1Journée d’études organisée à l’université de Tours, Institut de Touraine et Petit Faucheux, sous la direction de Baptiste Bacot et Sarah Benhaim, le 20 octobre 2023.

La journée d'étude intitulée « Bricoler son instrument de musique, construire sa singularité » s’est déroulée le 20 octobre 2023 à Tours. Organisée par Sarah Benhaïm et Baptiste Bacot, elle a rassemblé chercheurs, musiciens et acteurs de la médiation culturelle pour tenter de mettre en lumière les multiples facettes du bricolage instrumental, questionnant par là-même les esthétiques et les identités musicales. La journée a bénéficié du soutien de l’ICD (EA 6297) et de l’IASPM-bfE.

2La matinée s’est déroulée dans les locaux du département de musicologie de l’université de Tours. Après l’introduction de Sarah Benhaïm qui a esquissé les enjeux pluridisciplinaires du bricolage instrumental à travers ses expériences ethnographiques, Clément Canonne a présenté ses travaux sur la lutherie dans l’improvisation libre. Il a souligné, exemples de terrain à l’appui, comment les musiciens, en quête de singularité, manipulent et modifient leurs instruments pour enrichir leur palette sonore et créer des expériences musicales inédites. L’exploration de l'instrument apparaît comme centrale dans le processus d’improvisation et mène à un véritable dialogue entre le musicien et son outil, qui devient alors un prolongement du corps et de l’intention artistique. Pierre Prouteau a exploré le bricolage à partir de la notion d’acculturation développée par Roger Bastide. Invitant à prendre en compte les contextes socio-économiques qui orientent la disponibilité et la circulation des technologies hors du monde occidental, il a questionné les biais induits par la notion de bricolage, et la pertinence de cette catégorie pour décrire des pratiques dans lesquelles la transformation ou la récupération est une norme plutôt qu’un acte de défiance artistique. Comme en écho, la présentation de Nicolas Nova (en visioconférence) a abordé l'utilisation des rebuts électroniques dans les pratiques musicales et artistiques. S’appuyant sur la notion de « patch » (Tsing et al., 2019) et sur ses propres observations ethnographiques, il a mis en lumière les démarches de collectifs et d’artistes qui récupèrent des composants électroniques obsolètes pour en faire des instruments. Ce processus, à l’œuvre dans les formes de New Media Art, soulève des questions sur la durabilité et le futur des objets électroniques dans la musique. L’étude des chaînes opératoires (séquences d’action jalonnant la vie des objets) conduit Nicolas Nova à proposer une typologie des pratiques de réemploi, où les lecteurs CD ou les tubes cathodiques sont recyclés et détournés pour générer de nouvelles sonorités. Baptiste Bacot s’est intéressé aux « instruments augmentés », dans lesquels des modules électromécaniques sont ajoutés à des instruments traditionnels pour créer des possibilités sonores inédites. À travers le cas des HyperInstruments développés par Andrew McPherson et son équipe (Augmented Instruments Lab), il a montré comment ces instruments hybrides, nés du bricolage entre l'acoustique et le numérique, remettaient en question les frontières traditionnelles de l'organologie tout en ouvrant la voie à de nouvelles collaborations et expérimentations artistiques.

3L'après-midi, à l’Institut de Touraine, le philosophe Bernard Sève a pris la parole en tant que conférencier invité. Il a commencé par établir une distinction entre bricolage instrumental, soulignant une continuité entre les corps physiques du musicien et de l’instrument, et le bricolage organologique, qui installe lui-même une autre continuité entre l’exemplaire instrumental bricolé et sa prolifération générique. Par opposition aux autres objets techniques construits en vue de leur fonction, l’usage des instruments de musique n’est pas fixé à l’avance. Ainsi, le bricolage instrumental relève d'une recherche d’adaptation et d’appropriation constante par trial and error. Cette approche philosophique met en évidence la continuité entre l'instrument et l’artiste, ainsi que le potentiel d’invention contenu dans le bricolage.

4La table ronde a rassemblé des musiciens et artistes de divers horizons. Antoine Capet a partagé son expérience de la création d'instruments adaptés aux personnes en situation de handicap via l’association BrutPop. Pierre Lambla a exposé ses projets de médiation en milieu scolaire et la création de l'application Gears, qui met la composition musicale à portée de tous. Enfin, Héloïse Thibault et Olmo ont présenté ZAMZAMREC, leur label dédié à la promotion des musiques expérimentales. Héloise a effectué une démonstration de rummaging (exploration instrumentale libre). Toutes ces initiatives visent non seulement à rendre la musique accessible, mais aussi à favoriser l'expression personnelle des participants.

5La dernière partie de la journée a lieu au Petit Faucheux. Un entretien « Avant/Avec » mené par Axel Caillaud, étudiant en musicologie, donne la parole aux musiciennes Pôm Bouvier-B et Tyfen Guilloux. Après un pot convivial, les musiciennes proposent l’une après l’autre des improvisations libres incarnant l’esprit du bricolage électroacoustique. Le musicien australien Robbie Avenaïm clôture la soirée par une saisissante performance de batterie aux modules robotisés.

6Cette journée d'étude a permis d’explorer le polymorphisme matériel et théorique du bricolage instrumental, à l’intersection de la musique, de la technologie, de l’anthropologie et de la philosophie. De la lutherie improvisée aux pratiques de médiation inclusive, les intervenants ont montré comment la transformation des instruments pouvait alimenter la construction de nouvelles identités sonores, ainsi que de nouvelles façons de les conceptualiser et de les mettre au service d’une plus grande inclusivité. Cette approche participative et créative du bricolage redéfinit le rapport entre le musicien, son instrument et le public, tout en posant les bases d’une réflexion plus large sur la musique comme lieu d’expression singulière et d’innovation constante, à rebours du gatekeeping qui caractérise parfois ses mondes.