionnant l’espace urbain comme espace-ressource et professionnalisant, avant d’examiner la situation des musiciens qui quittent la rue pour investir les pubs en quête d’une plus grande stabilité, ce qui provoque des conflits entre artistes autour de la baisse des rémunérations, les buskers acceptant de jouer pour peu cher. Chloé Violle a ensuite proposé un travail sur la candidature de Liège au réseau des villes créatives de l’UNESCO au prisme de la notion d’écologie créative, afin de penser les usages de la musique comme vecteur d’innovation et d’attractivité pour les villes. L’analyse critique du cas de Liège permet de cerner les critères d’opportunité de développement et d’engagement des différentes parties prenantes autour des atouts de la ville pour contribuer à la réalisation des objectifs du réseau.

4Comme pour chaque édition, nous avons eu le plaisir de recevoir en conférence plénière une chercheuse confirmée dans le champ des musiques populaires. Cette année, Emília Barna, sociologue à la Budapest University of Technology and Economics, était invitée, avec Gérôme Guibert en tant que discutant. Son intervention a porté sur l’influence de la plateformisation et de la digitalisation sur la scène musicale hongroise considérée comme territoire semipériphérique. Cette recherche, menée à partir de matériaux issus d’une enquête collective, témoigne de l’apport des méthodes qualitatives pour travailler sur les industries musicales. Elle visait à étudier l’influence de l’État et des contraintes commerciales sur l’autonomie des artistes dans le contexte de l’Europe post-socialiste. Mobilisant le concept de reintermediation pour décrire les plateformes telles que Youtube, Meta, Apple Music ou TikTok, Emília Barna a montré comment ces dernières structurent les chaînes de coopération du travail artistique et induisent des relations de pouvoir. À partir de 2010, une crise dans l’industrie des musiques enregistrées liée au départ de majors et au peer-to-peer mène au développement de programmes nationaux de fonds destinés à des publics orientés rock et renforçant le contrôle des États sur la production musicale. On constate alors deux tendances avec, d’un côté, des modèles de carrières recourant à une stratégie apolitique et intégrées à un star system, dont le festival pop-rock M2R est exemplaire, et de l’autre, des carrières DIY d’artistes rap, analysées comme formes d’entreprenariat digital et fondées sur une production continue à petit budget et soutenues par des sponsors. En 2020, la crise du Covid-19 accroît la précarité des artistes et exacerbe les inégalités de genre par un retour à une division traditionnellement genrée du travail (refamilisation), des mères quittant les mondes de la musique pour s’occuper de leurs enfants (housewifisation). La plateformisation de la production musicale s’articule mieux au modèle du hip-hop, au sein duquel les artistes travaillent de manière individuelle, le featuring constituant le mode central de collaboration. Les entretiens traduisent une stricte division des rôles selon le genre. Les chanteuses ne sont pas créditées comme autrices et ne disposent pas de droits sur les musiques, bien qu’elles écrivent leurs propres parties. Si le rap domine les tendances du Youtube hongrois, comme l’indiquent les vues et les likes qui en mesurent le succès (algorithmic governance), les rappeurs sont sous-représentés lors des festivals et exclus des fonds d’État. Le cas du chanteur et rappeur Azahuia faisant partie d’une nouvelle génération permet finalement d’observer une manière de combiner « le meilleur des deux mondes ». Les discussions ont souligné la pertinence du concept de semipériphérie pour appréhender les pays de l’ancien bloc de l’Est, ainsi que l’influence structurelle des politiques publiques sur les musiques actuelles, dont le progressisme peut perpétuer des rapports de pouvoir, rappelant les travaux de Nancy Fraser sur l’espace public.

5La journée s’est conclue avec une session consacrée aux liens entre musique et politique. Antoine Bourdier s’est intéressé aux chants populaires durant la période de la Révolution française, partant de l’explosion de la production chansonnière et de sa diffusion dans la presse. Articulant philosophie, musicologie et histoire de la musique, la réflexion portait sur les pouvoirs de la musique et sur les liens entre chant et rhétorique. Le rôle du chant dans la réussite de l’action révolutionnaire était problématisé autour de la tension entre la discipline du chant à l’unisson et l’émancipation par le chant donnant voix à des individus en marge. Augustin Lavault a présenté une recherche sur la collection de disques du label Expression spontanée et son rapport à Mai 68. Son travail a consisté en une reconstitution du catalogue du label pour en interroger les usages du disque et du son, ainsi que les luttes mises en jeu. En étudiant les chaînes de coopération pour observer les mondes sociaux au sein desquels ces collaborations ont lieu, l’enquête visait à analyser ces disques comme documents sonores. Le label Expression spontanée proposait des enregistrements de chants traditionnels, musiques populaires, et musiques de rue et cherchait à contribuer à la formation d’une communauté affinitaire. Enfin, Maxime Dulau a traité de la scène psychédélique du San Francisco des sixties et de la formation de la communauté hippie autour de la musique et des drogues lors des soirées Acid Test. Il a observé l’influence du Monterey Pop Festival et des maisons de disque sur les groupes de la baie durant l’été 1967. L’étude de la presse underground permet d’analyser les processus de starification de certains de ces groupes, comme Jefferson Airplane, bouleversant les dynamiques de la scène.

6Cette édition témoigne du maintien de l’intérêt des jeunes chercheur·euses pour les musiques populaires et d’une pluralité d’approches pour les envisager. La journée, qui a mis en avant les thématiques centrales du pouvoir, des technologies et du travail discutées lors des communications et des échanges avec le public, encourage à renouveler le colloque en 2025, alors que se tiendra au mois de juillet la Biennale internationale de l’IASPM à la Sorbonne Nouvelle, à Paris.