- 1 D’une manière générale, il est aussi possible que le choix instrumental définisse davantage le styl (...)
1Un groupe de rock comporte généralement des instruments assez puissants au niveau des sonorités et de l’amplification, par exemple la guitare, la guitare basse, la batterie et parfois un clavier. À cette formation basique peuvent s’ajouter des instruments choisis selon leur timbre ou selon l’effet recherché1 : le saxophone dans certains morceaux de Pink Floyd, la flûte traversière dans Jethro Tull, le violon qui est bien présent dans plusieurs morceaux de groupes de rock comme Mahavishnu Orchestra et Curved Air, le trombone de Nick Evans ou le saxello d’Elton Dean au sein du groupe Soft Machine, et enfin l’alto de Geoffrey Richardson au sein du groupe Caravan.
2L’alto fait donc partie de ces instruments marquant l’intention musicale de groupes particuliers qui cherchent non seulement un timbre précis, mais également un mode de jeu : la présence d’un violon assez grave capable de jouer des « bourdons » à l’instar du violoncelle, voire d’un violoncelle aigu tout en assurant le dessin des mélodies et la maîtrise des solos avec un timbre de couleur boisée. Cet article essaie de montrer l’apport de Geoffrey Richardson, l’altiste du groupe Caravan, de souligner les différents styles, influences et modes de jeu mis en évidence par l’étude des morceaux les plus riches au niveau de l’utilisation de l’alto. L’analyse précise d’extraits de morceaux (partitions – gammes – solos – expressions techniques et dynamiques) est la méthodologie choisie afin de reconstituer couleurs et caractères portés par l’alto d’abord de manière générale, dans l’horizon d’un genre musical comme le rock psychédélique, ensuite de manière plus particulière liée au style de l’école de Canterbury, puis au cœur du jeu de notre altiste de référence, Geoffrey Richardson.
- 2 Martyn Ford est un compositeur et musicien anglais, connu pour ses contributions orchestrales pour (...)
3La difficulté principale d’une telle recherche musicologique portant sur l’alto dans le rock généralement est que les ouvrages de référence, les thèses, les conférences, les magazines, les partitions ou les discographies et toutes les sources spécialisées sur l’alto sont peu nombreux et dispersés. Glanant les quelques maigres informations découvertes au fil d’ouvrages et références, un des moyens raisonnablement envisageables était, de facto, l’écoute systématique des albums. L’écoute de l’intégralité des œuvres de Caravan s’est révélée nécessaire pour trouver les titres adéquats. En écoutant l’intégralité des albums de Caravan, un album en particulier attire l’intention : For Girls Who Grow Plump In The Night sorti en 1973. Dans cet album nous voyageons entre de beaux effets, un alto omniprésent et des parties orchestrées (arrangées par Jimmy Hastings, Martyn Ford2 et John Bell).
4En fait, cet album présente un nouveau sommet de Caravan dans le style de Canterbury (Bill, 1998 : 222) où l’alto de Richardson prouve l’intégration parfaite d’un instrument rarement joué sur les scènes du rock progressif, notamment par les mélodies inspirées de la country music, de la musique folk, du blues, du psychédélisme, reposant sur différentes échelles musicales (pentatonisme, gammes mineures, échelles modales…). For Girls Who Grow Plump in the Night est un album où se trouve l’équilibre entre riffs et mélodies, l’accessibilité entre virtuosité des solos et parties chantées (Pirenne, 2005: 294). Ainsi, pour montrer ces effets que nous venons de souligner, deux morceaux de cet album sont particulièrement révélateurs : « Be Alright / Chance of a Lifetime », « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go / Pengola / Backwards / A Hunting We Shall Go (reprise) ».
5« Be All Right - Chance Of A Lifetime » se compose de six parties différentes (tableau 1), les deux parties A et B présentent « Be All Right » et les parties de C à F composent « Chance Of A Lifetime ». A et B sont répétées cinq fois d’affilée, représentant couplet (A) et refrain (B). C, D et E sont répétées quatre fois et séparées une seule fois par le pont (F). L’alto est présent dans toutes les parties sauf au refrain (B) et au pont instrumental (F) (tableau 1).
6« Be All Right » commence par un bruit d’hélicoptère et de train rapide qui est présenté comme une introduction (00:00-0:09). La p artie A arrive directement après l’introduction pour présenter le riff qui est caractéristique du rock progressif (Fig. 1).
Fig. 1 : Caravan, « Be All Right » 1re partie (A)
7L’alto joue ici et répète le riff à l’unisson avec la guitare et la basse (il y a deux guitares qui jouent dans cette partie. Une guitare joue le riff à l’unisson et l’autre marque l’harmonie à chaque changement d’accord). L’idée de jouer le riff à l’unisson est de mettre en avant les timbres mélangés entre cordes frottées et cordes plaquées pour avoir un riff joué en masse et pour créer une différence entre cette partie et les autres qui ne sont pas jouées à l’unisson. Les parties C, D et E (Fig. 2, 3 et 4) contiennent un alto avec ses phrases très simples en legato qui dessinent un contrechant en suivant les accords. Cet accompagnement remplit les espaces vides et rajoute un timbre rond et chaud qui facilite le changement entre ces parties.
Tableau 1 – Caravan, « Be All Right / Chance Of A Lifetime »
8La gamme mineure de mi est la plus notée comme référence mélodique à côté de la gamme pentatonique mineure. Nous constatons également que le même genre de placement rythmique habituel à Richardson, est appliqué ici. Des phrases relativement rapides sont suivies par des phrases plus lentes, ce qui crée le lien entre le chant et les autres instruments :
Fig. 2 : Caravan, « Be All Right », 3e partie (C), alto
Fig. 3 : Caravan, « Be All Right », 4e partie (D), alto
Fig. 4 : Caravan, « Be All Right », 5e partie (E), alto
9Après le pont instrumental (la partie F), nous trouvons le solo d’alto qui est joué sur les accords de la partie C, mais répétés 20 fois pendant 40 mesures. Les accords utilisés orientent Richardson vers un solo cadré qui respecte et suit cette harmonie. Il joue un solo qui est similaire aux phrases que nous avons déjà analysées dans ce morceau en s’appuyant sur les gammes pentatoniques mineures et la gamme mineure de mi. Surtout, ce solo est très proche de son solo de « Memory Lane, Hugh – Headloss » (le premier morceau du même album) concernant l’utilisation des phrases blues et folk et les placements rythmiques (triolet, double croche, ornements, etc.). Par exemple la partie C de ce morceau (jouée sur la même harmonie) présente une ressemblance mélodique très forte avec celle de ce solo comme le tableau le montre (tableau 2 et Fig. 5) :
Tableau 2 : comparaison mélodique entre les deux parties C et F, Alto
Partie (C)
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Solo
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1e et 2e mesures
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1e et 2e mesures
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5e et 6e mesures
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19e mesure
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7e mesure
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5e mesure
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10Tout en utilisant la première position (Fig. 5), Richardson joue un solo rempli d’ornements comme l’acciaccatura (à la 6e mesure) l’appoggiature (à la 11e mesure) et comme les trilles (aux 7e et 17e mesures). Le placement rythmique est varié ; nous trouvons beaucoup de phrases qui commencent en contretemps comme aux 1re, 3e, 7e, 8e, 10e mesures. Et des phrases qui commencent sur le temps pour retarder les notes de l’accord comme aux 2e, 11e et 16e mesures. Pour créer un équilibre au niveau de la vitesse, le solo est construit généralement avec l’utilisation des doubles croches ainsi que des triolets de doubles croches qui répondent à la rapidité du trille sur la noire, la blanche et la ronde.
Fig. 5 : Caravan, « Be All Right », solo d’alto
11Le second titre analysé de ce disque comporte des arrangements orchestraux et plusieurs changements de tempo. « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go » se compose de quatre parties précédées par une introduction jouée par l’alto et la guitare. Pour les deux parties A et C, le chiffrage de mesure est en 10/8 en revanche la partie B se compose des mesures composées (5/8 + 9/16) et la partie D est en 13/8. Seule la partie orchestrée E se compose d’un chiffrage de mesure simple de 4/4. Deux tonalités voisines sont appliquées, mi mineur depuis le début et si mineur à partir de la partie E (04:28). L’alto de Richardson est présent dans l’introduction ainsi qu’aux parties A, B et D (tableau 3). L’introduction annonce l’ouverture de ce morceau qui démarre sur les accords résonants de la guitare de Pye Hastings et les mélodies profondes de l’alto. La grille harmonique est jouée deux fois, et la deuxième fois, la basse s’y rajoute pour donner plus de profondeur harmonique. Il est à noter qu’il y a plusieurs altos qui jouent en même temps pour dessiner des atmosphères alternées entre aigu et grave. Deux altos jouent du début à la fin, et deux autres jouent d’une manière occasionnelle.
Fig. 6 : Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go » introduction, alto
12L’exemple précédent (Fig. 6) est tiré de la ligne mélodique globale de l’introduction avec tous les altos rassemblés, montrant la mélodie générale sans la noter rythmiquement. Cet exemple est joué en rubato, car il n’y a ni tempo, ni rythme ni métrique fixe qui conduisent la mélodie et les accords.
Tableau 3: Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go »
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Minutages
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Sections
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Accords
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Intro
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00:00 – 01:00
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Guitare + Alto
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ll Eminl A5(add9) l Emin l Asus2(add6) l C l Aminl F#min l Fmaj 7 llx2
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01:00 – 01:05
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Batterie
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A
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01:06 – 01:24
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Le riff
10/8
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ll Emin l % l A l Emin l C / A l Eminll
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B
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01:25 – 01:37
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5/8 + 9/16
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ll Emin / G llx4
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C
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01:38 – 01:50
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ll Emin llx4
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A’
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01:50 – 02:09
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Le riff
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ll Eminx4 l C / A l Emin ll
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B
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02:10 – 02:22
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Basse 5/8 + 9/16
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ll Emin llx4
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A
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02:23 – 03:06
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Guitare solo
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ll Emin x12 l C / A l Eminll
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A
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03:07 – 03:43
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Solo alto
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ll Emin llx12
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D
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03:44 – 04:18
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13/8
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ll C / D / Emin llx8
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04:19 – 04:27
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Transition
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E
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04:28 – 09:13
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Orchestre
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ll Bmin l Amin6 l Bb l Dmin l F#min l Emin l F#min l Emin ll
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A’’
Coda
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09:14 – 09:48
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Orchestre
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ll Bmin l % l E l Bmin l G / F# l Bmin ll
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09:48 – 10:07
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Bruit d’orage
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13Comme on le voit, Richardson joue toujours en première position en utilisant des gammes mineures et des pentatoniques mineures. Rythmiquement, le mode de jeu est très varié entre longues notes tenues (comme les quatre premières notes) et notes rapides de passage comme au troisième accord par exemple.
14Cette première partie (01:06 – 01:24) se compose de six mesures qui enchaînent le riff principal joué sur un chiffrage de 10/8 (Fig. 7). L’alto joue le riff seul en laissant tous les autres instruments assurer la partie harmonique. C’est à la première variation de A (A’) (01:50 – 02:09) que la basse, la guitare et le clavier soutiennent l’alto en jouant le riff ensemble. En effet, la partie A’, en la comparant avec la partie originale A, n’apporte qu’un seul changement harmonique. Au lieu d’avoir l’accord de la (à la troisième mesure) qui sépare les trois accords de mi, l’accord de mi mineur se répète quatre fois de suite avant de se diriger vers les deux accords de do et la. Le jeu d’alto reste le même, sans aucun changement.
Fig. 7 : Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go » 1re partie (A), alto
15Rythmiquement (Fig. 8), l’alto joue le riff avec des accentuations soutenues par la batterie :
Fig.8 : Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go », 1re partie (A) rythmiquement
16Pour la première fois dans cet album, Richardson amène une mélodie alternative et loin de la musique folk ou blues. Le mode utilisé est le dorien pour toutes les mesures sauf l’avant-dernière à laquelle le mode pentatonique de mi est appliqué.
17La partie (B) (Fig. 9) est construite rythmiquement de la même façon que la partie A, mais en supprimant une double croche de la dernière croche, ce qui nous conduit vers une « complicité rythmique » des mesures composées de 5/8 et 9/18. Au début des années 1970 beaucoup de mesures asymétriques commencent à apparaître dans la musique progressive à l’instar de la partie « Warlock » de « Can’t Be Long Now », issue de leur deuxième album (If I Could Do … etc.) qui est en 15\8 et comme le début de « C’thluThlu » en 14\4 issu de leur quatrième album que nous sommes en train d’analyser (Macan, 1997 : 48). Harmoniquement cette partie est jouée en mi mineur à l’exception de la dernière croche jouée sur un accord de sol. L’alto de Richardson soutient le rythme et l’harmonie en général en jouant une seule note de si en trémolo puis finit par accentuer, en détaché, la dernière croche de sol :
Fig. 9 : Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go », 2e partie (B), alto
18Passons au premier solo d’alto (03:07 – 03:43) qui est joué sur le riff principal (10/8) en tenant l’accord mi mineur tout le long de cette partie virtuose (Fig. 10). Le solo est joué en utilisant le mode de mi mineur (comme à la deuxième mesure), le mode pentatonique mineur de mi (comme à la première mesure de la deuxième ligne) ainsi que le mode dorien de mi (deuxième mesure ainsi que la troisième et la quatrième ligne). Cette utilisation de modes variés rend l’harmonie et le solo de Richardson plus riche. Rythmiquement, le solo utilise souvent les doubles croches pour donner une impression de rapidité à côté de son utilisation des ornements comme l’appoggiature (2e mesure du 2e système), le trille (1re mesure du 2e système) et les trémolos (comme au dernier système). Il est à noter que dans ce solo, Richardson n’utilise que trois cordes : il ne descend pas en dessous de sol, il ne joue jamais sur la corde grave de do :
Fig. 10: Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go » 1re partie (A), 1ersolo d’alto
19Le mode de jeu dans ce solo est plutôt dans le style celtique qui voit alterner les notes sur deux cordes (comme le 3e et le 4e système). Il est à noter que le dernier système contient la même phrase que la partie B, mais en utilisant des mesures de 10/8 au lieu d’appliquer les mesures composées de 5/8 et 9/18. Ce dernier système prépare la partie D que nous pouvons considérer comme la partie finale du solo ou la partie de conclusion avant de se diriger vers la transition et la partie orchestrale.
20La partie D (Fig. 11) est jouée sur 13/8 qui est composée de la répartition de 3/4 + 3/4 + 4/4 + 3/4. La mélodie jouée par Richardson, répétée huit fois, est une phrase énergique qui conclut le solo précédent où l’harmonie joue un rôle très important afin de sentir que la fin arrive. L’enchaînement de l’accord de do (sixième degré de mi), de l’accord de ré (septième degré de mi), suivi par la tonique mineure, est un enchaînement harmonique souvent joué dans le rock et considéré comme un élément énergique.
Fig. 11 : Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall G o », 4e partie (D), alto
21Après ce solo, nous arrivons à la partie orchestrée (E) qui se compose d’une longue grille d’accords répétée douze fois. Le piano commence à explorer le thème seul avant d’être rejoint à chaque répétition par un nouvel instrument intervenant pour créer une sorte d’arrangement qui se développe par ajout d’instruments. Au milieu de la deuxième répétition, nous entendons un alto qui soutient le piano et les cordes en jouant la même mélodie principale. C’est le seul endroit où nous pouvons reconnaître l’alto, autrement il est mélangé avec la masse totale et notamment avec le pupitre d’alto. Cet arrangement prouve que Caravan était probablement le groupe le plus marqué, à l’école de Canterbury, par le rock symphonique progressif.
Fig. 12: Caravan, « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go », partie (A’’), alto
22La dernière partie (A’) (Fig.12), harmoniquement, est la même que la partie A, mais simplement transposée de mi mineur à si mineur, car la partie orchestrée est basée sur la tonalité de si. Un seul changement harmonique est apporté par cette partie, à la troisième mesure du troisième système, l’accord de si mineur remplace l’accord de mi mineur, et la dernière mesure est raccourcie pour faire une seule note de si qui annonce la fin. Ce dernier titre analysé rajoute des nouveautés rythmiques et mélodiques, et en même temps, rappelle ce que nous avons constaté chez Richardson quant à son utilisation de l’alto. Dans ce titre comme dans les précédents, Richardson reste très objectif dans son choix mélodique et rythmique. L’alto dans « L’Auberge du Sanglier / A Hunting We Shall Go » prépare la tonalité avec la guitare en jouant l’introduction. Ensuite, il explore le thème principal sur 10/8, puis la partie D sur 13/8. Il accompagne la partie B rythmiquement sur 5/8 et 9/18. À côté de cet aspect collectif, il improvise un solo énergique de style celtique qui nous dirige avec fluidité vers la fin. Ce titre prouve que Caravan appartient à la nouvelle vague de la musique progressive rock qui renouvelle la chanson conventionnelle avec des métriques inhabituelles et des harmonies raffinées comme « Where but for Caravan Would I Be » 11/8 issu du premier album.
23Il est vrai que depuis le début, Caravan était un groupe de rock underground anglais, charmant et original en même temps que durable et fantasque sans compter la sensibilité pop (Pye, 2018) ; mais en analysant les deux morceaux choisis, issus de l’album For Girls Who Grow Plump In The Night nous avons noté qu’entre 1972 et 1974 Caravan s’éloigne vers un jeu plus expérimental et alternatif comme celui de the Nice ou ELP en gardant le côté progressif au lieu de présenter une fusion entre la folk, le rock et la musique classique telle qu’on peut la constater chez Yes ou Genesis dans leurs premières compositions (Macan, 2997 : 128). Concernant la présence de l’alto, nous avons constaté que les interprétations de l’instrument de Richardson dans le groupe Caravan, présentent des qualités et une richesse musicale inégales. Souvent, l’instrument est utilisé comme un instrument à corde indifférent, le choix de l’alto étant le simple résultat des interprètes présents et de leurs capacités. Dans ce cas, il accompagne la musique du groupe avec un nombre restreint de jeu simple. Cependant, quelques morceaux font preuve d’une recherche particulière et spécifique à cet instrument, en fonction de son timbre et du jeu particulier qu’il permet. En ce sens, quelques exemples sont importants dans le cadre d’une analyse musicologique. J’ai sélectionné un seul altiste qui appartient à cette école, pour la richesse de sa recherche, ses exigences d’interprétation, mais aussi pour l’influence qu’il a eu par ses innovations. Richardson poursuit la recherche de la beauté harmonique. Par la complexité du jeu de son alto, il réussit à intégrer l’alto et il apporte une profondeur au projet musical du groupe Caravan.
24À travers les exemples choisis, Richardson montre un style inspiré de la musique folklorique britannique, la musique blues et la musique pop. Cela rappelle quand il jouait de la guitare et il chantait dans les bars et les clubs, des chansons folk comme celles de John Renbourn, Bert Jansch et Woody Guthrie (Calyx, 2015). Son mode de jeu est très objectif : il essaie toujours de trouver des accompagnements qui conviennent à l’enchaînement harmonique et à la mélodie caractérisée par le débit évolutif reposant sur différentes échelles musicales (pentatonisme, échelles modales…). De même, il essaie d’être un intermédiaire, de faire le lien entre le chant et les autres instruments. Ses solos sont choisis, réfléchis et déterminés par la durée selon le choix harmonique et le placement du solo en réponse aux solos des autres interprètes dans un contexte d’arrangement global. Tout est préparé d’avance, chaque instrument possède une place définie selon la nécessité harmonique, mélodique ou structurelle. Mais, ces modes de jeux proposés par Richardson, ne couvrent pas l’ensemble des possibilités de l’alto dans ce genre de rock, car l’alto de Caravan joue dans un registre et usage structuré voir classique en offrant une douceur et une souplesse rarement proposée par les autres instruments du registre rock.
25Il reste à mentionner d’autres groupes ayant eu recours à l’alto dans leur formation, ne serait-ce que pour un seul morceau ou plusieurs dans un album. Cette petite liste discographique prouve que l’alto est aujourd’hui loin d’être marginal dans la musique populaire rock :
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The Beatles: Magical Mystery Tour, 1967
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The Velvet Underground: The Velvet underground and Nico, 1967 ; White Light : White Heat, 1968
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The Stooges: The Stooges, 1969
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Jackson Browne : Jackson Browne, 1972
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The Mahavishnu Orchestra: The Lost Trident Session, 1973
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Robert Wyatt: Rock Bottom, 1974
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Kansas: Dust in the Wind, single, 1977
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Van Der Graaf Generator: The Quiet Zone / The Pleasure Dome, 1977
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The Dixie Dregs: Free Fall, 1977
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Jerry Goodman: On The Future Of Aviation, 1985
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John Cale & Lou Reed: Song for Drella, 1990
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The Cure: Wish, 1992
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Thee Silver Mt. Zion Memorial Orchestra: Born into Trouble as the Sparks Fly Upward, 2000
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Hangedup: Hangedup, 2001, Kicker In Tow, 2002, Clatter For Control, 2005, Transit Of Venus, 2012
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Dirty Three: Cinder, 2005
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Flobots : Fight with Tools, 2007
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Nick Cave & The Bad Seeds: Dig, Lazarus, Dig, 2007
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Radiohead: In Rainbows, 2007.